Moldavie, une économie étouffée

Depuis 1990, les chiffres du Produit Intérieur Brut ne cessent de décevoir (voir tableau). Malgré les réformes engagées par les gouvernements successifs, la machine économique, désuète et atone, tarde à démarrer. Problèmes structurels et mésaventures conjoncturelles freinent ces efforts pourtant constants.


marché de MoldavieA l'inverse des pays d'Europe centrale membres de la CEFTA (Central European Free Trade Area), où la transition économique bat son plein, la Moldavie patauge. A l'image des anciennes républiques soviétiques qui étaient très dépendantes de la Russie, l'économie de ce pays fut considérablement diminuée par l'éclatement de l'URSS, synonyme de la fin d'un marché centralisé. Ce bouleversement fondamental des échanges économiques pratiqués jusqu'alors, avec l'apparition du libre-échange, de la concurrence et de l'hyperinflation, a affaibli la position de la Moldavie, dépourvue de ressources minérales majeures.

Une dépendance dangereuse

Le contexte politique agité de l'après-indépendance a retardé de deux ans l'application de réformes cohérentes et n'a pas facilité la restructuration économique, pourtant primordiale, au vu des nouvelles donnes économiques. Le résultat fut immédiat: hyperinflation (2198 % en 1992) et appauvrissement de la population. Le gouvernement a donc engagé un programme de stabilisation dont la première mesure fut l'instauration d'une monnaie nationale, le leu, en novembre 1993. Cette initiative positive accompagnée d'une politique monétaire stricte menée par le gouvernement depuis quelques années, a permis au leu moldave de ne pas se déprécier. Cet effort, approuvé par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International (FMI) a engendré un apport financier considérable des deux institutions économiques. Le but était précis: le gouvernement moldave devait adopter un programme d'austérité, relancer les privatisations et surtout diminuer le déficit de la balance commerciale ainsi que le déficit budgétaire.Cependant, la dépendance à l'égard du marché russe continue de représenter un handicap majeur dans l'économie moldave. Les exportations vers la Russie, passées de 32 % en 1992 à 60 % en 1998, sont tributaires des fluctuations du marché russe. Un réel danger, connaissant les sautes d'humeur du rouble. Le pire arriva en 1997, lorsque la crise financière russe entraîna une chute vertigineuse du cours du leu. La Russie n'étant plus en mesure d'importer autant qu'auparavant, le déficit de la balance commerciale de la Moldavie se creusa. Le FMI et la Banque Mondiale décidèrent alors de suspendre les aides financières.

Un secteur industriel rampant

A la suite de la sécession de la Transnistrie, la Moldavie a perdu une partie conséquente de son industrie. La production industrielle de cette région atteignait 36 % de la production nationale en 1991. Aujourd'hui, l'activité des industries de Transnistrie serait inexistante, sauf si l'on en croit certaines sources, comme M. Matei (cf. Tribune) qui affirme que les complexes industriels tournent à plein régime pour la fabrication d'armes, vendues ensuite en Iran et en Serbie. Les éventuels bénéfices ne sont pas versés au gouvernement de la république moldave mais attribués au budget de la Transnistrie. En outre, ce détachement d'un tiers des capacités de production a dévoilé la faiblesse des industries situées dans le reste du pays. Spécialisées en grande partie dans l'agro-alimentaire (55 %), elles sont tributaires de la qualité des récoltes. Une mauvaise année peut, par conséquent, entraîner une paralysie du secteur industriel, déjà touché par un sous-emploi des capacités de production. En effet, les fabriques n'exploitent pas au maximum leurs moyens de production. Ce manque à gagner s'élève parfois à plus de 50 % de la production prévisible.

Un secteur agricole maudit

Les deux secteurs-clés de l'agriculture moldave, le tabac et la viticulture, ont dû faire face à de nombreuses mésaventures depuis 1990. En 1997, la récolte de feuilles de tabac, pourtant supérieure à celle des années précédentes, ne représentait qu'un tiers de la production moyenne de 1989. La disparition de l'URSS a stoppé net les habitudes économiques du système socialiste ; les marques de cigarettes occidentales ont ainsi pu s'approprier une grande partie du marché dans les anciennes républiques soviétiques. Ce secteur de l'économie moldave, confronté à une concurrence redoutable tant dans la qualité que dans la distribution des produits, a dû adopter une politique tarifaire restrictive (baisse régulière des prix), créant un prix moyen pour une qualité moyenne. Un cercle vicieux s'est ainsi formé, où la diminution de la marge commerciale réduit les possibilités de réinvestissement dans le cadre d'une modernisation des infrastructures. Les vieilles industries doivent donc continuer à produire mais la productivité et la qualité restent identiques (inférieures à celles des concurrents occidentaux). La viticulture, première spécialisation du pays, a subi un revers, faisant chuter la production de raisins de 30 %. D'une part, en 1986, Mikhaïl Gorbatchev a lancé une campagne antialcoolique qui s 'est poursuivie jusqu'en 1990. D'autre part, en 1992, 1994 et 1996, des conditions climatiques extrêmement défavorables ont réduit de 50 % la production de raisins (301 000 tonnes en 1997 contre 1,4 million en 1985). Pour pallier cette sous-production, les producteurs locaux ont coupé leurs crus avec d'autres vins importés de Roumanie, de Bulgarie et d'Ukraine, prenant le risque de perdre leur image de marque. Malgré de gros efforts entrepris pour remédier aux difficultés rencontrées, tels l'extension, depuis 1996, de la surface cultivable ou l'amélioration de la productivité, ce secteur agricole reste fragile.

