Le devenir des élites russes

Entretien avec Monique de Saint-Martin, directrice d'études à l'EHESS.


Monique de Saint-Martin, directrice d'études à l'EHESSQuelle était la formation des élites politiques et culturelles du régime soviétique ?

Sous le régime soviétique, les élites politiques, économiques et culturelles avaient pour la grande majorité fait des études supérieures, et très souvent des études techniques; les élites russes actuelles sont également passées par l'enseignement supérieur mais les diplômes techniques sont de moins en moins représentés alors qu'on assiste à une montée des diplômés en économie et en finances et à une diversification des institutions d'enseignement.

Dans quelle mesure le passage des élites traditionnelles aux nouvelles élites s'est-il effectué? Y a-t-il eu des reconversions ?

Ce sont des élites culturelles et scientifiques qui ont connu le renouvellement le plus important, et de façon générale, on observe un rajeunissement des élites. Cependant, malgré les réformes et les transformations radicales intervenues dans le système politique, dans le système économique et aussi le système culturel, il n'y a pas eu de changement capital des élites en Russie. Un des phénomènes les plus importants est celui des reconversions d'anciens membres de la nomenklatura, qui sont nombreuses en particulier dans les affaires et les entreprises privatisées, mais aussi dans la politique locale, régionale et nationale. Et ces reconversions des anciennes élites s'accompagnent souvent du développement du "commerce au sein de l’État", qui prend, comme le souligne Vadim Radaev, la forme d'une corruption presque ouverte. Les anciennes élites, l'ancienne Nomenklatura ont su utiliser à leur profit la libéralisation économique.

Quel est le rôle du Collège universitaire français de Moscou et de Saint Pétersbourg ?

Le Collège universitaire de Moscou et de Saint Pétersbourg, présidé par Marek Halter depuis sa création il y a huit ans, contribue à la formation de jeunes étudiants en droit, histoire, littérature, philosophie et sociologie et favorise l'ouverture interdisciplinaire par les cours ainsi que l'initiation à la recherche lors de séminaires spécialisés. Ces différents enseignements sont assurés par des professeurs de plusieurs universités françaises et de l'Ecole des hautes études en sciences sociales. De grandes conférences visant un public plus large sont également organisés mais le plus important est, me semble-t-il, dans le travail de formation des base, d'incitation à la recherche, de constitution de réseaux de collaboration scientifique.

Quel est le rôle actuel des universités publiques russes ? Quel avenir peut-on espérer pour elles ?

Le système d'enseignement secondaire et supérieur s'est fortement diversifié ces dernières années et la sélection sociale à l'entrée de l'enseignement supérieur s'accroît elle aussi. De nombreuses universités et écoles privées ont été crées qui accueillent 1/3 des étudiants et qui exercent une forte concurrence. Ceci dit, l'instruction reste une valeur forte et les universités publiques attirent de façon générale des étudiants qui ont de meilleurs résultats scolaires que les universités ou les écoles privés et proposent dans la plupart des disciplines un meilleur enseignement que ces dernières. Il faut espérer que les universités publiques parviennent à developper leur fort potentiel en assurant un enseignement novateur et de qualité et une formation à la recherche.

Que pensez-vous des jeunes élites formées à l'étranger ?

Un grand nombre de ceux qu'on appelle les "nouveaux riches" envoient leurs enfants faire des études à l'étranger, et ceux-ci sont nombreux dans les écoles privées de haut standing de Suisse. Il s'agit souvent d'obtenir le titre d'ancien élève, de pouvoir se vanter d'avoir fait des études à l'étranger. Mais il n'est pas sûr que la formation acquise à l'étranger, en particulier dans les écoles ou universités de second rang, soit toujours efficace. Ainsi pour les élites économiques, l'application stricte des modèles occidentaux n'est pas très bien vue. En revanche, l'expérience de l'étranger, de la collaboration avec des partenaires occidentaux, les relations avec les étrangers produisent un effet accélérateur sur la réussite dans les affaires. Quant à la formation dans de bonnes universités à l'étranger ou aux séjours post-doctoraux dans des universités ou des centres de recherche étrangers, ils contribuent de façon décisive au progrès des savoirs, à la formation d'esprits critiques et lucides et au développement de la recherche.

Photo : © Lisa VAPNE

* Interview réalisée par Lisa VAPNE

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