La polémique remonte à novembre 2007. La ministre de la Santé, Ewa Kopacz, se dit alors favorable aux opérations de procréation in vitro, et à leur prise en charge par le Fonds national pour la Santé (NFZ), dans le cas des foyers les plus modestes. La réaction de l’Eglise est immédiate: la prise en charge de ce type d’opération par les fonds publics revient à «financer des homicides», d’après l’archevêque Jozef Michalik. Pour l’archevêque Henryk Hoser, les partisans d’une telle idée sont des «schizophrènes moraux». Devant le tollé que suscitent ses propos, la ministre de la Santé se rétracte.
Néanmoins, le gouvernement décide de s’occuper de cette thématique. En décembre 2007, le Premier ministre Donald Tusk convoque une équipe d’experts, composée de juristes, médecins, scientifiques et philosophes, et dirigée par le député Jaroslaw Gowin, membre de la Plateforme civique (PO). Sa mission consiste à élaborer un projet de règlementation de la fécondation in vitro en Pologne conforme aux directives européennes en la matière[1] et à la Convention européenne de bioéthique de 1997, que le pays n’a pas ratifiée, mais seulement signée[2]. La FIV n’est soumise à aucune réglementation en Pologne, bien que de nombreuses cliniques la pratiquent. Pour Jaroslaw Gowin, l’enjeu est de trouver un compromis acceptable aux yeux de tous.
La Plateforme se divise
En novembre 2008, l’équipe a achevé son travail. Pourtant, le projet qui en résulte ne satisfait ni l’ensemble de ses membres, ni l’ensemble de la PO. En effet, il autorise la création in vitro de deux embryons seulement, transférés ensuite dans l’utérus de la mère biologique. La création et la congélation d’embryons surnuméraires sont interdites, ce qui, pour beaucoup, réduit les chances de réussite des opérations[3]. Le projet introduit d’ailleurs l’idée de protection légale de l’embryon humain. Enfin, la fécondation in vitro n’est réservée qu’aux couples mariés, dans certains cas aux femmes seules, et sauf exception, elle n’est pas autorisée pour les femmes de plus de quarante ans.
L’accès à la FIV et le statut accordé à l’embryon humain, d’où découlent le nombre d’embryons à créer et la possibilité de les congeler lors des interventions, divisent progressivement la PO. Une équipe dirigée par la député Malgorzata Kidawa-Blonska évalue les propositions de Jaroslaw Gowin et élabore son propre projet, beaucoup plus libéral: ce dernier autorise la création et la congélation d’embryons surnuméraires, la sélection des embryons avant transfert, et le recours à la FIV pour les couples non mariés.
Quel projet soumettre à l’approbation de la Diète? Les dirigeants de la Plateforme civique semblent incapables de se décider, et tergiversent pendant plusieurs mois. A la mi-mars 2009, bien que Donald Tusk ait appelé à un vaste débat public sur les questions de bioéthique (dont la fécondation in vitro, le testament de vie et l’euthanasie), la direction du groupe annonce que celles-ci ne sont pas la priorité du parti. La révision de la loi budgétaire, l’élaboration d’un corpus de lois sociales, s’avèrent bien plus urgentes. Qui plus est, la direction ne souhaite pas «réveiller des démons», comme l’exprime son vice-président Grzegorz Dolniak. En pleine crise économique, il n’est plus question d’une quelconque prise en charge par le NFZ, d’autant que le débat a pris une tournure morale. Ceci dit, les discussions ne progressent pas davantage au printemps, en pleine campagne pour les élections européennes. Si Zbigniew Chlebowski, président du groupe PO au Parlement, promet que la fécondation in vitro reviendra très vite à l’ordre du jour, il n’exclut pas d’abandonner l’idée d’une loi spécifique, et d’inclure la «question in vitro» dans plusieurs lois déjà existantes. Un bon moyen de dissoudre le débat…
Les projets fleurissent au Parlement
Tandis que l’Alliance démocratique de Gauche (SLD) dénonce la lenteur et les hésitations de la PO, la coalition Gauche et Démocrates (Lewica i Demokraci), dont elle est membre, exige que cessent les querelles politiciennes et qu’un réel débat ait lieu autour des projets proposés. Car la PO n’est pas la seule à s’être emparée de l’affaire. Dès septembre 2008, le groupe de Gauche avait déposé une proposition de loi sur la prise en charge des opérations in vitro par les fonds publics. Jusqu’à présent, ce projet a dormi dans les tiroirs de la Commission Santé de la Diète.
