Du naturisme en Croatie

Le naturisme, né en Allemagne au début du siècle dernier, s'est vite répandu sur la côte Est de l'Adriatique. Les stations naturistes sont aujourd'hui un secteur-clé de l'industrie touristique.


Le naturisme organisé, appelé Freikörperkultur (Culture du corps libre) en Allemagne, son pays d’origine, est apparu au début du 20e siècle. Plus qu’un simple phénomène de société, c’est un mouvement qui prend forme. Rejetant les modes de vie traditionnels pour promouvoir l’adoption d’un style plus “ naturel ”, le naturisme introduit certes une tenue vestimentaire moins contraignante, mais il impose, à ses débuts, certaines règles : interdiction de fumer et de boire, végétarisme et pratique de la gymnastique suédoise.

C’est à Hambourg, en 1903, qu’est ouvert le premier club naturiste connu. Quelques mois plus tard, Heinrich Ungewitter publie son célèbre Die Nacktheit (La nudité), sorte d’utopie de la vie nue, qui connaîtra de nombreuses réimpressions. Le mouvement naturiste prend rapidement de l’ampleur, en particulier dans les grandes villes. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933 pousse les naturistes à la clandestinité et leur fait perdre une grande partie de leurs adeptes. Mais le naturisme est déjà bien implanté, tant sur le plan national qu’international. Il n’aura donc aucun mal à poursuivre son développement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, le naturisme se définit d’abord par la pratique de la nudité complète dans un cadre communautaire. Il s’inscrit toutefois dans un contexte beaucoup plus large puisque son but profond est de développer la plénitude et la stabilité du corps et de l’esprit humain. La nudité est en effet une composante essentielle (mais non exclusive) du naturisme. Ce dernier fait aussi la promotion de la santé à travers le contact du corps avec les éléments naturels : le soleil, le vent, l’air et l’eau. De ce fait, il doit être pratiqué de préférence dans un environnement libre de polluants et éloigné du stress de la société. En bref, pour reprendre les mots de Branka Biskic, directrice du camp “ Pogled na more ” en Dalmatie (voir entretien), le naturisme est associé à “ une approche éclairée et holistique de la nutrition, de l’activité physique et de l’interaction sociale ”.

Les débuts du naturisme en Croatie

Il est impossible de dater précisément la naissance du naturisme en Croatie, mais on sait que les premières plages naturistes sont apparues au début du 20e siècle. Celles-ci étaient concentrées sur l’île de Rab du golfe de Kvarner, considérée aujourd’hui comme le berceau du naturisme en mer Adriatique. En 1934, Richard Ehrman, président de la Fédération naturiste internationale (Vienne) y ouvre officiellement la première plage naturiste. On tend toutefois à retenir l’année 1936 comme marquant les débuts du naturisme en Croatie. Et pour cause : lors de leur séjour à Rab, le roi Edouard VIII d’Angleterre et sa femme sont autorisés par les autorités locales à se baigner nu dans la baie de Kandarola. De nos jours encore, cet endroit est parfois appelé “Baie anglaise” ou “Plage anglaise” par les habitants.

Dans les années 1950, la Croatie devient le premier pays d’Europe à développer le concept de stations naturistes commerciales, alors que la pratique du naturisme était jusqu’alors confinée aux clubs à membres. Le mouvement connaît son véritable essor dans les années 1960 avec l’ouverture de nombreux camps en Istrie et en Dalmatie. A l’époque, plus de 100.000 naturistes séjournaient en Croatie chaque année. Le plus célèbre de ces camps est sans doute celui de Koversada.

Le camp de Koversada

Une légende locale raconte que Giacomo Casanova a été la première personne à se baigner nu sur l’îlot de Koversada. Deux cents ans plus tard, un directeur d’agence touristique allemand, à la recherche d’un endroit “ idéal ” pour pratiquer le naturisme en compagnie de ses invités, s’arrête dans le village de Vrsar (Istrie), non loin de Koversada. L’un des lieux préférés des nudistes européens était né. Très vite, ces derniers se rendent à Koversada pour se baigner et se bronzer. En 1961, Koversada obtient officiellement le statut de camp naturiste. Mais l’îlot devient bientôt trop petit pour accueillir tous les naturistes. Le camp est ainsi agrandi autour de Vrsar.

Aujourd’hui, Koversada est l’une des destinations naturistes les plus fréquentées en Europe puisqu’il peut accueillir 7.000 personnes. Il s’étend sur 120 hectares, entourés par 5 km de côte. Dix restaurants et deux supermarchés sont à la disposition des visiteurs.

A côté des sites naturistes officiels, la Croatie compte un très grand nombre de plages dites libres. Elles sont généralement de petite taille et nichées dans des criques tout le long de la côte adriatique. Les plages officielles, elles, qui relèvent pour la plupart de complexes touristiques, sont signalées par des panneaux portant la mention “ FKK ”, abréviation allemande de “ Freikörperkultur ”.

Au vu de ces nombreuses plages, que regagnent progressivement les nudistes après la forte baisse d’affluence liée à la guerre, on constate que le naturisme a encore de beaux jours devant lui en Croatie. On estime à 15% du nombre de touristes étrangers la proportion de nudistes. Autrement dit, un peu plus d’un million de naturistes s’y retrouvent chaque année. Le pays peut donc compter sur cette clientèle pour continuer à redresser son industrie la plus importante, le tourisme.

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Entretien avec Branka Biskic, directrice du camp naturiste “ Pogled na more ” en Dalmatie.
Comment expliquez-vous l’engouement pour le naturisme dans votre pays ?

La Croatie s’appuie sur une longue tradition dans ce domaine. D’abord, il faut rappeler que, sur un plan touristique en général, le nord du littoral, en particulier la ville d’Opatija, accueillait, à la fin du 18e siècle, la noblesse austro-hongroise dans de luxueux hôtels et sanatoriums. Jusqu’en 1914, les têtes couronnées, telles que François-Joseph d’Autriche et Guillaume II d’Allemagne, passaient leurs vacances à Opatija. En fait, tout le gotha européen s’y retrouvait : millionnaires, grands artistes et hommes politiques. Il y avait donc à la base une solide infrastructure touristique. Et puis les touristes ne venaient pas seulement pour les hôtels, les cafés viennois et les casinos, mais aussi pour la balnéothérapie et les plaisirs de la baignade.

Étant donné que le naturisme est né dans les pays germaniques, on comprend dès lors que celui-ci ait aussi pris racine très tôt dans la région, le littoral croate ayant été après tout l’un des seuls débouchés maritimes de l’Autriche-Hongrie. Après la Seconde Guerre mondiale, le développement du tourisme de masse n’a fait que renforcer cette tendance. Il faut souligner également que l’Adriatique croate, avec ses nombreuses îles, plus de 1.000, et sa côte très accidentée, est particulièrement propice à la pratique du naturisme.

Aujourd’hui, d’où viennent les touristes naturistes ?

De partout en Europe, mais les Allemands et les Autrichiens sont très nombreux. Ils représentent près de 70% de notre clientèle. Ce sont majoritairement des habitués, des personnes qui reviennent chaque été depuis parfois plus de dix ans. La récente guerre a certes freiné leur ardeur, mais la plupart des naturistes qui fréquentaient notre établissement avant la guerre sont revenus. J’ai l’impression que, paradoxalement, la guerre a renforcé leur attachement à la Croatie en tant que destination naturiste. Ils sont contents de nous revoir et de se retrouver entre eux. Vous savez, les naturistes, c’est comme une grande famille. La vie communautaire est très importante. En ce sens, nous sommes assez conventionnels.

Par David BEAUSOLEIL