La Transnistrie dans l’agenda des partis politiques russes

Dans le cadre de sa politique de «l’étranger proche», la Russie s’efforce de conserver d’anciens acquis géopolitiques hérités de l’époque soviétique voire impériale. Les républiques séparatistes ou autoproclamées sont à cet égard un outil de pression politique ou un bastion stratégique russe face à l’expansion de l’OTAN dans l’espace postsoviétique. 


Vitrine locale de Proryv, Tiraspol La relation établie entre la Russie et la Transnistrie -région de facto séparée de la Moldavie- est faite de contrastes, d’intérêts partagés mais aussi de divergences. Les organes exécutifs et législatifs de Transnistrie entretiennent des relations étroites avec la Douma et le Kremlin depuis la chute du système soviétique. Ainsi, l'actuel responsable du ministère de la Sécurité d'Etat, Vladimir Antyoufeev, a bénéficié de l’aide du groupe politique conservateur russe Soyouz. Cet exemple ainsi que d’autres[1] tendent à prouver que les relations entre les autorités de Tiraspol, capitale de la Transnistrie, et les services de sécurité ainsi que les milieux conservateurs de la Douma russe sont intenses. Le leader nationaliste russe V.Jirinovski et le Premier ministre russe V.Poutine y ont chacun installé une branche de leur parti (LDPR et Unité). Il importe toutefois de comprendre que les relations établies entre les partis politiques transnistriens et russes ne sont pas nécessairement consensuelles.

L’Union de la Jeunesse Eurasiatique pour une Transnistrie «résistante»

L’exemple des liens de l’Union de la Jeunesse Eurasiatique (UJE), section de jeunesse du parti russe Eurasie dirigé par Alexandre Douguine, avec la Transnistrie est éclairant. Fondé en 2005 en réaction à la Révolution Orange, ce mouvement soutient la politique du Kremlin; son dirigeant serait proche du gouvernement russe et a occupé la fonction de conseiller du président de la Douma[2]. De par son idéologie néo-eurasiste, l’UJE, qui dispose de représentants en Transnistrie, soutient la défense des intérêts géopolitiques russes ainsi que la cause des républiques séparatistes comme la Transnistrie qui est, selon A.Douguine, une «petite Russie»[3].

Le 13 mars 2006, dans un contexte proche d’une mise sous blocus de la Transnistrie par ses voisins et faisant suite au processus d’adhésion de la Moldavie à l’OMC, l’UJE a organisé une série de manifestations devant différentes ambassades moldaves et ukrainiennes à travers la CEI. Le 14 mars, à la frontière moldo-transnistrienne, une manifestation similaire regroupait une centaine de militants de l’UJE ainsi que du mouvement de jeunesse transnistrien Proryv et du Parti Libéral Démocrate de Russie (le parti de V.Jirinovsky). Cette mobilisation en faveur d’un arrêt du blocus et d’une reconnaissance internationale de la Transnistrie, a été rejointe par le mouvement de jeunesse transnistrien Proryv et le parti de V.Jirinovsky. Le représentant de l’UJE, Leonid Savine, confirma que son organisation et Proryv collaboraient étroitement afin d'aboutir à la reconnaissance de la Transnistrie. Le référendum de septembre 2006 sur l’indépendance de la Transnistrie a été l’occasion d’une grande mobilisation pour l’UJE qui a organisé une série de manifestations et concerts dans différentes villes de Russie, d’Ukraine, ainsi qu’à Tiraspol et Chisinau.

A.Douguine, dans un discours prononcé le 1er septembre 2009 à l'Université T.Chevtchenko de Tiraspol, a expliqué que la Transnistrie ne constituait pas seulement un avant-poste stratégique russe mais aussi le prototype d’un futur Etat eurasiste[4]. En effet, la Transnistrie incarne pour les eurasistes un des pôles de résistance face à un «nouvel ordre mondial» occidental. Enfin, le 4 novembre 2009, l’UJE participa à une «Marche russe» à Chisinau, dont le but fut surtout de rappeler la présence de la Russie et des citoyens russes résidant en Moldavie, afin de faire pression sur les autorités moldaves.

