La Slovénie repasse à gauche

En Slovénie, les élections législatives du 21 septembre dernier ont redonné une majorité aux partis de gauche, quatre ans après la première alternance depuis l’indépendance.


Le gouvernement de centre-droit ne fut-il qu’une parenthèse dans la vie politique slovène, avec le retour au pouvoir de la gauche et du centre-gauche? Auparavant, lors des municipales de 2006, le parti gouvernemental SDS (Parti démocrate slovène) de Janez Jansa a déjà perdu la capitale, Ljubljana, et la deuxième ville du pays, Maribor, puis lors de l’élection présidentielle de 2007, son candidat a essuyé une défaite cinglante face au candidat de centre-gauche, Danilo Turk.

Une élection disputée 

Les sociaux-démocrates réunis autour de Borut Pahor ont obtenu 30,5% des voix contre 29% pour le SDS. Ce résultat serré n’a malgré tout laissé aucun espoir au Premier ministre sortant de rester en place car il ne peut compter sur aucun autre soutien politique. En effet, les deux autres partis de gauche, Zares (Pour de vrai, en slovène, 9,5%) et le LDS (Parti libéral slovène, 5,2%) avaient annoncé depuis longtemps leur intention de former une alliance pour gouverner. Pour J.Jansa, il s’agit certes d’une défaite, mais beaucoup moins cuisante que celle annoncée il y a un an lorsque les deux listes étaient séparées d’une vingtaine de points dans les sondages. En dépit de l’inflation qui frappe le pays, le leader de la droite semble avoir su profiter de l’effet de la présidence européenne exercée par la Slovénie au premier semestre 2008. Sa position d’interlocuteur privilégié pendant cette période, la réception des plus grands, avec notamment la visite de George Bush le 9 juin 2008 à Ljubljana, lui ont redonné une certaine aura.

Les résultats de ce scrutin officialisent surtout la recomposition du paysage politique national qui prévalait déjà depuis plusieurs années. A la suite de sa première défaite électorale, en 2004 où il n’avait obtenu que 22% des voix, le LDS qui a dirigé toutes les coalitions gouvernementales de 1992 à 2004 à l’exception de quelques mois en 2000 s’était profondément divisé; une partie de ses membres avait rejoint les sociaux-démocrates de B.Pahor, tandis que d’autres choisissaient de se retirer pour créer une nouvelle formation politique (Zares) et d’autres encore se regroupaient autour d’une jeune femme, Katarina Kresal. Cet émiettement du LDS a profité à Borut Pahor, dont le parti s’était jusqu’alors toujours maintenu aux alentours de 10% des votes à l’occasion des divers scrutins organisés depuis l’indépendance. La formation Zares, dirigée par Gregor Golobic, est soutenue par l’ancien président Milan Kucan, personnalité toujours respectée de la scène politique nationale.

A droite, le SDS totalise le même score que lors de sa victoire de 2004, puisqu’il avait alors obtenu 29,3% des suffrages, mais son manque d’alliés lui nuit. Ses partenaires de la coalition gouvernementale n’ont pas réalisé de scores suffisants: le Parti Populaire (SLS) groupé avec le Parti de la jeunesse (SMS) n’a recueilli que 5,2% des voix contre 6,8% en 2004. Quant à Nova Slovenija (NSi), le parti d’Andrej Bajuk, héritier des démocrates-chrétiens en 2000, il a véritablement sombré n’obtenant que 3,3% des voix contre 9,1% en 2004. Ce mauvais résultat des catholiques fait suite à la nette défaite de Lojzle Peterle en novembre 2007 au second tour de la présidentielle où il n’avait obtenu que 32% des voix. Il est paradoxal que le gouvernement Jansa, dont la presse souligne les liens étroits avec l’Eglise catholique slovène, ne puisse compter sur des formations politiques proches de l’Eglise. Ministre des Finances du précédent gouvernement, A.Bajuk a d’ailleurs choisi de démissionner de la tête du parti, le NSi n’étant même pas parvenu à faire élire un groupe au Parlement. Janez Jansa avait d’ailleurs annoncé en juillet 2008 la fin de son alliance avec ces partis en cas de victoire, pressentant l’impopularité de A.Bajuk. Quant à l’extrême droite, elle s’est également retrouvée divisée entre le Parti national slovène (SNS) de Zmago Jelincic et la formation Lipa, créée en janvier 2008 par l’ancien vice-président du SNS, Saso Pece. Faisant suite à son score élevé lors de l’élection présidentielle de l’automne 2007 où il avait recueilli 19% des voix, Z.Jelincic espérait obtenir 10% comme lors des législatives de 1992. On le présentait même comme un possible futur partenaire d’une coalition gouvernementale avec Janez Jansa.

En termes de sièges, la trojcek (SD, Zares, LDS) totalise 43 députés. Le parti des retraités DeSUS est l’arbitre de cette élection puisqu’il obtient 7 députés, après avoir doublé son score par rapport à 2004 (7,5% contre 4%). Les députés des deux minorités italienne et hongroise ont également apporté leur soutien aux partis de gauche, leur accordant ainsi une plus ample majorité.

