Tirana, une ville pimpante

Capitale repeinte récemment en couleurs vives, Tirana est transformée. Les Albanais continuent de témoigner d'un fort attachement pour leur capitale qu'ils estiment en passe de devenir une ville européenne moderne. Entre la place Skanderbeg, lieu central de la ville, et les "palmiers" que l'Architecture-Studio de Paris envisage de planter bientôt au cœur de la ville, la capitale albanaise reflète un nouvel ordre culturel.


Au-delà des conflits politiques internes qui perdurent et de mauvais indicateurs économiques, un nouvel espace urbain naît dans ce centre politique et économique, où règnent joie de vivre et volonté de changement.

Ecrire sur Tirana, capitale de l'Albanie, a d'abord trait à la "couleur", notion parfois irrationnelle mais en rapport étroit avec les aspirations des Albanais dans la période de transition. En effet, les mutations urbaines, notamment celles de Tirana, n'ont suivi que tardivement, en 2000, les mesures économiques de la thérapie de choc mises en place pendant les premières années des réformes. La métamorphose de Tirana[1] résulte, elle, d'une "thérapie" par la couleur, décidée par son maire, Edi Rama. Ce "politique artiste peintre" (cocktail sans égal en Europe du Sud-Est), a paré de couleurs vives les façades grises des immeubles de la capitale où le jaune, le jaune canari et les nuances de la couleur brique dominent désormais.

Ecrire sur Tirana, c'est aussi évoquer la "Tirana des paradoxes", selon les paroles d'une chanson interprétée à l'automne 2003 en pleine campagne pour les élections municipales par West Side Family, un groupe de chanteurs albanais et le maire de Tirana lui-même.

L'espace urbain - perspectives

Etendue sur une plaine, entre le Mont Dajti et des collines arrondies, Tirana est située dans la partie centre ouest de l'Albanie. Promue capitale en 1920 seulement, elle est construite autour d'un axe central, qui va de l'Université de Tirana à la gare. La rivière Lana, bordée d'espaces verts, parcourt la ville. Un désordre architectural la caractérise: des immeubles bas alternent avec quelques petites tours récemment construites à côté de l'avenue Deshmoret e Kombit. La ville étouffe en raison du trafic dense de voitures et de la construction fermée des immeubles sur un espace étroit. Sur la place centrale, dominent monuments et bâtiments érigés au gré du temps et de la mémoire: à côté de la statue de Skanderbeg (1403-1468, héros national qui a lutté contre les Turcs), on trouve une mosquée construite à partir de 1789, autour de laquelle se développa le bourg de Tirana[2]. Ce monument culturel est conservé par l'Etat. La statue de Skanderbeg se dresse face au Musée national albanais, prolongé par les bâtisses de l'Opéra et de la Bibliothèque Nationale.

Le "Bllok", jadis quartier général des cadres du parti communiste albanais fermé à la circulation, se situe au centre tout au long de l'avenue Deshmoret e Kombit. Devenu le lieu le plus branché de la capitale, il est fréquenté surtout par les jeunes Albanais. Lieu de mouvement et de circulation humaine, il est l'endroit où la nouvelle société de consommation albanaise se donne rendez-vous (on y trouve des boutiques de marque dont les surfaces commerciales valent cher) et où la vie sociale se manifeste à travers les cafés et les restaurants assaillis de clients. Rappelons à ce sujet, qu'en raison de l'arrivée d'une population en provenance du nord du pays, le nombre d'habitants de Tirana a augmenté de 600.000 personnes environ ces dernières années.

Le passage du centre vers les quartiers périphériques se fait par des rues étroites. Les évolutions de Tirana ont favorisé un cloisonnement entre d'une part, le centre de la ville où émergent cafés, restaurants et boutiques, et d'autre part, des quartiers périphériques marginaux en voie de paupérisation.