Mésententes cordiales

Les relations entre le parti russe Unité, puis Russie unie, avec la Transnistrie sont complexes et remontent à l’été 2000. Des divergences entre la Russie et la Transnistrie amenèrent le Kremlin à ouvrir un bureau d’Unité à Bendery. En octobre 2000, ce mouvement appelé Unité Transnistrienne tenta de s’enregistrer en vue des élections du Soviet Suprême puis publia une lettre ouverte à Poutine appelant à l’augmentation de l’effectif des troupes russes participant à la mission de maintien de la paix depuis la fin du conflit moldo-transnistrien de 1991-1992. Moscou apporta un soutien notoire à ce mouvement et à l’opposition de gauche transnistrienne afin d’isoler temporairement le président transnistrien Igor Smirnov. Les autorités de Tiraspol réagirent en annulant les inscriptions faites par Unité Transnistrienne.

Zyman, dirigeant de la branche transnistrienne d’Unité, avait alors rappelé les orientations principales de son parti: renforcement des relations avec la Russie, défense de la présence militaire russe en Transnistrie, soutien (formel dans un premier temps) à I.Smirnov, mais aussi favoriser la pénétration des capitaux russes en Transnistrie[5]. La branche transnistrienne d’Unité était aussi favorable aux négociations sur le règlement du conflit moldo-transnistrien tout en soutenant une indépendance de la Transnistrie. Bien que la branche transnistrienne d’Unité ait soutenu I.Smirnov dans l’éventualité où ce dernier se présenterait pour un troisième mandat présidentiel, cette relation n’était pas réciproque. Ayant présenté leur candidat T.Zenovich à l’élection présidentielle moldave, la section de Bendery a vite fait figure de dissidente accusée de se rapprocher de la Moldavie. Suite à des quiproquos politiques, Unité commença à prendre ses distances à l’égard de sa branche transnistrienne. Faisant face à une scission, perçue de manière hostile par les autorités transnistriennes et rejetée par ses mentors russes, cette dernière ne put à terme que disparaître. Par la suite, T.Zenovich fut évincé de la course à la présidentielle par divers artifices administratifs et partit à Moscou, au moment où ses camarades d’Unité se faisaient arrêter par le ministère de la Sécurité d'Etat au motif qu’ils distribuaient dans les rues de Bendery des tracts appelant «à la lutte avec l’administration»[6].

Rodina et le lobby pro-transnistrien à la Douma

Du 23 au 26 juin 2005, un camp d’été organisé par Jeune Volonté, la section de jeunesse du parti russe Rodina, a vu la participation de jeunes en provenance de Russie, du Belarus, d’Ukraine et de Transnistrie[7]. Les jeunes présents à ce camp ont participé à des activités tournant autour des thèmes de la Seconde Guerre mondiale et de l’union des peuples slaves. Les relations entre la Transnistrie et Rodina sont étroites dans la mesure où, le 20 septembre 2005, les députés de cette faction siégeant à la Douma d’Etat russe ont discuté d’un renforcement du soutien et de la coopération économique avec la Transnistrie[8]. Il a aussi été discuté du fait que plus de 50.000 Transnistriens qui désiraient acquérir la nationalité russe étaient obligés d’attendre longtemps avant que le service consulaire de l’ambassade de Russie en Moldavie ne satisfasse leur demande. Le député V.Cherepkov a ajouté que Rodina userait de son influence à la Douma afin d’améliorer l’efficacité des services consulaires russes[9].

En septembre 2005, une délégation dirigée par Sergueï Babourine se rendit en Transnistrie à l’occasion de la fête de l’indépendance. S.Babourine y déclara que «la République moldave de Transnistrie a tous les critères requis par la Convention de Montevideo de 1930, à savoir: la présence d’une population constante, la présence d’un territoire concret, un gouvernement et une politique étrangère. Économiquement, la république est autosuffisante». Enfin, il a réaffirmé son intention de faciliter l’octroi de la nationalité russe aux Transnistriens[10].

Le 20 janvier 2006, lors d’une session de la Douma d’Etat, les parlementaires membres de la faction de Babourine ont déclaré: «Nous sommes pour la réunification de la Russie avec la République de Biélorussie, l'Abkhazie, la République moldave de Transnistrie (…), souhaitant aboutir avec ces États à un État fédéré commun. C'était et cela reste le but de notre activité politique»[11]. Le 4 juillet 2006, les chefs des parlements d’Abkhazie, d’Ossétie du Sud et de Transnistrie se rencontrèrent en présence de Babourine afin de signer un accord portant sur la coopération interparlementaire[12]. En septembre 2006, une délégation de la faction parlementaire prépara et participa au référendum transnistrien sur l'indépendance. Le 11 décembre 2006, Babourine était présent à la fondation du parti transnistrien Narodnaya Volya.

Une nouvelle donne?