Depuis, comme le débat n’a cessé d’aller et de venir sur le devant de la scène politique, chacun a élaboré son projet, plus ou moins conciliant envers cette méthode de procréation. En juin, le député Boleslaw Piecha, membre du parti de droite conservateur Droit et Justice (PiS), et président de la Commission Santé, a déposé sa proposition de loi interdisant totalement la FIV, et prévoyant le «retour à la vie» des embryons actuellement congelés. Ces derniers seraient en priorité transférés dans l’organisme de la mère biologique, ou, si le couple renonçait à avoir d’autres enfants, transmis à une autre femme. Dans ce cas, la procédure serait identique à une adoption. Les chances d’approbation du projet Piecha au Parlement semblent faibles, d’autant que certains membres du PiS s’y opposent. Ainsi le député Mariusz Kaminski a-t-il l’intention de voter pour le projet de Jaroslaw Gowin, qui représente, selon lui, un compromis plus «raisonnable et modéré». En revanche, le projet de Boleslaw Piecha a reçu les faveurs de l’Episcopat (qui l’a jugé «conforme à la position de l’Eglise universelle exprimée dans l’instruction vaticane, à la position de l’Eglise de Pologne et des catholiques polonais»), du quotidien d’obédience catholique Nasz Dziennik et de Radio Maryja.
Encore plus sévère est la proposition de loi d’initiative citoyenne déposée par le collectif Contra In Vitro. Ce dernier exige la révision du code pénal, afin d’y prévoir des sanctions d’emprisonnement en cas de pratique d’une FIV. Se réclamant des valeurs morales prônées par l’Eglise catholique, le collectif a sollicité l’aide de plusieurs diocèses du pays, pour que sa pétition recueille les 100.000 signatures de citoyens nécessaires à l’examen de sa proposition de loi au Parlement.
Enfin, un autre projet devrait être déposé dans les jours qui viennent. Elaboré depuis janvier par des «dissidents» de l’équipe Gowin, sous l’égide de la Fédération pour les femmes et le planning familial (Federacja na Rzecz Kobiet i Planowania Rodziny) et de l’association Nasz Bocian («Notre cigogne»)[4], il est présenté comme une initiative non partisane, conforme aux directives communautaires et à la Convention européenne de bioéthique, et comme un contrepoids aux projets restrictifs déjà déposés. Ce projet autorise toute femme à bénéficier de la FIV, ainsi que la création, la conservation d’embryons surnuméraires et l’établissement du diagnostic préimplantatoire (DPI)[5]. Le nombre d’embryons créés, transplantés et congelés n’est soumis qu’à des considérations médicales: comme l’a expliqué Wanda Nowicka, directrice de la Fédération pour les femmes et le planning familial, «[Ce projet] se fonde sur des critères scientifiques et sanitaires, et non pas idéologiques». En outre, il impose que les centres pratiquant des FIV soient accrédités et placés sous le contrôle du ministère de la Santé: actuellement, sur les 24 concernés sur le territoire polonais, seuls 11 sont effectivement contrôlés par l’Etat et conformes aux exigences de l’Union européenne, concernant les conditions de création et de conservation des embryons.
Au final, six projets pourraient donc être soumis aux députés à la rentrée prochaine, car Jaroslaw Gowin vient d’annoncer le dépôt de sa proposition, et nul ne doute que Malgorzata Kidawa-Blonska, soutenue par la ministre de la Santé, fera de même. La «question in vitro» n’est donc pas prête de faire consensus.