Borut Pahor, nouvel homme fort de la politique slovène 

Borut Pahor sera donc le nouveau Premier ministre, le sixième depuis l’indépendance. Agé de 45 ans, il dirige le SD depuis 1997 (le parti s’appelait alors ZLSD). Il a commencé sa carrière politique à la fin des années 1980 en rejoignant la Ligue des communistes. Il est depuis 2004 l’un des sept députés européens slovènes au Parlement de Strasbourg. Très soucieux de son image -il porte par exemple rarement une cravate-, qualifié de populiste par ses détracteurs, il a plus bénéficié d’une opposition à J.Jansa que d’une adhésion à ses idées. Paradoxalement, il contribua au précédent succès de J.Jansa en 2004 par une faute de procédure lorsque, président du Parlement, il envoya avec du retard la réponse de l’Assemblée nationale à la Cour constitutionnelle à propos de l’organisation d’un référendum sur «l’affaire des effacés». Ce scrutin, demandé par J.Jansa -alors dans l’opposition-, ne pouvait être organisé qu’avec l’aval des deux-tiers des députés. La faute de B.Pahor impliqua de facto l’organisation du scrutin qui fut une étape importante dans la campagne de 2004, J.Jansa se présentant alors comme le défenseur de la nation slovène.

Une partie des médias slovènes a présenté la victoire de B.Pahor comme un retour vers le passé. Le nouvel hebdomadaire Reporter a fait son titre sur la restauration du clan Kucan pour rappeler l’appui au SD de l’ancien président de la République, mais aussi du maire de Ljubljana, Zoran Jankovic, ancien directeur de la chaîne de supermarchés Mercator évincé en 2005 par le gouvernement Jansa. Moins virulent, l’hebdomadaire de droite Demokracijaretient le score décevant des partis de gauche. Quant à Mag, la publication hebdomadaire du quotidien Delo, passé sous la coupe de Jansa, il insiste sur la réalisation du projet personnel de Pahor, c'est-à-dire son accession au pouvoir. Plus en recul, l’hebdomadaire de gauche Mladina s’est demandé si le nouveau pouvoir changerait les cadres de la société, comme cela a été spectaculairement le cas sous Jansa, notamment dans les médias. Certains analystes ont contesté le résultat des élections, estimant qu’elles avaient été faussées par l’affaire Patria, qui a directement mis en cause l’intégrité de Janez Jansa.

L’affaire Patria, une «bombe» dans la campagne électorale

En effet, deux semaines avant l’élection, le journaliste de la télévision publique finlandaise Magnus Berglund a évoqué le versement, en 2006, de pots-de-vin par le groupe de défense finlandais Patria à l’occasion de la signature du plus gros contrat militaire jamais passé par Ljubljana. La société en question, Patria, est détenue à 73% par l’Etat finlandais. Le Premier ministre sortant a catégoriquement démenti ces accusations, exigeant du journaliste qu’il avance des preuves sous peine de poursuites judiciaires. Les relations entre la Slovénie et la Finlande se sont détériorées, J.Jansa estimant inacceptable qu’un pays tiers s’implique dans la campagne électorale slovène. Ironie du sort, le ministre de la Défense n’est autre que Karl Erjavec, également leaderdu parti des retraités (DeSUS) qui a réussi à devenir un partenaire incontournable, tant pour la nouvelle majorité de B.Pahor que pour l’ancienne de J.Jansa. K.Erjavec a confirmé la transaction, mais démenti toute malversation. L’affaire a marqué la campagne électorale: le 9 septembre, le Parlement a voté le soutien au Premier ministre par 41 voix contre 11 au cours d’une session extraordinaire. Les partis de gauche en ont profité pour stigmatiser la période Jansa, marquée selon eux par le favoritisme, le clientélisme et la corruption. Le leader de Zares, Gregor Golobic est sorti de sa réserve en affirmant que le procureur de la République, Barbara Brezigar, proche de J.Jansa, cherchait à étouffer l’affaire Patria . Le scandale ne semble pas avoir influencé outre mesure les électeurs puisque les sondages du mois de septembre ont toujours montré des résultats serrés entre le SD et le SDS. Il ne semble pas non plus avoir joué sur le choix du nouveau gouvernement, J.Jansa manquant trop de forces d’appoint pour espérer rester au pouvoir.

La nomination du nouveau gouvernement n’est pas attendue avant la mi-octobre. Borut Pahor cherche à obtenir la majorité la plus large possible, non seulement en impliquant le DeSUS, dont la participation semblait acquise, mais aussi le SLS. Dans ce cas, la nouvelle majorité pourrait compter sur l’appui de 57 députés, ce qui réduirait l’opposition au SDS de J.Jansa et au SNS de Z.Jelincic. La stratégie de B.Pahor pour isoler durablement J.Jansa semble pourtant risquée car, si la coalition éclate, le SDS apparaîtra comme la seule opposition crédible possible. De surcroît, cette large alliance peut laisser penser que les sociaux-démocrates, en manque d’idées pour gouverner, chercheraient des partenaires pour partager les responsabilités en cas d’échec. Pendant la campagne électorale, B.Pahor avait par imprudence ou par stratégie de communication, annoncé en grande pompe son futur gouvernement. On comprend donc que le premier obstacle que doit surmonter le nouveau Premier ministre est d’apparaître en responsable politique crédible, cherchant plus à gouverner qu’à séduire.

Par Laurent HASSID
Photo: © Borut Pahor (source: zurnal24.si)