Serbie-Kosovo: Normalisation des relations sous les auspices de l’Union européenne

Le processus d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne est directement lié à la normalisation des relations que le pays entretient avec le gouvernement kosovar.


Afin de relever ce défi, la Serbie et le Kosovo mènent depuis 2011 des négociations au plus haut niveau, sous la houlette de l’Union européenne. En dépit de l’opposition de la Serbie à toute forme de reconnaissance du Kosovo, ces négociations portent peu à peu leurs fruits.

Les élections locales de novembre 2013, organisées par Pristina avec l’assentiment de Belgrade, pourraient être les premières à ne pas être boycottées par les Serbes du Kosovo. Leur enjeu dépasse la question de la démocratisation du Kosovo. Elles témoigneront, le cas échéant, de la normalisation des relations entre les deux gouvernements, près de 5 ans après la déclaration d’indépendance du Kosovo.

L’Union européenne (UE) n’a pas ménagé ses efforts. Elle « facilite » depuis mars 2011 un processus de « négociations techniques » entre les deux parties, visant à trouver « des solutions concrètes améliorant la vie quotidienne des gens vivant au Kosovo »[1]. Sous la houlette de la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, elle opère en réalité une véritable médiation[2] portant sur des thèmes sensibles et hautement politiques –dont, dernièrement, l’organisation du scrutin de novembre 2013. Elle dispose pour ce faire d’un argument de poids, car l’intégration européenne de la Serbie dépend directement des progrès accomplis par Belgrade dans le cadre de ces négociations. Si la Serbie demeure opposée à toute forme de reconnaissance formelle du Kosovo, ce processus de négociations a d’ores et déjà permis des avancées majeures qui, à terme, rapprochent par ailleurs la Serbie d’une reconnaisse implicite.

Le «non» persistant de la Serbie à l’indépendance du Kosovo

La position officielle de la Serbie à l’égard du Kosovo est restée relativement inchangée au cours de ces dix dernières années. Elle peut se résumer en un « Tout sauf l’indépendance »[3]. La nouvelle Constitution de la Serbie, adoptée par référendum en 2006, rappelle à cet effet dans son préambule que le « Kosovo est une partie intégrante de la Serbie », et souligne « l’obligation constitutionnelle » à laquelle sont soumis les organes de l’État de « défendre les intérêts de la Serbie au Kosovo ». La classe politique serbe s’y emploie donc dans son immense majorité, à l’instar de l’actuel Premier ministre, Ivica Dačić, qui déclarait devant les Nations Unies peu après sa nomination en 2012 : « La Serbie ne reconnaîtra jamais, ni implicitement ni explicitement, et quelles que soient les circonstances, la déclaration unilatérale formulée par les autorités albanaises du Kosovo »[4].

Cette opposition de la Serbie à toute forme de reconnaissance ne saurait être aisément remise en cause. Les opinions publiques serbes plébiscitent encore la « défense du Kosovo » et un amendement de la Constitution requerrait un vote pour le moins improbable des deux tiers des députés. Le blocage, sur cette question, n’est donc pas prêt d’être levé, d’autant que les pays de l’UE n’ont pas de position commune. Alors que l’Allemagne multiplie les pressions visant à durcir le régime de conditionnalité de la Serbie en matière de reconnaissance du Kosovo[5], l’Espagne, la Slovaquie, la Grèce, la Roumanie et Chypre se refusent toujours à reconnaître l’indépendance du Kosovo. La marge de manœuvre de Catherine Ashton n’est donc pas bien grande –mais elle existe.

Acceptation de l’idée de frontière avec le Kosovo

Le dialogue entre Belgrade et Pristina, mené par Catherine Ashton à Bruxelles, a tout d’abord permis d’entériner l’idée de séparation physique entre la Serbie et le Kosovo. Cette acceptation s’est faite au forceps, au prix d’incidents récurrents et de sacrifices politiques. Jusqu’à récemment, la Serbie ne considérait pas sa frontière avec le Kosovo comme une démarcation internationale. Elle était une «ligne administrative» sous contrôle international puis européen. La tentative opérée par le gouvernement de Pristina en 2011 d’occuper de force les postes-frontières kosovars jouxtant la Serbie afin d’affirmer sa souveraineté se solda par un échec, non sans provoquer au préalable une vague d’émeutes. Ces incidents révélèrent, au besoin, que le flou légal et administratif enveloppant le statut de cette frontière, ainsi que sa porosité, contribuaient à maintenir le nord du Kosovo en zone de non-droit.

L’UE intensifia alors ses efforts en vue d’un accord sur la question. Elle l’obtint en septembre et décembre 2011, en liant l’objet des négociations à une partie de son acquis, celle relative à la Gestion intégrée des frontières (GIF), et en alignant le cadre des négociations sur celui du processus d’intégration européenne. La GIF, en pratique, prévoit d’institutionnaliser les coopérations transfrontalières, par exemple en matière d’échange d’informations ou de constitution d’équipes mixtes. Elle apporte donc une solution pratique au problème des contrôles aux frontières entre la Serbie et le Kosovo. Finalisé en décembre 2012, l’accord prévoit la création d’ici 2014 de quatre postes-frontières permanents opérés conjointement et sous un même toit par les autorités serbes et kosovares. Il met aussi un terme à toute velléité de partition du Kosovo et consacre donc implicitement l’intégrité territoriale de ce dernier.

