Bélarus : Tchernobyl, 35 ans après la catastrophe

Le 26 avril 2021 marque la 35ème commémoration du plus grand accident atomique de l’histoire. Avec près d’un quart de son territoire atteint par les retombées radioactives de Tchernobyl, le Bélarus reste le pays le plus contaminé d’Europe. Aujourd’hui, une équipe de scientifiques continue le travail de protection des civils dans les territoires marqués par le sinistre.


Panneau zone d'exclusionÀ proximité du poste-frontière vert et jaune menant à la zone d’exclusion, le panneau annonce une mesure de 0,52 microsievert (μSv) par heure. Cela correspond à de faibles doses de radioactivité mais celles-ci, accumulées chaque jour sur le long terme, peuvent devenir néfastes pour la santé d’un individu.

Il n’y a pratiquement plus aucune forme d’activité humaine dans les environs des 96 villages qui occupent la zone d’exclusion du Bélarus. Celle-ci s’étend dans un périmètre de 30 kilomètres autour de la centrale de Tchernobyl. Suite à l’explosion du réacteur N°4 de la centrale nucléaire, le 26 avril 1986, ce sont plus de 20 000 personnes côté Bélarus (350 000 personnes avec les zones ukrainienne et russe) qui ont dû laisser derrière elles leurs maisons et une terre devenue inhabitable.

Check point

Le site est désormais fréquenté par des équipes de scientifiques qui étudient le développement de la flore ainsi qu’une faune constituée d’une cinquantaine d’espèces d’animaux sauvages. Les équipes de sécurité s’assurent, quant à elles, de veiller à contenir les possibles feux de forêt qui menacent de ravager la réserve. Leurs fumées seraient susceptibles de transporter des nucléides, tel que le césium-137, vers des zones habitées.

C’est en décembre 2018 que cette partie du territoire du Bélarus, située dans la réserve radioécologique d’État de Polésie, est devenue accessible aux touristes accompagnés d’un guide certifié par le gouvernement du Bélarus. Pour le moment, ce ne sont que quelques dizaines de groupes par an qui s’y rendent. Quant à la zone d’exclusion du côté ukrainien, depuis son ouverture en 2011, elle n’a cessé d’observer une fréquentation croissante pour atteindre un record de 70 000 visiteurs en 2019.

Y-a-t-il un risque pour la santé à visiter la zone d’exclusion ?

La radioactivité n’est pas visible et elle n’a pas d’odeur, mais elle est partout et avec des taux inégaux. Dans l’ancien village d’Orevichi, le dosimètre mesure un taux de radioactivité de 2,21 μSv/heure (soit 19,3 millisierverts -mSv- par an). En France, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) fixe le taux de 10 mSv/an (trois fois la dose annuelle reçue par la population française) comme étant celui à partir duquel des mesures de protection des civils deviennent nécessaires. Selon Peter Philon, le directeur de l’agence Pripyat Tour, se rendre dans la zone d’exclusion pour une journée équivaut à recevoir un taux de radiation similaire à celui d’un voyage en avion. Ces terres hautement radioactives, regorgeant de cesium-137, de strontium-90 ou de plutonium, rendent impossible l’établissement de la vie humaine sur le long terme. Quant à la centrale de Tchernobyl, distante de 12 km depuis le village fantôme de Krasnosele, elle reste observable par temps clair depuis le haut d’une tour de garde.

Dosimètre

L’institut de radioprotection Belrad

Cet institut reste la seule organisation non-gouvernementale du pays à œuvrer pour la prévention et la protection d’une dizaine de milliers de personnes, pour une population d’environ 1,1 million d’habitants établie dans les territoires contaminés en dehors de la zone d’exclusion, principalement autour de Gomel, Moguilev et Brest.

Cet institut indépendant, fondé en 1990 par le physicien Vassili Nesterenko, est soutenu financièrement par quelques associations étrangères. La radioactivité est invisible à l’œil, mais reste toujours bien présente dans les sols du Bélarus. Le césium-137 est l'un des éléments les plus préoccupants puisqu’il se retrouve dans des produits alimentaires issus de la cueillette et du fermage, par exemple dans les baies, les champignons ou encore dans le lait. En 2021, une partie de la population habitant dans ces zones rurales continue de s’alimenter avec des produits fermiers et forestiers pouvant nuire à sa santé.