Une économie parallèle omniprésente

Les statistiques du PIB sont à analyser avec beaucoup de précaution, car le commerce informel occupe une part considérable dans l'activité économique du pays (plus de 50%) et les observateurs ne sont pas toujours en mesure de comptabiliser la totalité des revenus de cette activité parallèle d'une année à l'autre. En 1996, certains économistes internationaux soulignaient le fait que le PIB était inexact car trop peu élevé. Ainsi, l'indice de la production sur le territoire national de 1998, signe d'une croissance économique négative, peut en réalité être interprété de manière moins catastrophique.Ce marché parallèle s'explique très facilement. Les conditions de la création d'entreprises restent médiocres. Des impôts souvent trop lourds, l'impossibilité de trouver des locaux le moment voulu et l'absence d'aides financières dissuadent les "bonnes volontés". Les Moldaves préfèrent rechercher une augmentation occasionnelle (mais forte) de leurs revenus plutôt que de s'orienter vers un choix professionnel, certes légal mais encore trop problématique. Car les conditions sociales sont des plus dégradées, avec un revenu moyen égal à 43 dollars par mois. Bien souvent les salaires sont versés en nature (lorsqu'ils le sont), faute de moyens financiers. Idem pour les pensionnés. Depuis 1996, les arriérés leurs sont remboursés en pommes, farine et autres produits alimentaires.

Une reprise envisageable ?

En 1997, après cinq années de crise, la progression du PIB de 1,3% laisse envisager un léger espoir. Mais d'autres facteurs nécessaires à un redémarrage de la croissance économique tendent à l'instabilité. L'investissement national ne cesse de baisser : 30 % de moins entre 1996 et 1998. Le marché reste figé. Les industries ne vendant qu'une petite partie de leur production s'évertuent à gérer les stocks, elles ne peuvent ni investir, ni innover. La conjoncture actuelle ne risque pas de relancer la consommation, donc la production, car le comportement des ménages en matière de consommation, empreint de bon sens, oriente les familles moldaves vers l'économie parallèle.

L'autoconsommation, principale source de revenus d'un grand nombre de Moldaves, occupe une place importante dans ce pays agricole, bien que, paradoxalement, le secteur agricole ne se porte pas très bien.Par ailleurs, le processus de privatisations a été retardé. L'actuel président, M. Lucinschi, favorable à un rapprochement avec la Russie et les anciennes républiques soviétiques, est partisan d'une économie plus dirigée que celle de son prédécesseur, M. Snegur (ultralibéral), et opposé à une privatisation rapide de la terre; ce retard paralyse autant le secteur agricole que le secteur industriel.

La Moldavie rencontre un problème constant dans le domaine des investissements étrangers, bien que la frilosité des investisseurs s'estompe peu à peu, de manière très linéaire. Le gouvernement ayant pris conscience que la solution la plus rapide, afin de sortir de la crise, était d'attirer des capitaux étrangers, des lois ont été promulguées dans ce sens. Le 28 janvier 1998, le Parlement a ratifié l'accord entre la France et la Moldavie pour la promotion et la protection réciproque des investissements, signé en septembre 1997. Un résultat immédiat : la France devient le premier investisseur européen en Moldavie. En février 1998, le Parlement moldave a adopté une proposition de loi accordant un avantage fiscal important aux investisseurs étrangers.

Les investissements supérieurs à 250 000 dollars bénéficieront d'un abattement de 50 % de l'impôt sur les bénéfices (impôt s'élevant à 32 %), et ce pendant cinq ans à partir du premier exercice bénéficiaire. Des avantages encourageants.Le gouvernement moldave désire continuer dans cette voie, par des accords bilatéraux, par des privatisations lentes mais effectives. Ainsi, la récession, qui touche le pays depuis quelques années déjà, pourrait disparaître et améliorer enfin le sort des Moldaves aux prises avec un quotidien plus que difficile.

 

Par François GREMY

Photo : © Yann BRAND

 

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