Les compagnies pétrolières occidentales en Azerbaïdjan, état des lieux

L’Union européenne, soucieuse d’acquérir une plus grande autonomie énergétique à l’égard de Moscou, perçoit l’Azerbaïdjan, pays riverain de la mer Caspienne, comme l’une des voies les plus favorables au contournement de l’espace russe pour l’acheminement des hydrocarbures de l'espace postsoviétique.


Zone portuaireDepuis plus de quinze ans, diverses compagnies pétrolières occidentales se sont implantées sur le territoire azerbaïdjanais. Au-delà de leurs intérêts propres, elles tendent également à accroître et à approfondir la coopération régionale, ne serait-ce qu’en termes énergétiques.

Une implantation récente

Si les compagnies occidentales avaient commencé à s’intéresser à l’Azerbaïdjan dès le début du 20e siècle, elles ont été persona non grata dans ce pays pendant toute la période soviétique.

Depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1991, les compagnies occidentales se sont de nouveau tournées vers Bakou et ses ressources énergétiques. Si les négociations entre le pouvoir azerbaïdjanais et les compagnies occidentales débutent sous la présidence d’Aboulfaz Eltchibeï (1992-1993), ce n’est qu’après l’arrivée au pouvoir d’Heydar Aliyev en 1993 que des contrats se réalisent une fois la stabilité sociale, politique et économique plus assurée. Les premières années de l’indépendance ont en effet été marquées par une forte instabilité politique, qui est allée jusqu’à mettre en danger la préservation même du territoire azerbaïdjanais. Dans ce contexte, les compagnies occidentales se sont montrées prudentes, voire réticentes, à s’engager, soucieuses avant tout de la garantie et de la sécurité de leurs investissements.

Bakou a depuis lors signé des contrats avec près d’une vingtaine de compagnies internationales. Le plus important d’entre eux, qualifié de «contrat du siècle», est un accord de partage de production[1], signé en 1994 entre la compagnie nationale (SOCAR) et un consortium rassemblant dix compagnies, pour la plupart occidentales. D’un montant de 8 milliards de dollars, ce contrat prévoit l’exploitation sur trente ans de trois gisements offshore : Azeri, Chirag et Guneshli[2]. La production du consortium international AIOC ne cesse de progresser et a augmenté de 2,3 % au premier semestre 2010 au regard de la production du premier semestre 2009. Aujourd’hui, l’AIOC est en passe de ne compter plus que neuf compagnies, Devon Energy revendant ses parts, pour l’essentiel à BP.

Des voies de sortie du pétrole

Suite à ces multiples contrats, l’Azerbaïdjan fait désormais partie des trente premiers États producteurs mondiaux de pétrole. Si l’or noir coule donc à flots, encore faut-il que l’Azerbaïdjan soit en capacité de l’exporter vers des marchés extérieurs. C’est aujourd’hui l’un des principaux enjeux pour le gouvernement azerbaïdjanais, mais aussi pour les compagnies internationales et les pays énergétiquement dépendants, tels que les États membres de l’UE. Le tracé des pipelines est en effet un enjeu politique, stratégique et diplomatique important. Plusieurs projets s’affrontent aujourd’hui, dont les principaux sont Nabucco (qui prévoit de relier l’Azerbaïdjan à l’Europe avec une possible extension vers l’Asie centrale par le biais d’un tube transcaspien) et South Stream (qui acheminerait les hydrocarbures du bassin caspien vers l’UE via la Russie). Dès lors, une bataille fait rage, au sein même de l’UE, entre ces deux projets, les États impliqués dans les projets respectifs espérant tirer bénéfice du passage des pipelines sur leur territoire. Toutefois, malgré ces enjeux actuels, divers tubes exportant des hydrocarbures azerbaïdjanais fonctionnent déjà.

Il existe tout d’abord d’anciens pipelines, datant de l’époque soviétique et qui passent par le territoire russe, alors voie de passage incontournable de l’énergie soviétique. Mais de nouveaux tubes ont également vu le jour depuis l’accession de l’Azerbaïdjan à l’indépendance. Le plus célèbre d’entre eux est le Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), inauguré en 2005. Evitant le territoire russe, il achemine le pétrole azerbaïdjanais jusqu’au port turc de Ceyhan, aux termes d’un accord signé en 2001 entre Bakou, Tbilissi et Ankara en vue de l’exportation du pétrole azerbaïdjanais vers les marchés occidentaux via la Turquie. Bien que le tracé de ce tube ait fait l’objet de nombreuses controverses politiques, il apporte des revenus de transit à la Géorgie et à la Turquie. L’existence de ce pipeline illustre parfaitement l’habileté diplomatique de l’Azerbaïdjan, désormais acteur incontournable de la scène énergétique régionale et internationale.

