Hongrie: un référendum ou une démonstration de force du pouvoir?

À deux ans des élections législatives et à un an de la présidentielle, le pouvoir en place en Hongrie organise, le 2 octobre 2016, un référendum controversé, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, sur la question de l’immigration.


Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban (Fidesz, droite) ne lésine ni sur les formules à l’emporte-pièce, ni sur les moyens. À grand renfort de panneaux d’affichage aux slogans directs, courts et percutants, d’émissions de télévision où il monopolise le temps de parole, d’amalgames délétères entre migration et terrorisme, il entend faire gagner le « non » au référendum qu’il organise dans son pays, le 2 octobre 2016.

Pour un espace « Schengen 2.0 »

Depuis les attentats contre Charlie Hebdo et l’HyperCacher à Paris en janvier 2015, le chef du gouvernement hongrois a su, par ses discours virulents, ses provocations incessantes et ses initiatives controversées, s’emparer du sujet de l’immigration et incarner désormais celui qui « sait défendre les Hongrois »[1]. Fustigeant régulièrement la politique migratoire de l’Union européenne (UE), stigmatisant des « no-go » zones sur lesquelles les autorités de plusieurs pays européens –dont la France–[2] auraient perdu tout contrôle, cherchant (en avril 2015) à remettre la peine de mort à l’ordre du jour, accusant les « musulmans dans leur majorité » d’être une menace pour l’identité chrétienne européenne, ayant fait construire 200 kilomètres de barrières barbelées au sud du pays[3], V. Orban voit sa côte de popularité grimper, y compris auprès des électeurs du Jobbik (extrême-droite) séduits tant par sa rhétorique que par ses actes. Et peu importent la crise économique, les affaires de corruption impliquant ses proches, les détournements massifs de fonds, les scandales à répétition, le musèlement des médias, l’adoption d’une nouvelle Constitution controversée ou la construction d’un mémorial révisionniste sur la Shoah[4], la méthode Orban plaît à certains en Hongrie, et même au-delà.

Le Premier ministre hongrois est ainsi devenu en quelque sorte le chef de file du Groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque) au sein duquel il défend, depuis avril 2016, son projet d’espace « Schengen 2.0 » qui a pour objectif de sauvegarder les frontières extérieures de l’UE à coups de murs et de barbelés et de construire une « Europe forteresse ».

Un référendum partial, inutile et pénible

Le référendum est partial, tout d’abord, parce qu’il pose une question à charge, formulée avec soin, suggérant une réponse négative : « Souhaitez-vous que l’Union européenne impose une relocalisation obligatoire de citoyens non-hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? »[5]. Cette formulation, ainsi que le principe même du référendum, ont été validés par la Cour suprême (Kúria) du pays qui a considéré, en mai 2016, que la question posée ne visait pas « à modifier le traité d’adhésion de la Hongrie ni à prescrire des conditions supplémentaires à l’exécution par la Hongrie de décisions prises par les organismes de l’Union européenne » et qu’elle ne relevait pas du domaine des traités internationaux. Deux recours contre cette décision ont déjà été rejetés par la Cour constitutionnelle, alors même que la formulation de la question continue de faire débat dans le pays et soulève d’innombrables questions sur le plan juridique. Nul ne sait, par exemple, malgré les dénégations récentes du gouvernement, si elle s’applique directement au plan européen de relocalisation des réfugiés décidé en septembre 2015. Personne ne sait non plus ce qu’il adviendra du résultat de ce référendum en cas de modification dudit plan européen. Le scrutin sera considéré comme valable si la moitié au moins du corps électoral y participe, ce qui ne devrait pas poser un problème au regard de la large base électorale dont disposent le Fidesz et les autres partis favorables au « non », à savoir le KDNP des démocrates-chrétiens, le Jobbik, le LMP (parti écologiste libéral de centre-gauche) ou le Parti ouvrier hongrois (d’obédience marxiste-léniniste). Sur les sept sondages effectués entre février et août 2016, le « non » sort toujours vainqueur, oscillant entre 71 et 87 % des personnes interrogées.


« Le saviez-vous ? Depuis le début de la crise migratoire, plus de 300 personnes sont mortes en Europe, victimes d’attentats terroristes » (photo : Robert Rahner, Budapest, 8 septembre 2016).

