Regard sur l'Est : Selon vous, quelle sera la place du "Triangle de Weimar" dans l'Europe des 25?
Danuta Hubner : Avant le 1er mai 2004, le Triangle de Weimar fonctionnait avant tout comme un forum visant à promouvoir la coopération politique entre l'Allemagne, la France et la Pologne dans le contexte des négociations d'adhésion de la Pologne à l'UE. Dès lors que l'adhésion est réalisée, le Triangle de Weimar sera l'un des éléments qui composent l'architecture politique de l'UE élargie. Son rôle reste important en tant que mécanisme de coopération entre la Pologne, un nouvel Etat membre, et deux pays traditionnellement considérés comme le moteur de l'intégration au sein de l'UE. Sous cet angle, le rôle du Triangle de Weimar reposera sur la recherche d'intérêts communs entre les trois pays construisant ainsi des ponts entre " anciens " et " nouveaux " pays membres. Le Triangle de Weimar pourra ainsi dynamiser l'intégration européenne mais il ne peut pas et ne devra pas remplacer le processus de décision au sein de l'UE tel qu'il fonctionne grâce au Conseil, à la Commission et au Parlement européen.
Pensez-vous que la Pologne soit appelée à devenir de manière spontanée la " représentante " des Peco à plus faible taille démographique, afin de porter les intérêts communs de ces pays ? Ce statut est-il souhaité par la Pologne ?
Il ne faut pas exagérer la convergence des intérêts entre les PECO dans le contexte européen. Tout d'abord, une telle approche tend à sous-estimer les différences politiques et économiques de ces pays qui ont été bien visibles pendant les négociations d'adhésion et qui le sont toujours. Les PECO ne sont pas, comme on le croit souvent, une sorte de réalité homogène allant de la Baltique jusqu'au milieu de l'Europe. Ensuite, dans une Europe élargie à 25 membres, nous devrions construire des agendas politiques visant à diminuer les divisions entre les 15 et les 10 au lieu de les accentuer…
Cela dit, on ne peut nier l'existence de certains points communs aux nouveaux Etats membres, comme leur niveau de développement économique plus faible que celui des 15 et la transition économique qu'ils traversent. Cette situation devrait les placer naturellement parmi les Etats membres qui mettent en avant la stratégie de Lisbonne pour la croissance, la convergence et la compétitivité. Si la Pologne se trouve parmi les pays leaders, cela ne dépendra pas seulement de sa taille mais avant tout de sa capacité à devenir un pays sachant " imposer un agenda ", et à proposer des idées et solutions appropriées.
La politique régionale représente actuellement 35% du budget européen. L'Europe a-t-elle les moyens de continuer à mener une politique régionale cohérente, sans augmentation de budget, au regard de la multitude de régions relativement pauvres des dans les pays adhérents ? Sans augmentation du budget, ne nous tournons-nous pas vers une Europe purement économique ?
La politique régionale se fonde sur la solidarité, un des éléments essentiels qu'incarne l'idée européenne. Nous avons vu, par le passé, à quel point elle a contribué aux processus d'intégration et de développement tant politique qu'économique au sein de l'Union européenne. Le renforcement de la politique régionale européenne m'apparaît donc comme une réponse naturelle à cet élargissement, qui consiste bien en l'adhésion de régions moins riches.
Comment, selon vous, peuvent s'insérer les PECO dans les divisions du travail au sein de l'UE, notamment sur le plan de la concurrence et de la complémentarité des tissus productifs ?
On estime en général que la plupart des Peco devraient connaître un essor dans les branches industrielles à faible coût de main d'œuvre et dans celles utilisant de la main d'œuvre qualifiée. Le secteur des services, en particulier eu égard aux petites et moyennes entreprises, devrait également jouer un rôle important, ou bien " devrait trouver une niche de développement ", pour faire plus économique car il s'agit là d'un élément particulièrement dynamique des économies des PECO. Mais à mon avis, ce n'est qu'une petite partie de l'ensemble des évolutions à venir.
Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à une croissance de la part de biens transformés dans les exportations des Peco vers les pays de l'UE ainsi qu'à une multiplication des échanges inter-entreprises, preuve du processus d'intégration économique qui est à l'œuvre. Ceci est important car les acteurs politiques dans les PECO ne doivent pas oublier que les avantages comparatifs dont jouissent encore aujourd'hui leurs pays vont disparaître à moyen terme. Il est donc indispensable que ces pays posent d'ores et déjà les jalons d'une économie avant tout basée sur le savoir.
L'adhésion aura des conséquences sociales importantes en Pologne (par ex. inflation). Sur fond de crise politique dans ce pays et avec une Europe dotée de faible moyens budgétaires pour accompagner un discours européen, ne craignez-vous l'apparition d'une montée de populisme et d'euroscepticisme parmi les Polonais?
Non, car les conséquences positives de l'adhésion contrediront bientôt les accusations des populistes. Avant l'élargissement, nous avons observé déjà les signes d'une croissance économique forte en Pologne encouragée par l'accroissement des exportations vers d'autres pays de l'UE. Cette tendance s'intensifie actuellement et, pour la première fois en 4 ou 5 ans, la croissance économique commence à avoir un impact réel sur le marché du travail. D'ici quelques mois, les paysans polonais connaîtront des prix stables et bénéficieront d'autres avantages de la PAC. Le scénario populiste d'une augmentation faramineuse des prix comme conséquence de l'adhésion ne s'est évidemment pas confirmé dans les faits. Tous ces éléments parlent clairement en défaveur de l'émergence d'un mouvement populiste en Pologne.
Bronislaw Geremek a dit récemment qu'il faut réintroduire la joie dans l'Europe. Qu'en pensez-vous ?
Je suis d'accord avec B. Geremek. Avoir plus de " joie " est toujours positif. Mais cela ne veut pas dire qu'à l'heure actuelle, il n'y en a pas au sein de l'UE. J'ai été impressionnée par l'accueil réservé à la Pologne en tant que nouvel Etat membre et à moi-même en tant que premier commissaire polonais. Ce fut un grand honneur et un grand plaisir.