Dans un pays en pleine crise d'identité ne bénéficiant pas vraiment d'une image attrayante, on peut voir avec plaisir que certains chefs d'œuvres architecturaux restent à découvrir. Les monastères de la Moldavie roumaine sont autant de joyaux oubliés par le temps qui offrent, par leur diversité, un visage original de la Roumanie.
On a coutume de dire de la Moldavie roumaine qu'elle est un haut lieu de spiritualité, ce que confirme le nombre impressionnant d'églises et de monastères que l'on peut dénombrer dans cette partie du pays d'ailleurs éminemment touristique ; de nombreux visiteurs viennent chaque année admirer les trésors d'artisanat, d'architecture et de peinture, partie infime de l'immense patrimoine historique roumain. D'aucuns considèrent d'ailleurs ces monastères comme un lieu de rencontre privilégié entre Dieu et les hommes.
Des monastères témoins de leur temps
"Vue de l'extérieur, chaque église est une pièce de décor charmante, qu'il faut admirer [...]. Mais en même temps, ces façades peintes, avec leurs figures et leurs scènes, sont comme un livre illustré ouvert sur toutes ses pages" note très justement André Grabar[1]. Ainsi, que ce soit dans leur aménagement ou dans leur programme iconographique, les saints monastères nous renseignent sur les craintes, les angoisses et les aspirations des fondateurs et hommes de l'époque. Cette explication ne saurait pourtant constituer l'unique moyen de retracer la vie de ces lieux magiques, les raisons qui amenèrent l'homme à construire ces monastères étant aussi variées que différentes dans leurs buts. On pourrait ainsi mettre en avant l'histoire du lieu, la stratégie imprimée par le seigneur local ou, après avoir longuement discuté avec un frère au détour d'une petite allée d'un jardin fleuri, on pourrait évoquer avec mystère la légende qui entoure la construction de ce même lieu.
Les raisons stratégiques semblent toutefois, dans une région qui connut une histoire très mouvementée, constituer l'approche la plus vraisemblable pour expliquer la présence de ces édifices religieux. La Moldavie constitua en effet très tôt une frontière entre les empires latin orthodoxe, slave orthodoxe et surtout ottoman, conférant à bon nombre de monastères un aspect plus proche de la place forte que d'un lieu de recueillement et de prières. Ainsi, comme souvent en Roumanie, pays de légendes et de contes, il faut bien se rendre compte que deux réalités (l'une historique, l'autre onirique) ne cessent de cohabiter tout en renforçant les sources déjà bien alimentées par une tradition orale tenace.
Une diversité marquée
Les constructeurs moldaves ont réussi un véritable tour de force par la construction d'églises en pierre, magnifiques ouvrages de maçonnerie tels qu'il n'en existe nulle part ailleurs. La tradition de l'architecture en bois, l'adaptation des formes d'architectures balkaniques (transmises par la Valachie) à l'art gothique et aux réalisations de la Renaissance ont ajouté au particularisme si marqué de ces constructions tout en laissant à chaque monastère ses caractéristiques propres.
L'église de Dragomirna, achevée en 1609 sous les ordres du grand métropolite Anastasie Crimca, diffère des églises orthodoxes roumaines en général assez ramassées, beaucoup plus longues ou larges que hautes : pour la première fois, on assiste à des « débordements de proportions » puisque la hauteur apparaît réellement excessive par rapport à la largeur, phénomène qui n'est vraiment pas courant dans cette région. L'utilisation de la pierre taillée comme élément de décoration extérieure est aussi une nouveauté. Sur le plan des ornements, l'influence est plutôt géorgienne ou arménienne : rosettes stylisées, étoiles, carrés combinés avec des ornements bipolaires ou encore les habituelles palmettes.
L'art de la peinture extérieure
Une des caractéristiques qui a fait la renommée des monastères roumains est la peinture extérieure de leurs églises. Les icônes ont permis de joindre l'image à la parole pour une meilleure compréhension et une meilleure assimilation du discours religieux ; le programme iconographique est souvent ressemblant entre les églises où des fresques impressionnantes représentant le Jugement dernier côtoient celles de l'Arbre de Jéssé, de la scène de la Deisis, etc. Le monastère Voronets, surnommé « le bijou de Bucovine », qui fut fondé par Etienne le Grand en 1488, représente l'apogée de cet art pictural. Agrandie sous le règne du voïvode Petru Rares (XVIème siècle) l'église a revêtu une peinture merveilleuse « réalisée sur un bout de ciel », ce bout de ciel devenu le célèbre bleu de Voronets. L'église de Sucevitsa (fin XVIème siècle) se distingue elle aussi de ses commensales par ses murs aux couleurs vives mêlées, en un surprenant contraste, d'or, ce qui attire souvent la comparaison avec le travail de l'émail ou de la miniature.
Des lieux très prisés par les touristes
Une atmosphère tout à fait particulière se dégage de ces lieux magiques, drainant des flots de touristes admiratifs. Sans dénigrer l'affluence de curieux, il convient cependant de remarquer que tout un commerce et un réseau s'est développé autour des monastères de Moldavie ; malgré tout, l'impression que le temps semble s'être arrêté demeure.
Bien que le tourisme tende à dénaturer le tableau, il contribue néanmoins à financer, dans un pays qui connaît des difficultés économiques importantes, les nombreuses et énormes restaurations nécessaires, qui sont le fruit d'une patience et d'un savoir-faire exceptionnel, unique.
Par Elena PAVEL
Vignette : l'église de Dragomirna (Photo Credit: pikrpl Flickr via Compfight cc)
[1] VATASHIANU Virgil, La peinture murale du nord de la Moldavie, édition "Arta Grafica", Bucarest, 1974.