D56 : Edito

La Russie, héritière de son passé soviétique, semble définir sa diplomatie en fonction d’une vision du monde toujours liée à sa longue histoire d’empire eurasiatique. Ses voisins immédiats, qui ont subi ou souhaité son influence et sa protection, ressentent encore la force centrifuge de sa puissance politique, économique et culturelle. 


Rencontre des chefs des gouvernements des Etats membres de la CEI du 19 novembre 2010A travers ce dossier, Regard sur l’Est a souhaité participer à sa manière à l’année croisée Russie-France. Site d’informations, RSE a eu le plaisir étonné de découvrir une nouvelle source de renseignements qui informe sur le monde et, bien sûr, l’Est européen: Wikileaks, site qui rend public entre autres des câbles diplomatiques, est lui aussi venu clore cette année croisée, mais cette fois à la manière de la sorcière du conte: invitée non désirée, elle tient à déposer son offrande venimeuse… Nombreux ont été –et sont encore– les articles inspirés par cette source qui traitent de la Russie et de sa vision du monde.

Ces câbles extirpés de leur secret ont certes confirmé bien des approches déjà rendues publiques, et ont fait des révélations sur certaines tractations opérées dans les coulisses. Ils ont surtout eu le mérite de montrer que les diplomates, hommes politiques et autres «grands» de ce monde partageaient dans les grandes lignes et jusque dans les détails la vision des spécialistes de la zone avec, peut-être, plus d’humour et de cynisme. De fait, lire le monde à travers les fuites de Wikileaks n’est positif que dans la mesure où cette lecture est complémentaire d’une connaissance déjà établie. Les fuites ne sont jamais que d’infimes affluents issus de voies d’eau autrement plus importantes. Aussi passionnantes soient-elles, elles n’en restent pas moins partielles et partiales.

Ce dossier vient ainsi à point nommé: la compréhension des relations de la Russie à son environnement immédiat, anciennes républiques soviétiques, anciens satellites, ou ex-ennemis du temps de l’URSS, ne sont pas réductibles aux seuls bons mots des diplomates, parties prenantes au cœur du «cyclone», qui inondent nos médias. Ces relations demeurent un thème d’étude dynamique et complexe. D’un côté, nul ne peut nier le rôle du Kremlin, des investisseurs russes, des Russes expatriés ou de la diaspora, de la religion et de la langue russe, etc. qui représentent le prisme essentiel des articles présentés. De l’autre côté, et c’est là que le dossier se distingue, ces influences russes (politique, économique, militaire, linguistique, médiatique, autre…) rencontrent des interlocuteurs (Etat, politiciens, mouvements ou partis, etc.) soit très réceptifs –tels ces représentants des régions sécessionnistes-, soit au contraire fermés ou suspicieux –comme les gouvernements géorgien et moldave-, ou enfin qui composent, hésitent, négocient avec ce que cette influence a d’avantages ou d’inconvénients.

En d’autres termes, les relations Russie–étranger proche ne sont que rarement à sens unique. Il ne s’agit pas ici de dénoncer un «impérialisme russe», écrasant tout sur son passage et prétendument incapable d’appréhender le monde hors de la grille de lecture héritée de la Guerre froide, mais de montrer les interdépendances qui se superposent aux rapports de force. La Russie cherche certes à affermir sa présence dans sa chasse gardée, comme toute puissance régionale qui jalouse son pré-carré, et «l’étranger proche» a certes tout de la zone tampon, mais se contenter de cela est finalement bien simpliste. L’étranger proche est une notion qui évolue, et à laquelle la Russie doit s’adapter. Les amis d’aujourd’hui peuvent lui tourner le dos, les récalcitrants d’hier lui trouver grâce. Surtout, les zones d’influence extérieures (la Chine, la Turquie, l’Union européenne ou les Etats-Unis) remodèlent et pèsent sur toute la région eurasienne; elles l’obligent donc à reconsidérer ses stratégies diplomatiques et ses intérêts géopolitiques.

Vignette : Rencontre des chefs des gouvernements des Etats membres de la CEI du 19 novembre 2010 (http://government.ru)

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