Dialogue Bélarus-UE: vers plus de pragmatisme?

L’annonce du début d’un dialogue sur la libéralisation du régime de visas avec l’UE fut le résultat le plus important du Sommet du Partenariat Oriental de 2013 pour le Bélarus. Dans le contexte actuel cette initiative apparaît comme une tentative pragmatique de rééquilibrer les choix d’alliance du Bélarus alors que se restreint le champ des possibles.


L’initiative pour le Partenariat Oriental (PO), une politique étrangère commune datant de 2009, est devenue le premier cadre multilatéral de l’Union européenne (UE) pour entrer en relation avec ses voisins post-soviétiques. Avant leur mise en œuvre, et jusqu’à ce jour les politiques de l’UE à l’égard du Bélarus pouvaient se résumer à l’injonction «respectez nos conditions pour que progressent nos relations», tandis que la réponse des autorités bélarusses est «privilégiez les vraies sphères de coopération et acceptez-nous tels que nous sommes».

Le Partenariat Oriental: cinq années sans progrès

Le Bélarus est depuis longtemps un outsider pour ce qui est de l’approfondissement des relations bilatérales avec l’UE, car dès 1997 «la détérioration de la situation politique au Bélarus» a poussé le Conseil européen à ne pas conclure d’Accord de Coopération et de Partenariat avec Minsk.[1] Bruxelles explique cette limitation de la coopération avec le Bélarus du fait des «politiques menées par le régime du président Aliaksandr Loukachenka, [qui] empêchent l’UE d’offrir une pleine participation à la politique de voisinage».[2] Aussi peut-on considérer l’inclusion du Bélarus dans le PO comme une avancée puisqu’elle ouvrit la voie à l’institutionnalisation des relations, ne fut-ce qu’au niveau multilatéral.

L’UE a posé comme condition à ses efforts pour développer ses relations avec le Bélarus que ce dernier progresse en matière d’état de droit, de démocratie et de respect des droits de l’homme. Cependant les relations bilatérales atteignirent leur plus bas niveau après les élections présidentielles de décembre 2010 et la vague répressive qui suivit. Les désaccords mutuels empirèrent en septembre 2011 après que la délégation bélarusse eût quitté le deuxième sommet du PO réuni à Varsovie. Entre temps, l’UE avait réimposé des mesures restrictives –interdiction de visa et gel des avoirs– contre plus de 160 membres de l’élite dirigeante. A partir de mars 2012, la Commission européenne concentra ses efforts sur le Dialogue Européen pour la Modernisation, une plateforme pour dialoguer avec la société bélarusse, à l’intention des ONG et de l’opposition politique du pays –et qui excluait donc, comme auparavant, les représentants du régime.

Aussi malgré la mise en œuvre du PO les relations Bélarus-UE se caractérisent-elles par un dialogue limité, dominé par la défiance mutuelle et l’antagonisme politique. D’un côté, l’UE a reconnu l’importance du Bélarus en tant que partenaire, mais s’en tient au principe de la conditionnalité. De l’autre, les autorités du Bélarus ont essayé de faire valoir leur vision du PO comme d’un cadre de coopération à plusieurs vitesses, «axé sur les résultats [...], qui devrait servir les intérêts pragmatiques de tous les états partenaires, et la Grande Europe dans son ensemble, en mettant l’accent sur le développement durable et la modernisation économique et sociale sur cette partie du continent. »[3] Ces approches impliquent des positions plutôt inflexibles de part et d’autre, maintenant le statu quo qui prévalait dans les relations Bélarus-UE avant le lancement du PO. Pour autant une telle situation laisse ouverte une fenêtre d’opportunités pour le développement de la coopération Bélarus-UE dans certains domaines.

