Une nouvelle faculté d’architecture en Lettonie: Entretien avec Oskars Redbergs, directeur des études d’architecture à la RISEBA

Quel bilan peut-on tirer, un an après la création d'une nouvelle faculté d'architecture et de design à Riga? Le directeur des études d'architecture de l'École supérieure privée RISEBA, Oskars Redbergs, explique pourquoi cette nouvelle formation est nécessaire dans le contexte économique actuel.


L'université privée RISEBA (École supérieure internationale d'économie et d'administration des Affaires de Riga) s'est dotée en 2011 d'une faculté d'architecture et de design (FAD)[1]. La nouvelle faculté s'est installée sur les bords du canal Zunda à Riga, dans la friche d'une ancienne usine de cellulose et de meubles, progressivement transformée en quartier créatif. Cet emplacement fait symboliquement face au campus de l'Université technique de Riga (RTU), université publique située de l'autre coté du canal, premier établissement de formation d'architectes en Lettonie par ses effectifs et son histoire[2]. D'ailleurs, les méthodes d'enseignement de la faculté d'architecture et d'urbanisme de la RTU semblent avoir servi de repoussoir à l'établissement de la nouvelle faculté[3]. Le mot d'ordre revendiqué par la FAD est le décloisonnement, aux sens propre et figuré: étudiants et enseignants étrangers sont les bienvenus car les cours sont menés avant tout en anglais, tandis que la faculté n'occupe qu'un vaste open space situé au 2e étage de l’ancienne usine. En outre, la faculté d'architecture et de design de la RISEBA rejette l'architecture spectacle et met la priorité sur l'architecture de bois, les techniques de rénovation et la régénération urbaine. L'actuel directeur des études d'architecture à la RISEBA, Oskars Redbergs, nous explique pourquoi cette nouvelle formation et ces orientations sont aujourd'hui nécessaires à la Lettonie.

Propos recueillis le 15 octobre 2012 et traduits du letton par:
Eric Le Bourhis

Eric Le Bourhis: Pourquoi créer aujourd'hui une faculté d'architecture et de design en Lettonie? Et pourquoi à la RISEBA?
Oskars Redbergs: La RISEBA est une école supérieure privée, une des premières de Lettonie. Elle commémore en effet cette année son 20e anniversaire. Cette école est connue avant tout pour sa formation en entrepreneuriat. Depuis cinq ans environ, la RISEBA s'intéresse toutefois aux professions de la création et a établi en son sein une faculté des arts audiovisuels et des médias. C'était alors quelque chose de nouveau et la demande de la part des jeunes est très forte. L'architecture était le pas suivant dans la même direction. L'Université Bahçeşehir, un établissement privé situé à Istanbul, a partiellement inspiré il y a environ trois ans ce projet de création d'une nouvelle formation en architecture à Riga. Nos collègues turcs ont alors participé à l'élaboration du programme initial de formation. Puis c'est moi qui ai repris la direction des études. Et nous avons complété le programme de la formation avec une réorientation vers l'Europe de l'Ouest. L'émigration lettone vers l'Ouest est très forte. Les jeunes sont prêts à partir en Grande-Bretagne pour vivre, se former et habiter, mais pourquoi ne pourraient-ils pas le faire ici? Pourquoi, à cause de la langue, ne peut-on pas faire venir des enseignants étrangers? Il faut créer un environnement tel que nous puissions collaborer avec des enseignants étrangers en anglais et proposer aux étudiants de rester ici en obtenant une formation de même valeur ou presque que celles de l'Europe de l'Ouest. Je pense que nous aurons une formation de bon niveau dans quelques années.

Est-ce que la Lettonie manque d'architectes?
La Lettonie ne manque peut-être pas d'architectes, mais de bons architectes. Or la demande de formation en architecture est importante. Le concours d'entrée à la faculté d'architecture et d'urbanisme de l'Université technique de Riga (RTU) a toujours refoulé en partie cette demande. Il me semble que, quand je suis entré à la RTU au début des années 1990, il y avait 19 candidats pour une place. Pourquoi ne pas offrir une formation concurrentielle? Nous développons également le programme des études de manière à pouvoir accueillir au moins un tiers d'étudiants en provenance de la CEI. Riga était une métropole occidentale de l'Union soviétique. Cette réputation n'a pas disparu. Nous avons déjà une étudiante du Bélarus en première année sur une promotion de trente étudiants. Nous avons là la possibilité de réunir à la fois des enseignants de l'étranger et les meilleurs architectes et chercheurs de Lettonie, comme les architectes Jānis Lejnieks ou Ilmārs Dirveiks, qui s'occupe lui spécifiquement de rénovation. Voilà par exemple un thème où nous sommes forts. Mais il faut voir ce qui nous manque: une bonne architecture contemporaine, une pensée abstraite et conceptuelle et des méthodes de travail. Ces éléments sont absents de la formation dispensée à l'Université publique. C'est pourquoi j'ai moi-même quitté la Lettonie pour acquérir ces compétences ailleurs[4]. C'est ainsi que nous espérons attirer des étudiants de l'Est et créer ainsi un pont entre l'Est et l'Ouest. À peu près tout le monde ici parle trois ou quatre langues.