Le référendum est inutile, ensuite, car la décision de l’UE de définir des quotas de migrants à accueillir a été prise collectivement, selon un processus de décision sur lequel se sont accordés tous les États membres, y compris la Hongrie. La décision est juridiquement contraignante. Selon cette décision, la Hongrie est censée accueillir 1 294 réfugiés (et non l’équivalent d’une ville, comme martelé par les slogans gouvernementaux) sur les 160 000 demandeurs d’asiles actuellement en attente en Grèce, en Italie et… en Hongrie. Comparativement à d’autres pays, c’est un petit contingent (40 206 réfugiés pour l’Allemagne, 30 783 pour la France, 19 219 pour l’Espagne, 11 946 pour la Pologne, etc.)[6]. Le coût de cet accueil serait marginal pour la Hongrie. Constat à mettre en regard avec le montant des dépenses engagées pour la tenue du référendum et pour la campagne de propagande gouvernementale orchestrée autour. La Hongrie a été saisie de 174 425 dossiers de demandeurs d’asile en 2015 et de 6 830 au premier semestre 2016[7]. Au 1er septembre 2016, seules 146 personnes avaient obtenu le statut de réfugié et 356 étaient en « protection subsidiaire », un statut qui autorise à rester dans le pays mais avec des droits restreints.

Le référendum est pénible, enfin, parce qu’il s’accompagne d’une campagne gouvernementale nauséabonde, qui assimile systématiquement les migrants à des terroristes et stigmatise les musulmans d’Europe. Les messages, qui figurent tous sur le site Internet du gouvernement hongrois, ont été massivement relayés sur des affiches, des brochures, dans la presse écrite, à la radio, sur Internet et dans des spots télévisés : « Le saviez-vous ? Les attentats de Paris ont été commis par des migrants ? », en référence aux attentats du 13 novembre 2015 perpétrés par une dizaine de terroristes, dont deux s’étaient mêlés au flot de migrants de l’été 2015. « Le saviez-vous ? Les abus contre les femmes ont augmenté de manière exponentielle depuis le début de la vague migratoire » ; « Le saviez-vous ? Bruxelles veut que nous recevions un nombre de migrants équivalant à la taille d’une ville » ; « Le saviez-vous ? Rien que de Libye, un million de réfugiés attendent de venir en Europe », etc. À aucun moment, l’immigration n’est perçue comme une chance, une richesse, une opportunité pour le pays hôte.


« Le saviez-vous ? En Mongolie, quatre personnes sont mortes en glissant sur une peau de banane. À question stupide, réponse stupide ! » Collectif citoyen du Chien à deux queues tournant en ridicule les affiches de propagande du gouvernement (photo : Assen Slim, Budapest, 10 septembre 2016).

Le projet européen mis à mal

Le Premier ministre hongrois, qui juge la politique européenne d’immigration trop permissive, se pose en défenseur de la « civilisation européenne ». Sa politique brutale pour endiguer l’afflux de migrants, qui consiste à bâtir des murs de barbelés et des murs juridiques, semble pourtant faire des émules. L’arrivée massive de migrants en Europe, la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale, a eu raison de la bonne volonté des pays les plus accueillants. Des murs sont ainsi sortis de terre en Bulgarie, Autriche, Macédoine ou Slovénie. Les contrôles aux frontières intérieures ont été rétablis, y compris en Allemagne et en Suède, quitte à contredire les règles de libre circulation de l’espace Schengen.

Pour autant, des désaccords profonds persistent au sein de l’UE entre les pays qui pensent qu’il faut agir ensemble pour faire face à ce nouveau défi et ceux qui refusent toute solidarité dans la répartition des réfugiés, considèrent la religion musulmane comme un danger pour l’Europe et prônent un retour à la souveraineté nationale. Ce ne sont pourtant pas les bonnes idées qui manquent : mutualisation des moyens pour aider efficacement la Turquie à accueillir les réfugiés et à ordonner l’afflux, création d’un corps de garde-frontières européens pour lutter contre les passeurs, harmonisation du droit d’asile afin d’éviter que les réfugiés cherchent à aller dans les pays les plus généreux...

Notes :

[1] La Croix, 22 avril 2016.
[2] Site Internet revendiqué par le gouvernement hongrois et fustigeant la politique migratoire européenne.
[3] Assen Slim et Robert Rahner, « Accueil des réfugiés : la Hongrie face à elle-même », Regard sur l’Est, 26 septembre 2015.
[4] Assen Slim, « Budapest : hypertensions mémorielles », Regard sur l’Est, 1er octobre 2014.
[5] « Akarja-e, hogy az Európai Unió az Országgyűlés hozzájárulása nélkül is előírhassa nem magyar állampolgárok Magyarországra történő kötelező betelepítését ? »
[6] La clé de répartition retenue à Bruxelles tient compte en principe de quatre critères nationaux : le PNB (à hauteur de 40 %), la population (40 %), le taux de chômage et le nombre de réfugiés accueillis avant 2015 (10 %)
[7] Eurostat, 15 juin 2016.

Vignette : « Référendum 2016 : contre les quotas imposés (de migrants). Ceci est un message pour Bruxelles, afin qu’ils comprennent ! » (Photo : Robert Rahner, 23 mai 2016).

* Assen SLIM est Maître de conférences HDR à l’Inalco, Professeur à l’Essca. Blog.

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