Dans l’ombre de l’Ukraine

L’annonce par le ministre des Affaires étrangères Uladzimir Makeï du démarrage d’un dialogue avec l’UE sur la libéralisation du régime des visas fut le résultat le plus important du dernier sommet du PO pour le Bélarus. Tout d’abord, indépendamment des raisons pour lesquelles les autorités répugnaient à répondre plus tôt à l’invitation à négocier de Bruxelles, le régime des visas est une question purement technique, et non politique. Elle requiert l’expression d’un intérêt partagé et dépend donc de la volonté politique des deux parties. Malgré tout, faciliter le passage des frontières entre le Bélarus et l’UE ouvre bien une fenêtre d’opportunités, vu que même sur le long terme, l’objectif n’est pas d’éliminer les contrôles aux frontières. Deuxièmement, depuis plusieurs années le Bélarus est le premier pays au monde en termes de nombre de visas Schengen délivrés par habitant.[4] Cependant, les Bélarusses paient ce visa Schengen bien plus cher (60 €) que les ressortissants d’autres pays du PO ou de Russie (35 €). Troisièmement, un régime de visa réciproquement plus libéral pour les personnes entrantes pourrait objectivement soutenir l’industrie touristique du Bélarus. On voit qu’aucune de ces questions ne recoupe les controverses politiques qui marquent les relations Bélarus-UE. Elles sont compatibles avec les objectifs du PO d’encourager les contacts entre les individus et reflètent aussi la vision pragmatique que les autorités bélarusses ont du Partenariat Oriental.

Le bilan des résultats du PO «ressemble à une ligue à deux niveaux, dans laquelle les «champions» qui étaient sur le point d’initier ou de signer un accord d’association montent en première division, tandis que les autres sont relégués en seconde division».[5] Cela est conforme avec le principe du «more for more» annoncé en mai 2011 par la version révisée de la Politique Européenne de Voisinage (PEV). Le Bélarus, seul pays-partenaire que ne mentionnait pas nommément le programme de la présidence lituanienne du Conseil de l’UE en 2013, est devenu un outsider de deuxième division. Dès lors que l’UE se focalise sur les pays de la première division, en particulier l’Ukraine, le Bélarus n’a reçu qu’une attention marginale à Vilnius. Dans ce contexte, le message «constructif» d’U.Makeï avait peu de chances de retenir beaucoup d’attention.

Le pragmatisme revisité

En fait le Bélarus a toujours été un laissé-pour-compte du PO. Pourtant les autorités ont répété à l’envi que leur pays était prêt à collaborer avec l’UE dans le cadre du PO. Uladzimir Makei est allé plus loin en intimant il y a peu à l’UE d’abandonner la conditionnalité et «son approche taille unique des pays-partenaires».[6]

Cette déclaration illustre bien les efforts diplomatiques du Bélarus pour inciter l’UE au pragmatisme. Tout d’abord, sur fond de crise ukrainienne, les autorités bélarusses tâchent de mettre en avant l’avantage, pour l’UE, que représente un «Bélarus souverain, indépendant et intègre, qui contribue au maintien de la stabilité et de la sécurité en Europe».[7] Ensuite, U.Makeï a souligné combien un rapprochement avec l’UE sous l’égide du PO est peu attrayant pour le Bélarus, comparé à ce que les autres pays partenaires peuvent obtenir par le biais des Accords d’Association. Les autorités bélarusses s’efforcent aussi de souligner que l’UE a besoin de développer une stratégie de coopération sur le long terme, en rupture avec la politique actuelle, qui «se résume à des actions ad hoc planifiées, au mieux, avec une visée de court terme».[8] Enfin, elles insistent sur la nécessité d’une approche plus pragmatique en rappelant l’importance économique de l’UE en tant que deuxième partenaire commercial du Bélarus, derrière la Russie.

De toute évidence, les autorités bélarusses ressassent la même antienne en s’efforçant de «dépolitiser» les relations bilatérales de leur pays avec l’UE, qu’elles considèrent comme la manière la plus rationnelle de sortir de l’impasse actuelle –ignorant ainsi la condition posée par l’UE comme préalable à leur normalisation, à savoir la libération et la réhabilitation des prisonniers politiques. Ce qui est nouveau, cependant, est que Minsk invoque la rhétorique de la stabilité régionale, en agitant le risque d’une menace (russe) contre la souveraineté et l’intégrité territoriale du Bélarus afin de forcer l’UE à substituer à son approche fondée sur les valeurs une approche plus pragmatique, inspirée par la Realpolitik.

