D #52 : Edito

Lorsque la Russie a, durant les trois premiers jours de 2006, interrompu ses livraisons de gaz à l’Ukraine, les pays plus à l’Ouest se sont inquiétés des conséquences de ces coupures qui pouvaient les affecter. Le vent de panique qui a soufflé sur l’Europe de l’Ouest durant les quinze premiers jours de 2009, à l’occasion de la deuxième guerre du gaz russo-ukrainienne, a fait passer 2006 pour une répétition. 


L’Europe a pris alors véritablement conscience du degré de dépendance énergétique qui la lie désormais à la Russie, et va la lier plus fortement encore dans les années à venir compte tenu de l’épuisement des ressources européennes, de l’augmentation prévue de la demande et des engagements pris auprès de la Russie dans le cadre notamment du partenariat énergétique russo-européen, lancé en 2000. Durant ces crises, Moscou n’a eu de cesse de contre-argumenter, en particulier sur son propre degré de dépendance: la Russie serait plus à la merci de l’Europe en tant que fournisseur inquiet de la versatilité de son client que ne pourrait l’être l’Europe de la Russie, en tant que client lié par des contrats. A la fois en pourcentage (en 2006, l’Europe importait de Russie 44% de ses achats de gaz, mais la Russie exportait vers l’Europe 67% de ses ventes de gaz) et du fait de l’expérience historique (l’Europe n’a jamais eu à se plaindre de la fiabilité de son fournisseur depuis 1972 et les premiers pas du partenariat énergétique soviéto-européen). Mais, malgré les discours apaisants de Vladimir Poutine, ces crises ont terni l’image de la Russie auprès d’une Europe brutalement déniaisée.

Peu nombreux ont été, toutefois, ceux qui se sont alors (ou s’étaient auparavant) émus des coupures de livraisons énergétiques imposées assez régulièrement depuis quinze ans aux Baltes et autres Ukrainiens, dès avant l’indépendance, puis tout au long des années 1990, au gré des fluctuations des relations bilatérales entre le géant pétrolier et gazier russe (2e producteur mondial de pétrole, premier producteur et exportateur mondial de gaz) et ses interlocuteurs centre et est-européens. En moyenne, les pays d’Europe centrale et orientale et de l’ex-URSS sont évidemment bien plus fortement dépendants (à la fois pour leur consommation et pour les recettes du transit) des fournitures d’hydrocarbures et d’électricité russes que les pays plus à l’Ouest. Sans compter le rôle joué par la Russie dans les installations énergétiques nationales. En janvier 2009, pendant que les capitales ouest-européennes glosaient sur les dangers de leur dépendance, ce sont ces pays qui ont eu froid.

A la mi-août 2009, le président russe Dmitri Medvedev a reproché à son homologue ukrainien de mener une politique anti-russe. Les médias européens ont aussitôt agité le spectre d’un nouveau conflit gazier pour l’hiver à venir. Puis, le 2 septembre, le Commissaire européen à l’énergie, le Letton Andris Piebalgs s’est demandé devant le Parlement européen: «Les fournitures sont-elles garanties pour cet hiver? Oui, nous allons survivre». Ouf !

Regard sur l’Est a néanmoins souhaité en savoir un peu plus sur la posture, les inquiétudes et la stratégie de ces pays de «l’entre-deux énergétique européen»: où en sont-ils dans leur relation énergétique à la Russie? Quelle carte tentent-ils de jouer dans ce domaine? Quels sont leurs craintes et leurs desseins? Indéniablement, la Russie reste pour eux un incontournable partenaire énergétique, quels que soient les différends, notamment historiques, ou le pragmatisme de façade.