Tchétchénie: combattre en hiver

Dans la guerre qui se déroule en Tchétchénie, l’hiver est une période cruciale. Tandis que les séparatistes tchétchènes quittent les montagnes pour se fondre dans la population civile, les forces russes tentent de profiter de leur avantage et d’éradiquer toute résistance.


Chaque année, au moment où les premières neiges tombent dans les montagnes du Caucase, les séparatistes tchétchènes interrompent leurs opérations armées. L’hiver n’est pas propice à la guérilla. Ponctué de tempêtes de neige, il est marqué par des températures en forte baisse, pouvant atteindre - 4° dans la plaine tchétchène, - 6° dans les contreforts du Caucase, - 11° au-dessus de trois mille mètres, - 18° dans la zone des «neiges éternelles» et - 35° dans la plaine de Tersko-Kumskaya.

Dans les montagnes, la neige commence à tomber entre octobre et novembre. Elle couvre les plaines à partir de décembre. Il devient alors plus difficile de circuler et de se cacher: la neige rend les déplacements très visibles, les routes sont bloquées et les sources d’approvisionnement se raréfient. La plupart des combattants préfèrent donc abandonner les montagnes et rejoindre villes et villages situés dans les plaines. Ils s’y mêlent à la population civile, passant les mois froids dans leur famille ou chez l’habitant. Les combattants étrangers, notamment les Arabes, restent cependant dans les montagnes, où ils se cachent dans des cavernes et des souterrains. D’autres séparatistes trouvent refuge dans la vallée de Pankissi, en Géorgie.

«Saison morte» pour les combattants tchétchènes, l’hiver est une période de «chasse» pour les forces fédérales russes. Lors de chaque campagne d’hiver, elles tentent de mettre à profit la vulnérabilité de leurs adversaires pour en finir avec eux. Chacun sait que si la résistance tchétchène n’est pas entièrement écrasée en hiver, elle ressuscitera au printemps. D’octobre à mars, il y a donc beaucoup de «travail», expliquent les officiers russes: dans chaque ville, dans chaque village, il faut découvrir les maisons où se cachent les séparatistes et leurs «collaborateurs» afin de les arrêter et de les interroger. L’armée mène également des opérations spéciales, consistant par exemple à détruire des bases séparatistes.

«Si la résistance tchétchène n’est pas écrasée en hiver, elle ressuscitera au printemps»

Ses représentants sont volontiers triomphalistes. En octobre 2000, le général Gueorgui Chpak, commandant des troupes russes, envisageait déjà la défaite finale des combattants tchétchènes en hiver. A cette saison, les séparatistes peuvent difficilement cacher leurs positions, et «les fédéraux connaissent très bien la région», expliquait-il. «Les combattants sont convaincus qu’ils ne survivront pas à l’hiver», ajoutait le militaire, avant de vanter l’efficacité de la nouvelle tactique russe: «Si nous apprenons que des terroristes se trouvent dans telle ville ou tel village, la région est entourée et bloquée par nos troupes. Après, on passe de maison en maison pour trouver les terroristes».

Jusqu’à présent, pourtant, les troupes russes n’ont pas réussi à briser la résistance tchétchène. Les séparatistes parviennent même, avec de faibles moyens, à mener quelques attaques en hiver. Mais leur tactique consiste surtout à multiplier leurs opérations durant les mois précédant l’arrivée du froid. L’année 2002 en fournit un bonne illustration. Au cours de la dernière semaine d’août, les forces armées et de police ont perdu dix-huit hommes dans divers assauts et attentats séparatistes. Les attaques contre des hélicoptères militaires ont provoqué plus d’une centaine de morts. La prise d’otages de Moscou, en octobre, s’inscrit sans doute dans la continuité de ces actions.

Cet hiver, le Kremlin dispose de deux atouts par rapport aux années précédentes. Le premier réside dans le fait que les Tchétchènes sont moins prêts qu’auparavant à lutter contre les Russes «jusqu’à la dernière goutte de sang». La popularité des séparatistes s’est considérablement érodée. Quand, en 1996, les troupes russes ont quitté la Tchétchénie [1], la population espérait qu’une vie paisible pourrait reprendre. Mais au cauchemar de l’occupation a succédé le désordre des pouvoirs rivaux: divisée en zones placées sous l’autorité de bandes armées, la Tchétchénie a vécu plusieurs années de chaos. Aujourd’hui, de nombreux Tchétchènes détestent autant les fédéraux, responsables d’innombrables exactions, que les combattants, accusés de se complaire dans la guerre.

Le second avantage des Russes est d’ordre logistique. L’armée est beaucoup mieux préparée aux batailles d’hiver que par le passé: les soldats disposent de vêtements et d’équipements adaptés ainsi que d’une nourriture correcte. Les séparatistes survivront-ils un hiver de plus?

 

 

[1] La première guerre de Tchétchénie s’est déroulée de 1994 à 1996. La deuxième a commencé en 1999.

Par Natalia KANEVSKY