Il est à souligner que l'espace urbain sera entièrement aménagé sur la base d'une étude effectuée par l'Architecture-Studio[3], une agence parisienne lauréate du concours 2003 pour revaloriser la capitale albanaise, organisé par la mairie de Tirana. La maquette, basée sur le travail de l'architecte italien Armando Brasini qui avait effectué une étude urbanistique sur Tirana en 1925-1927, se veut une vision européenne de la capitale, avec un "esprit de modernité préservant l'âme du passé". Selon l'Architecture-Studio, la question qui se pose est de savoir s'il faut préférer la dimension verticale de la ville, afin de donner "un rythme et un ordre", à l'axe horizontal de la capitale. La maquette prévoit la construction de tours, destinées à mettre en valeur la place Skanderbeg au centre-ville. Par ailleurs, des espaces plantés de palmiers sont envisagés comme référence méditerranéenne (Cannes, Nice, Barcelone). Un tramway devra traverser l'avenue Deshmoret e Kombit et rejoindre la gare, pour y créer un second centre-ville, permettant de désengorger le premier.

Que représente la capitale pour les Albanais ?

Sans doute, les récentes mutations urbaines que Tirana a connues sous la direction de son maire Edi Rama ont-elles contribué à accroître l'intérêt des Albanais pour la ville. Mais cet intérêt est-il motivé par d'autres facteurs, sachant que la capitale n'est pas la seule ville où se manifestent la culture, les médias, l'animation ? Il existe en effet, à 40 km de Tirana, un deuxième centre, Durres. Proche de la capitale, cette ville balnéaire attire les habitants de la capitale qui s'y rendent pour des séjours de repos et de loisirs de courte et de longue durées. Centre commercial grâce à son port maritime, Durres assure le lien notamment avec l'Italie, premier fournisseur de l'Albanie.

Néanmoins, au-delà de la définition courante du terme "capitale", c'est Tirana qui représente le cœur économique du pays (à travers le commerce et ses réseaux) mais aussi le cœur politique (avec les institutions politiques centrales), deux domaines qui sont étroitement liés désormais aux relations sociales et interpersonnelles de l'ensemble de la population albanaise. Les tensions partisanes et les conflits internes deviennent des sujets politiques en vogue. Les questions politiques et de gouvernance drainent ainsi l'attention populaire vers la capitale.

La culture demeure pour autant un facteur essentiel pour les Albanais. Ainsi Tirana est-elle également le cœur culturel du pays. Elle est l'arène des spectacles, des festivals, des chanteurs aimés du public. Une fête traditionnelle organisée à Tirana entraîne le déplacement des habitants des autres villes vers la capitale, une population éprise de joie de vivre, transformant une journée en une merveilleuse occasion de savourer les rites festifs et les attraits d'une ambiance méditerranéenne.

Sur le plan institutionnel, Tirana est le lieu des rencontres avec les représentants de l'Union européenne, à la fois pour les questions touchant l'avenir européen du pays et son intégration économique régionale. C'est aussi à Tirana que le gouvernement adopte les mesures destinées à lutter contre les trafics divers, une exigence de la part de Bruxelles qui sous-tend le rapprochement entre l'Albanie et l'Union européenne. Mais les échanges illicites sont une réalité complexe dans ce pays soumis dans une large mesure à la pauvreté.

Par ailleurs, le seul aéroport du pays, "Nene Tereza" (en hommage à Mère Térésa), se trouve à Tirana. La capitale est ainsi le noyau central des transports permettant d'articuler toutes les relations économiques, sociales et politiques avec l'étranger.

Une partie des jeunes Albanais envisagent le monde extérieur, l'étranger, comme une opportunité pour résoudre leurs problèmes. Parallèlement, les transformations urbaines touchant aux modes de consommation (restaurants, cafés, magasins) incarnent pour les Albanais l'élargissement du champ des visibles et des possibles dans la transition vers le post-communisme; ainsi, pour les Albanais en quête d'une amélioration de leur quotidien, Tirana représente aussi ce lieu de changement tant souhaité par une population fortement préoccupée par sa survie économique.

 

* Arta SEITI est doctorante, chercheur associé au Centre de géostratégie de l'ENS-Ulm

Vignette : Tirana. Photo libre de droits, attribution non requise.

[1] Consulter les sites http://www.tirana.gov.al et www.tiranaguide.com.al
[2] La mosquée fut achevée 1821 par Ethem Beu.
[3] http://www.architecture-studio.fr (voir rubrique Actualités). Roueïda Ayache et Marc Lehmann sont les architectes qui ont conçu la maquette de Tirana.

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