Tadjikistan : ce que dit le mouvement de réhabilitation des monuments soviétiques

Par Anastasia Vinokourova (sources : BBC.ru, Lenta.ru, RIA Novosti, Spletni.biz, zn.ua)

Un groupe baptisé Pamiat (Mémoire), composé d’officiers et de bénévoles des bases militaires russes au Tadjikistan réhabilite à ses frais, depuis quelques années, les monuments soviétiques situés sur le territoire tadjik. Si certains ont été supprimés, des centaines de monuments à la gloire de l’époque soviétique continuent d’agrémenter le paysage, que ce soit dans la capitale ou en province.

Certains observateurs intègrent cette démarche dans un mouvement plus vaste de réhabilitation de l’idée soviétique, qui serait actuellement soutenu par Douchanbe. Le politologue tadjik Parviz Moullodjonov estime que cette tendance est importée directement de Russie et que le phénomène observé actuellement dans son pays est un duplicata de ce qui a été entamé plus tôt en Russie, conformément à un processus classique au Tadjikistan, qui consiste à reprendre tout ce qui vient de Moscou.

L’initiative en revient clairement aux autorités des deux pays mais la question est de savoir dans quelle mesure elle relève de la renaissance de l’idéologie soviétique et de l’activation de la propagande anti-occidentale. Le ministre russe de la Culture Vladimir Medinski n’a-t-il pas déclaré, le 20 mai 2015, qu’il ferait son possible pour protéger les monuments à Lénine qui trônent encore en Russie? Au Tadjikistan, plus largement, cette nostalgie de l’URSS qui s’exprime à travers l’entretien de ces monuments d’un passé révolu ne traduit pas forcément un attrait pour l’idéologie communiste mais bien plus sûrement pour une époque où la protection sociale atteignait un niveau dont les Tadjiks ne peuvent même plus rêver aujourd’hui.

Il est clair, toutefois, que les autorités tadjikes ont autre chose en tête. Il n’est que de prendre pour exemple l’enseignement. La période soviétique de l’histoire du Tadjikistan est étudiée dans les écoles dans le cadre du programme général d’histoire: sur 34 heures annuelles, 9 sont consacrées à la période soviétique. Les manuels d’histoire en cours dans les écoles en langue tadjike et édités il y a quelques années présentent tout ensemble l’histoire de l’installation du pouvoir soviétique en Asie centrale, la création de la RSS du Tadjikistan, la révolte basmatchi, la période des répressions staliniennes et la Grande Guerre patriotique. Or, les autorités tadjikes souhaiteraient revenir à une étude plus détaillée de la période soviétique. Mais, pour cela, il faut des manuels et personne ne sait quand ils seront écrits…

La période la plus compliquée pour le Tadjikistan contemporain est celle de la révolte basmatchi, dans les années 1920, aujourd’hui le plus souvent perçue comme à visée antisoviétique, parfois à visée religieuse. Or il se trouve qu’au cours des dernières années, quelques monuments aux héros soviétiques qui se sont battus contre les Basmatchis ont été restaurés.

Le professeur Ravchan Abdoullaev ne cache pas son dépit: du fait de la guerre civile (1991-1997), le Tadjikistan a perdu quasiment une génération d’historiens. Pendant ce temps, dans les autres pays ex-soviétiques, on publiait des matériaux historiques, on réalisait des films sur les répressions… Mais les conditions ne sont pas encore réunies au Tadjikistan pour avancer sur cette voie alors que les historiens en poste travaillaient déjà durant l’époque soviétique.