Acceptation de la présence du Kosovo dans des instances régionales

Une autre avancée majeure s’est opérée dans le domaine très symbolique de la représentation internationale du Kosovo. Jusqu’en 2008, le Kosovo était représenté dans les forums internationaux par la mission des Nations Unies au Kosovo. Mais la déclaration d’indépendance modifia la donne. Conformément à sa nouvelle Constitution, le Kosovo revendiqua à partir de 2008 son droit à être représenté dans les instances régionales par des officiels kosovars. Cette démarche se solda par le boycott systématique de la Serbie et, par conséquent, par le ralentissement général de la dynamique d’intégration régionale dans les Balkans.

L’UE porta donc la question à l’agenda des négociations et un accord fut trouvé en février 2012, quelques heures seulement avant la décision du Conseil d’octroyer à la Serbie le statut de candidat à l’adhésion. Sans accord, la décision du Conseil eût été repoussée. L’accord prévoit la participation du Kosovo aux instances régionales sous le nom de Kosovo assorti d’une note de bas de page indiquant que cette participation ne préjuge en rien de son statut.

Acceptation de l’ordre politique et légal kosovar

Une autre étape essentielle fut franchie en avril 2013, quand la Serbie accepta, après de longues négociations, de démanteler les institutions (police, justice et structures électorales) qu’elle maintenait et finançait dans le nord du Kosovo. Ces institutions défiaient l’autorité de Pristina dans les régions à majorité serbe et entretenaient un flou légal et institutionnel propice à l’instabilité. L’accord d’avril 2013, qualifié d’historique par l’UE[6], ne prévoit pas seulement l’intégration de ces structures parallèles dans l’ordre légal et constitutionnel kosovar. Il prévoit également la création d’une association des municipalités serbes, placée sous l’autorité légale et administrative du gouvernement kosovar. Il consacre, en un mot, l’autorité souveraine de Pristina sur le Kosovo, tout en octroyant aux Serbes du Kosovo des garanties en termes de compétences locales et de représentativité nationale. Enfin, il concède au gouvernement à Pristina la responsabilité d’organiser les élections locales de novembre 2013.

Cet accord porte toutefois en lui de nombreux écueils. À l’instar de la Constitution de Dayton en Bosnie-Herzégovine, il fonde la gouvernance du nord du Kosovo sur des principes ethno-nationaux et exclut, ce faisant, des minorités moins visibles (Roma, Goranis, etc.). Par ailleurs, négocié entre Belgrade et Pristina, il ne fait pas l’unanimité parmi les Serbes du Kosovo. Mais il s’attaque avec pragmatisme aux problèmes qui faisaient de la région une zone de non-droit. Et, là encore, le rôle de l’UE fut déterminant, puisque la décision du Conseil européen de juin 2013 d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Serbie d’ici janvier 2014 au plus tard dépendait précisément de la conclusion de cet accord.

Vers une reconnaissance implicite du Kosovo ?

L’UE, au travers de son régime de conditionnalité avec la Serbie, ne promeut en aucune façon la reconnaissance explicite de l’indépendance du Kosovo. Les négociations qu’elle chapeaute, aux dires de Belgrade, n’ont pas d’effet sur la question du statut.

Et pourtant ! Les accords conclus depuis 2011 sous la houlette de l’UE entérinent un changement de fait de l’approche de la Serbie à l’égard de son ancienne province. L’acceptation de l’idée de frontière avec le Kosovo implique une certaine reconnaissance de l’intégrité territoriale du Kosovo. L’acceptation de l’idée de représentation internationale du Kosovo implique, elle, la reconnaissance, du moins partielle, du droit du Kosovo à entrer en relation avec les autres États, c'est-à-dire de la souveraineté externe du Kosovo. Et l’acceptation de l’ordre politique et légal kosovar, enfin, implique la reconnaissance de l’autorité souveraine de Pristina sur le Kosovo, c'est-à-dire de la souveraineté interne du Kosovo. Or, la reconnaissance de ces trois éléments (un territoire défini contrôlé par un gouvernement capable d’entrer en relation avec les autres États) n’est-elle pas le prélude à la reconnaissance implicite d’un État, en l’occurrence le Kosovo ?

Notes :
[1] «Statement by the spokesperson of Catherin Ashton», European Union, 8 mars 2011.
[2] Catherine Ashton ne se contente pas d’offrir ses bons offices ; elle pose également les bases et le cadre des négociations et intervient dans le processus, sans pour autant imposer une solution préconçue.
[3] Stefan Lehne, «Policy Outlook: Kosovo and Serbia: Toward a Normal Relationship», Carnegie Endowment for International Peace, New York, p.4, 2012.
[4] Ivica Dačić, «Statement of H.E.Mr. Ivica Dacic before the UN Security Council», 21 août 2012.
[5] L’Allemagne demande notamment que la Serbie lève les obstacles qu’elle a dressés contre l’adhésion du Kosovo aux Nations Unies.
[6] «Serbia and Kosovo reach landmark deal», European Union, 19 avril 2013.

* Rédacteur à Regard sur l’Est. Chercheur associé au Programme de recherche sur la gouvernance européenne (Université du Luxembourg), à la Chaire de recherche en études parlementaires (chambre des députés du Luxembourg) et chercheur-doctorant auprès des Universités de Vienne (Autriche) et du Luxembourg. Projet soutenu par le Fonds National de la Recherche du Luxembourg (AFR 2718121).

Vignette : Catherine Ashton et Atifete Jahjaga, Présidente du Kosovo, Pristina, juillet 2013 (droits : Union européenne).