Alexeï Nesterenko

Aujourd’hui, l’institut compte 26 membres et est dirigé par Alexeï Nesterenko qui poursuit le travail entrepris par son père. L’institut, basé à Minsk, a établi et contrôle onze laboratoires dans les territoires contaminés, lesquels assurent les mesures des taux de nucléides emmagasinés dans les denrées alimentaires. Un autre laboratoire d’anthropogammamétrie permet de mesurer le taux de radioactivité présent chez les individus. Belrad préconise des programmes de protection pour améliorer la santé et le bien-être d'enfants malades de la radioactivité. Par exemple, l’usage de pectine, un complément alimentaire à base de pomme, permet d’absorber une partie du césium-137 assimilé dans le corps des enfants. Il a été observé que la pectine peut faire diminuer jusqu’à 65 % le taux de nucléides dans l’organisme.

La préoccupation majeure est celle d’une contamination interne observée depuis une trentaine d’années. En se nourrissant quotidiennement de produits dit « sales », les enfants sont sujets à développer des maladies cardio-vasculaires, des leucémies et autres formes de cancer. Encore actuellement, le taux de becquerels (bq) par kilo mesuré dans l’organisme de milliers d’enfants dépasse les doses admissibles. Selon A. Nesterenko, il faudrait moins de 20bq/kg pour ne pas être inquiet mais en 2020, sur 10 000 enfants pris en charge dans 60 écoles, 70 % affichaient un taux supérieur. Il est observé que dès 50bq/kg, des lésions peuvent apparaître au niveau des organes. Cependant, la possibilité d’une contamination interne et de ses effets néfastes sur la santé est ignorée par les autorités du Bélarus qui ont stoppé tout support financier à l’institut Belrad depuis 2001.

Anthropogammamétrie Belrad

Le césium-137 va progressivement disparaître des sols. Il a déjà perdu la moitié de sa radioactivité et il perdra la moitié des 50 % restants dans les trente prochaines années pour ne laisser véritablement aucune trace qu’au bout de deux cents ans. De nombreux autres composants restent présents, comme la moitié du plutonium qui mettra une vingtaine de milliers d’années à quitter les sols.

Roza Gontcharova

Par ses études sur l’influence d’une contamination sur l’organisme humain via les faibles doses radioactives, la professeure Roza Gontcharova, membre de l’Institut de génétique du Bélarus, soulève un problème plus vaste relevant d’une contamination interne au cesium-137. D’après ses recherches, le métabolisme humain pourrait subir une altération du système génétique, lequel, transmis au travers des futures générations, favoriserait un risque de maladies cardiaques et de leucémies. Ayant étudié les effets de la radioactivité sur le patrimoine génétique de 22 générations de rongeurs entre 1986 et 2006, elle relève des aberrances au niveau chromosomique ainsi qu’une augmentation des pertes d’embryons jusqu’à la dernière génération, pourtant moins confrontée à la radioactivité. Jusqu’à présent, aucun organisme de santé ne reconnaît le risque d’une possibilité de mutation du patrimoine génétique humain et de sa transmission intergénérationnelle à cause de la radioactivité.

Une école dans la zone d'exclusion

Peu audibles auprès des institutions internationales comme des autorités du Bélarus, A. Nesterenko et R. Gontcharova s’entourent d’autres alliés. Roza Gontcharova insiste sur l’exceptionnelle humanité et grandeur d’âme de l’écologiste française Solange Fernex, qui a mis toutes ses forces pour sauver l’institut Belrad. Décédée en 2006, elle a en particulier créé l’association française Enfants de Tchernobyl Bélarus, qui soutient financièrement les projets de l’institut Belrad. Alexeï Nesterenko aime à rappeler que l’amélioration de la situation repose sur les aides attribuées par les associations.

 

Pour soutenir l’institut Belrad, visitez son site.

 

* Adrien CLEMENCEAU (texte et photos) est reporter indépendant.

 

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