“Tchernobyl est un mot que nous aimerions effacer de notre mémoire[…] pourtant cette tragédie ne doit pas être oubliée” disait Kofi Annan, Secrétaire Général de l'ONU en décembre 2000, au moment de l’arrêt définitif du dernier réacteur de la centrale. À quelques semaines du vingtième anniversaire de Tchernobyl, quel bilan tire-t-on de la plus grande catastrophe nucléaire de l’Histoire ?
Décidée en 1966, la construction de la centrale de Tchernobyl s’inscrit alors dans la politique de l’Union soviétique de développer largement la production d’énergie d’origine nucléaire. Six réacteurs nucléaires doivent être mis en service sur le site de Tchernobyl: le réacteur n°1 démarre en septembre 1977[1]; le réacteur n°2 en décembre 1978[2]; le réacteur n°3 en 1981[3]; le réacteur numéro 4 en 1984[4]; et la construction des réacteurs 5 et 6 démarre en 1981. Elle sera abandonnée à la suite de la catastrophe.
En effet, à Tchernobyl le 26 avril 1986 à 1h23 du matin, des circonstances conduisent à une panne du circuit de refroidissement du réacteur de la quatrième tranche de la centrale. L’échauffement du réacteur provoque la vaporisation de l’eau du circuit, et donne naissance à des réactions chimiques qui se traduisent par la production d’hydrogène et d’oxyde de carbone. Le mélange détonant détruit le toit du bâtiment, libérant dans l’atmosphère les vapeurs radioactives, et laissant à l’air libre le réacteur en fusion brûlant à des températures de l’ordre de 1500°C. Ces radiations représentent 100 fois celles émises par les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki cumulées. L’émission de rejets radioactifs durera 10 jours.
Passés plusieurs jours de silence absolu, les autorités procèdent à l’évacuation précipitée de quelques 116.000 personnes après avoir défini une zone d’exclusion de 30kms autour de la centrale[5].
Le “sarcophage”
Peu de temps après la catastrophe du 26 avril, les autorités russes font construire en quelques mois un bâtiment appelé «sarcophage» au-dessus du réacteur accidenté. Il s’agit de répondre alors à trois exigences :
-empêcher que la radioactivité présente dans la lave et les structures restantes du réacteur ne se dispersent dans l’environnement
-empêcher que la pluie ne pénètre dans ce qui restait du réacteur et d’entraîner la contamination des sols.
-permettre d’exploiter l’unité 3 mitoyenne de l’unité accidentée qui partageait des installations communes avec l’unité 4.
Toutefois, construit à la va-vite, le sarcophage menace rapidement de s’effondrer. En 1998, le projet SIP (Shelter Implementation Plan) a été lancé par un groupe de travail d'experts en sûreté nucléaire du G7 et par le gouvernement ukrainien. Ce projet prévu sur huit ans, dont les objectifs principaux sont la stabilisation du sarcophage et la mise en place de mesures de protection des travailleurs et de l'environnement, est financé par la BERD pour un montant initial de 760 millions de dollars (dont 50 millions du gouvernement ukrainien)[6]. Les travaux ont débuté en mars 1999 et se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
Quelles conséquences sanitaires et écologiques?
Les premiers touchés par les radiations sont les sauveteurs à qui l’on a donné le nom de «liquidateurs», de jeunes hommes amenés en hâte de tous les coins de l’Union soviétique: selon les estimations, 600.000 à 800.000 soldats et fonctionnaires ont été expédiés sur place juste après l’explosion pour neutraliser le réacteur et enterrer les déchets contaminés. Les liquidateurs fortement irradiés ont été transportés en hâte à Moscou dans un hôpital spécialisé où ils ne pouvaient pas recevoir la visite de leurs proches. Les morts sont enterrés dans un cimetière dédié près de Moscou, à Mitinsk, sous des plaques de plomb.
