Russie : Narva, la prochaine Crimée ?

Le 24 janvier 2019, le journal américain The Atlantic a publié un article évoquant les craintes qu’aurait l’OTAN de voir la ville estonienne de Narva devenir l’épicentre d’un prochain conflit avec la Russie : le Président russe Vladimir Poutine aurait peut-être pour objectif d’envahir cette petite ville frontalière de la Russie, « comme il l’a fait en Crimée ».

« Si vous n’avez jamais entendu parler de Narva, cela pourrait arriver très prochainement », ainsi débute l’article qui rappelle que la ville est peuplée majoritairement de russophones. Il évoque ce que l’OTAN désignerait comme « scénario de Narva », qui consisterait pour la Russie à tester les fondements de la politique de solidarité de l’Alliance. Le parallèle avec le cas criméen est explicitement fait, l’auteur relevant que la différence réside bien ici dans l’appartenance de l’Estonie à l’OTAN.

La publication de cet article, au moment où les hésitations du Président américain rendent la place des États-Unis au sein de l’Alliance plus incertaine que jamais, ne doit sans doute rien au hasard. Si l’Estonie demandait l’activation de l’article 5 de l’OTAN en réponse à une agression de la Russie, certains se demandent quelle serait la réponse de D. Trump. Le journaliste cite l’ancien ambassadeur d’Estonie à Washington, Kalev Stoicescu, qui aurait déclaré que D. Trump « inquiète tout le monde » en Estonie.

Même si cet article avait avant tout une visée interne, il a fait réagir de l’autre côté de l’Atlantique : en Russie, la Nezavisimaïa Gazeta juge que les journalistes américains ont atteint un degré d’absurdité jusque-là inégalé.

En Estonie, Andres Kasekamp, professeur à l’université de Tartu, reconnaît que, depuis 2014, la question de Narva est sur toutes les lèvres. Mais il pointe un certain nombre de différences avec la cas criméen : les États baltes sont membres de l’OTAN et de l’UE et les conséquences d’une agression aurait des conséquences considérables pour la Russie ; le succès de l’opération en Crimée a reposé sur l’effet de surprise ; à la différence de l’Ukraine, l’Estonie est dotée d’un État qui fonctionne et serait apte à répondre immédiatement ; Narva a toujours été estonienne et n’a jamais été l’objet d’un contentieux avec la Russie ; le niveau de vie à Narva, même s’il est plus faible que sur le reste du territoire estonien, reste largement supérieur à ce qu’il est de l’autre côté de la frontière, n’encourageant pas à des velléités séparatistes ; même les non-citoyens russophones d’Estonie peuvent voyager au sein de l’Union européenne, etc.

Plutôt que se demander si les alliés de l’OTAN seraient prêts à mourir pour Narva, A. Kasekamp, qui n’évacue pas de son raisonnement l’hypothèse de la volonté du Président russe, reprend la question posée par le politiste russe Andreï Piontkovski : « V. Poutine est-il prêt à mourir pour Narva ? »

Sources : The Atlantic, Estonian World, Nezavisimaïa Gazeta, Gazeta.ru.

Céline BAYOU