Quel travail peuvent trouver les diplômés en architecture, en Lettonie?
L'objectif de la formation est que les diplômés ne ressentent aucune difficulté dans une situation où il viendrait à manquer de travail en Lettonie. Qu'est-ce qui s'est passé quand la crise économique a commencé [en 2008]? Presque aucun architecte letton n'a été en mesure de proposer ses services en dehors des frontières du pays. Ils sont tous habitués aux commandes publiques et à des commanditaires locaux. Et quand cette possibilité a disparu? Aucune agence n'avait de filiale à l'étranger, ni d'expérience à l'étranger. Les architectes de Lettonie n'ont pas été capables de participer à des concours internationaux, ni d'obtenir de commandes à l'étranger. C’est pourquoi nous obligeons nos étudiants à faire des stages professionnels à Berlin ou à Bruxelles, c'est-à-dire à travailler dans des agences à l'étranger déjà pendant le temps des études. L'essentiel est d'abattre ces frontières qui n'existent pas. C'est le marché libre qui encadre les services d'architecture. Rien ne doit empêcher un architecte de travailler où il veut.

Combien coûtent les études d'architecture à la RISEBA?
Les études coûtent 3.000LVL [environ 4.300€] par an, avec une réduction de 20% pour les étudiants lettons[5] ainsi que pour tous les étudiants en provenance de l'Union européenne. Nous disposons d'une bourse symbolique par promotion pour le meilleur étudiant mais nous sommes très fiers du fait que des grandes compagnies commencent à soutenir les étudiants. L'an passé, un étudiant a reçu une aide de la UPB Holding[6] qui considérait que la formation d'architecte pouvait aider à avoir une pensée plus globale et systémique dans le domaine des affaires.


La faculté faculté d'architecture et de design (FAD) de la RISEBA, Riga (Oskars Redbergs, 8 octobre 2012).

Pourquoi l'histoire a-t-elle une si grande place dans le cursus?
Je dirais que la pensée rétrospective est très importante pour les Lettons. Les architectes lettons savent produire un bon travail là où il y a un contexte historique, ils aiment travailler non pas dans des espaces vides, mais sur des territoires limités qui possèdent déjà une ambiance, une identité. L'héritage historique est important pour les Lettons. C'est pourquoi nous avons prévu des cours d'histoire de l'architecture à chaque semestre de la formation, ainsi que des cours d'histoire de l'architecture de Lettonie et de l'architecture mondiale, des cours de culture architecturale, des cours sur le patrimoine et sur les questions de protection du patrimoine mondial par l'UNESCO. La rénovation du cadre bâti, c'est le premier problème d'architecture en Lettonie aujourd'hui: il y a tant de logements et de bureaux vides, d'anciennes usines, que, compte tenu des pronostics démographiques, construire de nouveaux bâtiments n'est pas une priorité. Nous avons par exemple organisé en 2012 avec les étudiants de première année une réflexion sur la transformation d'un pavillon de la fin du 19e siècle en café dans le Jardin zoologique de Riga. C'était un beau projet et nous avons reçu le soutien de l'ambassade de Belgique. Les projets des étudiants ont été exposés sur place durant tout l'été, et maintenant, on peut encore voir là-bas un grand panneau présentant ce travail[7]. Il est important pour les architectes de communiquer sur leurs travaux, de raconter ce qu'ils font au public, même pendant les études.

