Slovaquie : Une élection présidentielle qui révèle le refus du changement ?

Le 4 avril 2009, lors du second tour de l’élection présidentielle en Slovaquie, Ivan Gasparovic a été réélu président de la République avec 55,53% des suffrages. A la tête de l’Etat depuis 2004, sa victoire n’a surpris personne, à la différence du scrutin précédent.


La majorité de la population a exprimé son soutien au troisième président de la République slovaque[1], «l´homme de la continuité», dont la politique est liée à celle que les Slovaques ont connue depuis la naissance du pays en 1993.

Un clivage classique

Au premier tour de l'élection, le 21 mars 2009, les Slovaques ont eu le choix entre 7 candidats incarnant des idéologies tout à fait différentes, y compris le communisme et le conservatisme. Mais, conformément aux sondages, le véritable affrontement ne s'est produit qu'au deuxième tour qui a opposé Ivan Gasparovic (68 ans) avec 46,7% des suffrages et Iveta Radicova (52 ans), première femme à être arrivée à cette étape d’une présidentielle slovaque, avec 38% des suffrages.

Le conflit de base a été ressenti à tous les niveaux. I.Gasparovic, professeur de droit et ancien procureur général de la Tchécoslovaquie, occupe la scène politique depuis la Révolution de velours et a été président du Parlement de 1992 à 1998. Fort de son expérience politique et des valeurs traditionalistes qu’il défend, avec le soutien du parti communiste, il était le «favori» pour cette élection.

I.Radicova, quant à elle, n’a fait son entrée en politique qu’en 2003. Ancienne dissidente, professeur de sociologie depuis la chute du régime communiste et ministre du Travail, des Affaires sociales et de la Famille jusqu'en 2006, elle incarne des valeurs plus libérales. Sa campagne s’est inspirée de celle de Barack Obama, mettant en avant sa volonté de changement et se présentant comme le personnage qu’on attendait depuis longtemps.

Une carte électorale stable

Cette opposition qui divise la Slovaquie en deux est tout à fait visible sur la carte électorale. On peut parler d'une Slovaquie «provinciale», qui comprend toute la région septentrionale du pays et concerne notamment les petites villes: il s'agit d'une Slovaquie socialement traditionaliste, économiquement de gauche et qui accepte encore les valeurs du régime communiste.

De l'autre côté, on observe la région méridionale, située entre les deux plus grandes villes du pays (Bratislava et Kosice), et qui inclut également les régions proches de la frontière hongroise. Effectivement, tout ce territoire est plus libéral, pro-européen et économiquement plus à droite.

Lorsque l'on fait la comparaison avec la carte électorale de 2004, on remarque que les partisans actuels de I.Gasparovic votaient alors pour son opposant, ce qui témoigne d'une certaine instabilité de la culture politique en Slovaquie. Pourtant, les analyses démographiques montrent que la carte électorale n'a pas changé depuis la naissance du pays en 1993[2] et que la population totale (5,5 millions d’habitants) a toujours été divisée en deux parties à peu près égales.

Le problème de la loi

Peu avant le premier tour de l’élection, les médias ont révélé un paradoxe concernant la loi électorale. Le système de scrutin uninominal majoritaire à deux tours est le même qu'en France (il s’agit d’un suffrage universel), à une différence près: la loi en Slovaquie serait «mal formulée» dans la mesure où l’on se demande si les fameux 50% concernent les suffrages légitimes ou bien les suffrages exprimés! Or il s’avère que, cette fois-ci, l'un des candidats aurait très bien pu recueillir la majorité des suffrages exprimés, ce qui mènerait probablement à un procès très compliqué devant la Cour constitutionnelle.

Entre les deux tours: l’affrontement à propos de la question hongroise

Le résultat du premier scrutin a été quelque peu étonnant dans la mesure où l'on s'attendait à une victoire nette de I.Gasparovic. I.Radicova, en tant que sociologue, a elle-même pu constater son succès pourtant imprévu[3] du fait de son manque d’expérience politique. En effet, elle a largement bénéficié du soutien de la minorité hongroise, qui représente aujourd’hui environ 10% de la population slovaque; et c'est justement à propos de la question hongroise que l´affrontement entre les deux candidats a été le plus fort.

Fin mars, des milliers de tracts et d'affiches sont apparus en Slovaquie du sud: I.Radicova aurait promis d'assurer l'autonomie pour les Hongrois résidant en Slovaquie. Cette «rumeur» a été à l'origine d'une plainte portée par le chef de l'équipe électorale de I.Radicova. Cette dernière a dû se justifier lors des débats électoraux puisque le sujet de la «carte hongroise», terme utilisé par des politologues slovaques, reste malgré tout très délicat. «Après tous ces événements, il ne s'agit plus des élections du 4 avril; il s´agit d'arriver à une coexistence pacifique entre les Slovaques et toutes les minorités qui vivent dans ce pays», a-t-elle alors constaté.

Le Président actuel, quant à lui, a pris le parti d’encourager le nationalisme slovaque et n'a pas voulu coopérer avec les Hongrois[4].

Une scène politique typiquement post-communiste?

Même si la présidentielle slovaque n'a pas été le lieu de grandes surprises, les circonstances de son déroulement ont provoqué une certaine déception, car le problème des minorités et du racisme font toujours partie des thèmes les plus porteurs.

La réélection de I.Gasparovic montre que les Slovaques n´aspirent pas (encore) à de grands changements. Pourtant, ils n´oublient pas que leur Etat est très jeune et la voie qu’ils ont choisie correspond aux paroles de leur Président: «Je ne connais pas d´autre nation dans le monde qui aurait réussi à obtenir de tels succès en seulement quinze ans d´existence».[5]

[1] La Slovaquie, depuis sa naissance en 1993, a vu se succéder trois Présidents: Michal Kovac -élu en mars 1993-, Rudolf Schuster -en 1999-, puis Ivan Gasparovic qui a gagné pour la première fois l’élection présidentielle en 1994: cette victoire était alors surprenante, car il ne faisait pas partie des candidats favoris.
[2] La République slovaque naît en 1993 après le divorce tchécoslovaque.
[3] Depuis le second tour de l’élection, un million de Slovaques (les 38% qui ont soutenu I.Radicova) se demandent comment faire pour que le potentiel de cette dernière ne reste pas inexploité. Il n'empêche que, le 23 avril 2009, Iveta Radicova a dû renoncer à son mandat de députée après avoir voté illégalement à la place d´une autre députée, Tatiana Rosová, ce qui a quelque peu déçu ses partisans. Sa réputation de femme politique défendant les valeurs morales a forcément pâti de cette affaire.
[4] Les relations entre Slovaques et Hongrois donnent lieu à un véritable conflit sur les plans historique, politique et linguistique. Les hommes politiques ont fréquemment à s’exprimer sur cette question, qui rassemble, grosso modo, deux courants: d’un côté le nationalisme slovaque, de l’autre une volonté d’aboutir à une «société de citoyens», dans laquelle l´origine ethnique importerait peu.
[5] On tient compte des événements tels que l’adhésion à l’Otan (1999) et à l’Union européenne (2004), la mise en place de réformes économiques «modèles» qui ont été perçues très positivement à l´étranger, ou bien le fait que la Slovaquie ait été le deuxième pays post-communiste de la région à avoir adopté l´euro, en janvier 2009.

* Sara CINCUROVA est étudiante en LLCE (Langues, littérature et civilisation étrangères) russe, à Paris IV Sorbonne.

Photo : Site de la Présidence