Dans cette optique, le championnat du monde de hockey sur glace 2014 qui se tient à Minsk en mai revêt une importance particulière. D’un côté, les autorités vont forcément tâcher de faire de l’évènement une copie miniature des Jeux Olympiques de Sotchi de l’hiver 2014. De l’autre, le mercantilisme des autorités bélarusses, qui se manifeste par la levée provisoire de l’exigence d’un visa pendant la durée de la compétition, apparaît comme un geste de bonne volonté, destiné à ouvrir une fenêtre d’opportunités, et qui pourrait porter ses fruits à moyen terme. En réalité le Championnat offre au Bélarus la possibilité de faire connaître aux étrangers sa culture nationale sous un jour meilleur. Globalement méconnue, ou alors perçue comme faisant partie d’une soit-disant Russosphère, c’est pourtant cette culture nationale qui sert de marqueur identitaire de la spécificité bélarusse. Accueillir cet événement pourrait donner l’occasion aux étrangers de revoir leur perception du Bélarus, qui est pour l’heure largement conditionnée par la dichotomie et l’antagonisme entre le régime d’une part, et l’opposition politique et la société civile de l’autre, un schéma qui ne laisse aucune place au peuple bélarusse en tant que tel. Dans tous les cas, cet événement pourrait aider à redécouvrir le moins connu de tous les pays européens et, partant, éliminer ne fut-ce qu’une partie des stéréotypes à son sujet.

Toutes les étapes du développement du PO jusqu’au Sommet de Vilnius, et les résultats de celui-ci en ce qui concerne le Bélarus, illustrent la stabilité du statu quo actuel dans les relations Bélarus-UE. Cependant, vus l’évolution des choses en Ukraine et le manque de perspicacité de l’ultimatum intimant aux pays du PO de faire un choix exclusif entre l’UE et la Russie, les récents changements du discours de politique étrangère bélarusse en faveur de plus de mercantilisme et pour promouvoir le pays aux yeux des touristes et des investisseurs, sont un signe que le régime essaie de rééquilibrer ses choix d’alliance dans la mesure du possible. L’avenir dira si le régime est prêt à faire des concessions dans cette optique.

Notes :
[1] EU Delegation in Minsk, Relations between Belarus and the EU – an Outlinehttp://eeas.europa.eu/delegations/belarus/eu_belarus/political_relations/index_en.htm, dernier accès: mai 2014.
[2] EU Council, EuropeAid Country Cooperation – Belarushttp://ec.europa.eu/europeaid/where/neighbourhood/country-cooperation/belarus/belarus_en.htm, dernier accès: mai 2014.
[3] Siarhei Martynaŭ «Hopes and concerns over the Eastern Partnership - the Belarus’ view», Baltic Rim Economies, No. 2, 28/4/2010, p. 5, www.utu.fi/fi/yksikot/tse/yksikot/PEI/BRE/Documents/BRE_2_2010_Web%5B1%5D.pdf.
[4] Andrei Yeliseyeu «How isolated is Belarus? Analysis of Schengen Countries’ consular statistics (2007-2011)», BISS Research Study SA #01/2012RU, 7/06/2012,http://belinstitute.eu/images/doc-pdf/english_research_yelis.pdf.
[5] Kiryl Kascian and Hanna Vasilevich «Belarus: a second-tier partner of the EU?», Belarusian Review, vol. 25, No. 4 (2013), p. 2, http://thepointjournal.com/output/index.php?art_id=284&spr_change=eng.
[6] Uladzimir Makei «The EU is realizing the need to cooperate with Belarus», BelTA, 3/3/2014, http://news.belta.by/en/news/politics?id=741569.
[7] Ibid.
[8] Kiryl Kascian «Belarus – EU: how to deal with the outsider?», Belarusian Review, vol. 26, No. 1 (2014), p. 5, http://thepointjournal.com/output/index.php?art_id=288&spr_change=eng.

Traduit de l'anglais par : Anaïs Marin

Lien vers la version originale du texte en anglais

Vignette : Volat, la mascotte des championnats du monde de hockey sur glace, devant le Cirque d’État Bélarusse à Minsk. Photo: Anaïs Marin, avril 2014.

* Chercheure associée au European Centre for Minority Issues (www.ecmi.de) et éditeur adjoint de Belarusian Review (thepointjournal.com).