Quel niveau de formation les étudiants peuvent-ils acquérir et quel travail peuvent-ils ensuite trouver?
Pour l'instant, nous menons les étudiants seulement jusqu’à la licence mais, l'an prochain, nous devrions accueillir des étudiants en master si nous recevons l'accréditation du gouvernement. Il est possible de trouver un travail avec une licence en architecture mais cela ne garantit pas un bon salaire. Ce qui est important pour les architectes, c'est la certification par l'Union des architectes de Lettonie. Et je fais partie du Conseil de direction de l'Union. Trois ans après la fin des études, un jeune architecte doit présenter à l'Union des architectes un portfolio avec ses propres travaux ainsi que le travail qu'il a réalisé sous la direction d'un architecte certifié. Il y a presque un millier d'architectes certifiés en Lettonie aujourd'hui.

Quels contacts avez-vous avec d'autres universités?
Nous avons des échanges avec l'Université Bahçeşehir d'Istanbul. Cette université possède déjà de nombreuses filiales –à la Silicon Valley, au Japon– et vient d’en créer une nouvelle à Berlin. Ainsi, ses dirigeants pensaient peut-être que la FAD de Riga pourrait devenir un satellite ou une filiale. Les études coûtent très cher en Turquie et Riga représentait certainement une opportunité pour eux. Mais la RISEBA a décidé de développer elle-même ce programme d'architecture et la collaboration a évolué vers de simples échanges académiques. Ainsi, nous invitons chaque année le doyen de la faculté d'architecture et de design de l'Université Bahçeşehir, Ahmet Eyüce, pour un cours d'introduction à la culture architecturale. Pour chaque vacance de poste d'enseignant, nous organisons un concours et sollicitons nos contacts en Allemagne, en Belgique, au Canada ou ailleurs. C'est ainsi que l'architecte allemande Vanessa Miriam Carlow a enseigné l'année dernière chez nous. Elle a même emmené les étudiants à Berlin mais, cette année, elle est partie enseigner à l'Université technique de Braunschweig. Aujourd'hui, la moitié de nos enseignants vient d'Argentine, de Belgique, de Russie, etc. Nous avons de très bons rapports avec les facultés d'ingénierie de la RTU et collaborons avec différents spécialistes techniques qui y enseignent. Mais au départ, nous n'avons pas pu engager d'enseignants de l'Université publique de Lettonie. Cette contrainte nous a obligés à chercher ailleurs.

Quelle différence fondamentale existe entre cette faculté et la FAD?
La RTU, en tant qu'université publique, est tenue d'offrir un enseignement entièrement en langue lettone. Elle ne peut donc accueillir d'enseignants étrangers. Mais pourquoi aurions-nous besoin d'étudiants et d'enseignants étrangers? Il n'existe pas de réponse univoque à cette question. La FAD affirme ce besoin d'ouverture. Tout le monde ici parle plusieurs langues. Et les réseaux académiques rapprochent des universités au-delà des frontières. Ce que nous recherchons avant tout, c'est la qualification professionnelle. Nous avons également un autre objectif: former une nouvelle génération d'enseignants en architecture car personne aujourd'hui en Lettonie n'est en mesure d'enseigner comme on le fait à l'Ouest.

Notes:
[1] Cf.: http://www.architecture.riseba.lv
[2] L'Université technique de Riga se présente comme l'héritière de l'Institut polytechnique de Riga où l'architecture a été enseignée à partir de 1869. L'université d'agriculture de Lettonie (LLU), située dans la ville de Jelgava, possède également un programme de formation en architecture du paysage.
[3] Jānis Lejnieks, “Arhitektūras studijas RISEBĀ” (entretien avec le directeur des études d'architecture de la RISEBA, Oskars Redbergs), Latvijas arhitektūra, n°99, janvier 2012, p.92-96.
[4] Oskars Redbergs a complété ses études par un programme international à l'Académie royale du Danemark et a poursuivi ses études, après son diplôme d'architecte en 1999, à la Städelschule de Francfort-sur-le-Main. Cf. http://www.architecture.riseba.lv/study/academic-staff
[5] Précisons que le salaire mensuel moyen en Lettonie était de 700€ au milieu de l'année 2012.
[6] UPB Holding est un groupe industriel letton qui regroupe une quarantaine d'entreprises, principalement des secteurs de l'industrie de la construction et de l'énergie. Le groupe possède des filiales en Scandinavie, en Allemagne et en Suisse.
[7] Voir: http://www.facebook.com/media/set/?set=a.415677485143287.98841.138120946232277&type=3

Vignette: source http://www.h2o6.lv/h2o6/par-h2o6
Le logo sur la façade du bâtiment qui abrite la FAD ainsi que la faculté des arts audiovisuels et des médias de la RISEBA est l'abréviation de l'adresse postale: Ūdens iela 6 («6, rue de l'Eau», en letton).