L’émission de radiations a eu bien évidemment des conséquences sur la santé des hommes. Les populations ont été gravement touchées en Biélorussie, en Scandinavie, en Europe centrale et occidentale puis en Europe du Sud à cause de la formation de nuages radioactifs qui, au contact des vents, se sont orientés selon les conditions météorologiques. Dans ces nuages se trouvaient deux principaux radioéléments:
-l’iode 131 qui a une demi-vie ou période de huit jours (temps nécessaire pour que la moitié des atomes d’un isotope radioactif se désintègre) et qui après incorporation par ingestion ou inhalation se fixe sur la glande thyroïdienne notamment sur les populations présentant une carence alimentaire en iode (principalement les moins de 15 ans) provoquant ainsi une augmentation des cancers de la thyroïde;
-le cesium 137 quant à lui a une demi-vie d’environ 30 ans et se fixe dans les tissus mous (muscles, reins, foie…) ainsi que dans les tissus osseux des enfants qui, à plus ou moins long terme peuvent développer des cancers ou encore des pathologies cardiaques, des dysfonctionnements rénaux, des cataractes ou encore l’effondrement des défenses immunitaires. Peu après l’accident, on a vu naître dans les alentours de la centrale, de nombreux animaux avec des malformations (un poulain 8 pattes, un veau à 2 têtes...). Mais ces mutations touchent également les hommes. En effet, depuis 1986 la fréquence des mutations chez les enfants a été multipliée par 2.5 et l’on constate des anomalies chez les nouveau-nés. Cela a entraîné en Ukraine et en Biélorussie, une chute brutale de la natalité car de plus en plus de femmes se refusent à mettre un enfant au monde, par crainte de malformations dues à la radioactivité du territoire.
Les retombées de Tchernobyl ont également eu des conséquences sur la nature et logiquement sur les aliments.
Un rapport récent de l’ONU qui fait parler de lui…
Un rapport volumineux publié par l’ONU en septembre 2005 et intitulé « Chernobyl’s Legacy: Health, Environmental and Socio-Economic Impacts » (L'héritage de Tchernobyl : impacts sanitaires environnementaux et socio-économiques) évalue les conséquences sur 20 ans du plus grave accident nucléaire civil de l'histoire. A en croire les auteurs, difficiles à identifier car le rapport n'est pas signé, le nombre total de victimes du 26 avril 1986 s’élèverait à 4000 personnes!
Selon ces mêmes auteurs, l’un des plus graves problèmes des populations des zones contaminées serait le "désordre psychologique" s'exprimant par «[un] manque de confiance dans son propre état de santé, [des] craintes exagérées pour l'espérance-vie».
Cette évaluation de 4000 victimes correspond au chiffre suggéré par l'AEIA[7], nobélisée en 2005. Le rapport de l'ONU s'appuie fortement sur des propos de spécialistes de l'OMS. Toutefois, selon un accord signé en 1959 entre l'AEIA et l'OMS, les programmes de recherche de l'OMS sur le nucléaire doivent faire l'objet d'une « concertation » avec l'AEIA. En clair, l'Organisation Mondiale de la Santé perd son indépendance dès qu'elle veut parler du nucléaire. Dans ces conditions, jusqu’à quel point ce rapport supposé sérieux est-il crédible ?
Par Aurélie GAUTHIER
Photo : centrale de Tchernobyl - tirée de http://archiv.radio.cz/
[1]Le réacteur numéro 1 est arrêté en novembre 1996.
[2]Le réacteur numéro 2 est hors service depuis 1991 à la suite d’un incendie. Les autorités ukrainiennes ont décidé de sa mise à l’arrêt définitive en mars 1999.
[3] Après 1995, le réacteur numéro 3 a subi de nombreux arrêts pour des opérations de maintenance, de contrôle et de réparation. En juin 2000, les autorités ukrainiennes ont pris la décision de l’arrêter définitivement le 15 décembre 2000.
[4]Le réacteur numéro 4 a explosé le 26 avril 1986.
[5]Aujourd’hui, cette zone est fermée et gardée militairement;il faut une permission spéciale pour y accéder.
[6]Peu avant le début des travaux, les coûts estimés sont passés de 760 millions à 1,2 milliard de dollars.
[7]Agence Internationale de l’Energie Atomique