Les interventions de l’Episcopat
Une nouvelle fois, on constate combien les questions de procréation demeurent sensibles en Pologne, et combien l’idéologie prime sur les aspects médicaux et législatifs. Ces derniers mois, l’Eglise n’a cessé d’exprimer son opinion, n’hésitant pas à employer des termes abrupts: lors de son Conseil sur la famille, en décembre 2008, l’Episcopat polonais qualifie la fécondation in vitro de forme «raffinée» d’avortement. «L’Eglise dira toujours «non» à l’avortement, à l’euthanasie, à la fécondation in vitro et aux expérimentations sur des embryons humains», clame l’archevêque de Varsovie Kazimierz Nycz. Une lettre du Conseil, reprise dans toutes les églises du pays, rappelle que les enfants ne sont pas un «bien de consommation», et qu’il n’existe pas de droit à l’enfant. En outre, la hiérarchie catholique invite le gouvernement à lancer un programme national de traitement de l’infertilité, au lieu d’investir dans des «techniques risquées» de procréation médicale[6]. L’évêque Tadeusz Pieronek lui-même, d’ordinaire plutôt libéral, juge que la conception d’enfants in vitro est une «réalisation des idées de Frankenstein»…
Enfin, dernièrement, l’Episcopat a publié un document d’une centaine de pages intitulé «Au service de la vérité sur le mariage et la famille», dans lequel il exhorte les hommes politiques à prendre en considération la position de l’Eglise, avant toute décision concernant la bioéthique. Il appelle à la mise en place d’une politique pro familiale de long terme, et à la promotion de la famille «traditionnelle» dans les médias.
Plusieurs voix se sont élevées dans le monde politique, médical, au sein des médias, des ONG ou chez les féministes, pour dénoncer le recours permanent aux références religieuses dans les débats politiques, y compris dans un parti libéral comme la PO. Magdalena Sroda, par exemple, n’hésite pas à qualifier Jaroslaw Gowin de «jésuite gouvernemental»[7]. Elle dénonce l’atmosphère de peur et de malentendu qui règne autour de la FIV en Pologne, et voit, dans toute cette affaire, de nouvelles tentatives de porter atteinte aux droits des femmes: «Dans la Pologne catholique, la jeunesse n’a pas droit à une éducation éthique et sexuelle, les droits en matière de reproduction pour les femmes sont limités, il n’y pas de droit à l’avortement, et bientôt il n’y en aura plus pour la fécondation in vitro», rappelait-elle en avril dernier.
Quel sera le choix de la Pologne concernant la fécondation in vitro? Se pliera-t-elle aux diktats de l’Eglise, comme dans le cas de l’avortement? Suivra-t-elle l’opinion majoritaire des citoyens? D’après un sondage CBOS effectué en février 2009, 77% des Polonais approuvent le recours à la FIV pour les couples mariés, 53% pour ceux vivant en union libre, et 51% dans le cas de femmes seules. Cependant, si 52% approuvent la création d’embryons surnuméraires, un tiers s’y oppose. En grande partie pour des raisons de morale religieuse.
Par Amélie BONNET
[1] Notamment la Directive 2004/23/CE du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains. La Pologne n’a toujours pas transposé cette directive dans sa législation, au risque de sanctions financières.
[2] Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, Oviedo, 1997. L’article 2 stipule: «L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science».
[3] Plusieurs embryons peuvent être créés lors des opérations de fécondation in vitro, bien que deux seulement soient transférés en général. Les embryons restants, s’ils sont de bonne qualité, peuvent être congelés à la demande du couple.
[4] Cette association vient en aide aux personnes confrontées à des problèmes d’infertilité, ainsi qu’à celles qui souhaitent adopter.
[5] Le DPI permet de rechercher d’éventuelles anomalies génétiques sur des embryons obtenus par FIV.
[6] 1,5 million de couples polonais (soit un couple sur cinq) seraient confrontés à des problèmes d’infertilité. Plus de 70% d’entre eux souhaiteraient néanmoins avoir des enfants.
[7] Magdalena Sroda, Kobiety i wladza [Les femmes et le pouvoir]. Warszawa: Wydawnictwo W.A.B, 2009, p. 100. Magdalena Sroda est philosophe, publiciste et féministe. Elle fut plénipotentiaire du gouvernement pour l’égalité hommes-femmes en 2004-2005.
Sources principales: wiadomosci.gazeta.pl, wyborcza.pl, rp.pl, federa.org.pl, nasz-bocian.pl, proinvitro.pl, contrainvitro.pl, cbos.pl
Source photo: www.contrainvitro.pl