«I pokajem, ctcho mi, brattia, kozatskovo rodou» («Et nous montrerons, frères, que nous sommes de la race des Cosaques»: refrain de l’hymne ukrainien). C’est dans son passé cosaque que l’Ukraine a puisé pour se forger une nouvelle symbolique nationale. Élément fort de l’histoire ukrainienne, mis en avant comme symbole de liberté, d’indépendance et de démocratie, les Cosaques du Dniepr peinent à faire état de leurs origines: slaves autochtones, tataro-mongoles ou paysannes russes.
Les Cosaque zaporogues, ceux de Gogol à ne pas confondre avec leurs voisins russes du Don, ceux de Tolstoï, rythment le refrain de l’hymne ukrainien. Les manuels scolaires offrent une place de choix aux ancêtres présumés de la nation ukrainienne. Les partis politiques n’hésitent pas en faire leur mascotte électorale.
Le passé cosaque, chanté au 19e siècle par le serf-poète Chevtchenko – grande figure de l’Ukraine indépendante – est riche en symboles. Les pères de la nation ukrainienne moderne, ceux qui l’on fait naître au 19e siècle, ceux qui l’ont fait survivre pendant la période soviétique et ceux qui lui ont redonné vie en 1991, ont érigé les Cosaques en gardiens de la liberté, de l’indépendance nationale et de l’esprit démocratique. Dans l’imaginaire national ukrainien, la cosaquerie réunit des hommes qui, en s’associant librement, deviennent égaux en droit et s’affranchissent des jougs polonais et russe. Le caractère profondément démocratique des Cosaques est incarné par la «rada», l’assemblée qui élit le hetman et les chefs militaires. La liberté, c’est la littérature qui l’a illustrée: le Cosaque est le cavalier de la steppe, espace de la volia, la liberté sans limite.
Quant à l’indépendance, elle est l’élément-clé de ce triptyque. L’existence aux 17e et 18e siècles de l’Hetmanat, «proto-Etat» ukrainien, justifie celle d’un Etat ukrainien moderne: elle lui offre des frontières historiques et lui évite la relégation au statut de marche de l’Empire russe. La querelle d’interprétation du traité de Pereïaslav (1654) est révélatrice du rôle attribué à l’Hetmanat. Pour les Russes, ce traité signifie l’intégration de l’Hetmanat à l’Empire, le retour de la Rous’ kievienne en son sein. Les Ukrainiens, eux, soulignent l’égalité du rapport de forces. Ils voient dans le traité la Fédération de deux Etats et nient toute soumission de l’Hetmanat au tsar. Le Livre de la genèse du peuple ukrainien, oeuvre collective écrite au XIXe siècle, révèle l’importance de ce moment historique: «Alors l’Ukraine se rapprocha de la Moscovie et s’unit à elle, comme un peuple slave à un autre peuple slave, indivisiblement mais sans se mêler à l’image des trois hypostases de Dieu».
Le flou des origines
Si le territoire des Cosaques était incontestablement compris dans les frontières de l’Ukraine actuelle, le lien entre les habitants d’alors, ces fameux Cosaques, et la population slave d’aujourd’hui est moins évident. L’enjeu est de taille: l’assertion «nos ancêtres les Cosaques» va de pair avec un autre fondement de l’identité ukrainienne, le caractère slave du peuple ukrainien. Pour les historiens ukrainiens, il ne fait aucun doute que la cosaquerie est une organisation sociale et politique créée par la population autochtone et slave du début du 11e siècle: la rada serait née de la vetché de la Rous’ kievienne et les hetmans descendraient des grands princes de Kiev.
Dans l’historiographie russe classique (chez Soloviev et Klioutchveski), les Cosaques du Dniepr sont décrits comme une société militaire composée majoritairement de soldats russes. Les spécificités sociales et politiques de la cosaquerie ne sont pas étudiées. Les Cosaques y sont réduits à des militaires, gardiens des marches de l’Empire russe. Certains vont plus loin en affirmant que ce sont des paysans russes ayant fui la Moscovie. D’autres, s’appuyant sur l’étymologie de «cosaque», leurs prêtent une origine turco-tatare. Cette thèse est également présente dans l’historiographie polonaise (Jablonowski) : pour justifier les tentatives de conquête de territoires orientaux, certains historiens polonais ont eu à coeur de dénier aux Cosaques leur caractère slave.
Paysans russe, Slaves locaux, guerriers tatars... Faute de documents, l’origine des Cosaques zaporogues demeure l’objet de vifs débats. Mais peu importe: pour que le mythe fonctionne, il suffit d’y croire. «Che ne merla Ukraïna…» («L’Ukraine n’est pas encore morte»: première strophe de l’hymne ukrainien).