Le réseau de relations entre les partis russes et les autorités transnistriennes ou leurs homologues transnistriens est une manière de défendre la sphère d’influence politique de la Russie. Mais les affiliations des partis russes, leurs idéologies et rivalités rendent ce réseau complexe et peu coordonné. Ainsi, Russie Unie et le Kremlin semblent chercher des alternatives à Igor Smirnov que la pratique personnelle et autoritaire du pouvoir et diverses malversations semblent avoir rendu gênant. En effet, Evgueny Chevtchouk, qui est la figure du parti transnistrien d’opposition Renouveau et qui est extrêmement critique à l’égard de I.Smirnov[13], a participé, le 24 novembre 2009, au congrès de Russie Unie à Saint-Pétersbourg où il s’est entretenu avec Marian Lupu, président du Parti démocratique de Moldavie[14]. Le Président transnistrien semble être devenu un élément problématique pour la Russie qui souhaite ne pas s’aliéner la Moldavie, y conserver une certaine influence tout en aboutissant à une solution favorable sur le statut de la Transnistrie qui permette dans le même temps de sauvegarder son influence régionale.

Notes :
[1] «Moldavie: tensions régionales sur la Transnistrie», (en anglais), International Crisis Group, rapport n°157, 17 juin 2004, p.12.
[2] «Conférence de presse de M. Alexandre Douguine, Conseiller du Président de la Douma (Parlement russe)», Centre d’Accueil de la Presse Etrangère à Paris, 23 septembre 2004, disponible sur le site: www.capefrance.com. «Entrevue d’Alexandre Douguine avec Alexandre Latsa», Dissonance, 29 mars 2009, disponible sur le site: alexandrelatsa.blogspot.com.
[3] A.Douguine, «La Transnistrie est une petite Russie», (en russe), Mouvement International Eurasiste, 23 septembre 2009. disponible sur le site: http://www.nakanune.ru/news/2009/9/23/22172147.
[4] «L’Eurasisme deviendra l’idéologie d’Etat de la Transnistrie», (en russe), Union de la Jeunesse Eurasiatique, septembre 2009, disponible sur le site: http://rossia3.ru/smi/evrazpmr.
[5] Novaya Gazeta, 05 juillet 2001; voir également: www.nm.md/daily/article/2001/07/06/0301.html.
[6] Nezavissimaïa Moldova, 06 novembre 2001.
[7] Narodnaya Volya, 29 juin 2005.
[8] Narodnaya Volya, 20 septembre 2005, http://www.partia-nv.ru/duma/d200905.html; F.Delorca, Transnistrie – Voyage officiel au pays des derniers Soviets, Editions du Cygne, Paris, 2009, p.100.
[9] Narodnaya Volya, 04 septembre 2005, http://www.partia-nv.ru/news/n040905.html.
[10] «Sergueï Glotov a accusé le membre du parti „Rodina”, Andreï Saveliev, de calomnie insolente à l’encontre de Sergueï Babourine et Viktor Alksnis», (en russe), sténogramme des sessions de la Douma d’Etat, 23 janvier 2006, http://www.partia-nv.ru/news/2006/n230106.html et Narodnaya Volya, 04 septembre 2005, http://www.partia-nv.ru/news/n040905.html.
[11] Narodnaya Volya, 15 juin 2006, http://www.partia-nv.ru/duma/2006/d150606.html .
[12] Narodnaya Volya, 4 juillet 2006, http://www.partia-nv.ru/duma/2006/d040706.html.
[13] http://www.obnovlenie.info/text.php?cat=17&name=shevchuk, «Yevgeny Shevchuk, "I call on you all to unite to protect our future, where there is the rule of law, the strong people are just, the weak people are protected, and everyone works and maintains stability», Soviet Suprême de Transnistrie, 08 juillet 2009, http://vspmr.org/News/?ID=3235; «MPs vote on a resolution accepting the resignation of Parliamentary Speaker Yevgeny Shevchuk», Soviet Suprême de Transnistrie, 22 juillet 2009, http://vspmr.org/News/?ID=3283 et G..Volovoi, «Sevciuk has admitted defeat in his battle with Igor Smirnov», Imedia news analysis, juillet 2009.
[14] Sevodnya v Moldove, 24 novembre 2009.

Photo : Vitrine locale de Proryv, Tiraspol (Copyright G.-E. Jacquet).

* Gilles-Emmanuel JACQUET enseigne l’Histoire à la Geneva School of Diplomacy and International Relations.