Dans ce contexte, une coopération régionale accrue semble indispensable pour concrétiser les pleines potentialités économiques de l’Azerbaïdjan et du bassin caspien dans son ensemble. Les compagnies internationales ont, quant à elles, bien compris que le développement de la coopération régionale ne pouvait que leur être bénéfique.

Vers une coopération régionale ?

Parce que les compagnies internationales sont avant tout soucieuses de leurs intérêts économiques, elles poussent les pays du bassin caspien à avancer dans leur coopération, en vue de dépasser leurs différends politiques et diplomatiques. La coopération régionale est particulièrement active dans le domaine du transport, notamment énergétique. L’un des projets les plus importants en matière de développement des voies de transport régionales est le Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia (TRACECA)[3]. Par ailleurs, le transport des hydrocarbures azerbaïdjanais via la Géorgie a pris une importance extrême aux yeux de Tbilissi, qui espère ainsi attirer des investissements étrangers significatifs, d’autant plus que la production de pétrole par la SOCAR a augmenté de près de 4 % en juillet 2010 par rapport aux chiffres de l’année précédente. Grâce à la mise en œuvre du projet de pipeline BTC, les gouvernements azerbaïdjanais et géorgien ont créé un cadre législatif favorable qui rassure les acteurs étrangers quant à leurs potentiels investissements dans d’autres domaines économiques.

Au travers des tubes, c’est donc un véritable partenariat économique qui semble se mettre en œuvre entre les deux ex-républiques soviétiques, mais également avec leur partenaire turc. Cette coopération est fortement soutenue par les États-Unis, qui y voient un instrument pour contrer l’influence régionale de la Russie. Washington cherche ainsi à multiplier les voies de transport énergétique, afin d’éviter une situation de monopole, qui menacerait la sécurité énergétique de son allié européen[4].

Les limites de cette coopération

Cependant, les progrès en termes de coopération régionale ne sont pas aussi nombreux qu’on pourrait l’espérer. Si le partenariat Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie connaît aujourd’hui un relatif succès, l’Arménie reste pour l’instant écartée de cette coopération régionale, en raison de deux problèmes principaux. Le premier est la question des relations turco-arméniennes, tendues depuis près d’un siècle. Les négociations diplomatiques, qui devaient donner lieu à une résolution progressive des différends, sont aujourd’hui au point mort en raison principalement des crispations de la population, de part et d’autre. Le second obstacle majeur à l’intégration régionale d’Erevan est le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En effet, un cinquième du territoire azerbaïdjanais est toujours sous le contrôle de l’armée arménienne. Bien qu’un cessez-le-feu ait été signé en 1994, sous l’égide de l’OSCE et du groupe de Minsk, aucun accord de paix n’a été atteint depuis lors, faisant du Haut-Karabakh l’un des « conflits gelés » du Caucase du Sud. Tant que cette question territoriale ne sera pas réglée, il est difficilement envisageable de voir se développer une coopération régionale globale dans le Caucase du Sud.

Le futur des pays du Caucase du Sud dépend de la résolution des conflits régionaux. Si l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie parviennent à se percevoir respectivement comme des partenaires commerciaux fiables et intéressants, alors la pertinence économique de la région tout entière s’accroitra, ce qui aura pour conséquence d’attirer plus encore d’investissements étrangers et de favoriser le développement économique régional.

Les intérêts économiques communs peuvent pousser les pays à négocier sur des questions jusque-là « taboues ». Erevan voit bien là son intérêt, car la coopération régionale lui permettrait de pallier son relatif isolement géographique. Pour Bakou, l'intérêt est plus indirect: si l’Arménie devenait un partenaire économique, les compagnies étrangères seraient rassurées sur le climat politique régional et donc plus disposées à investir dans les hydrocarbures azerbaïdjanais.

[1] Un Accord de partage de production est un contrat qui prévoit que le pays reste propriétaire de ses ressources naturelles (pétrole et/ou gaz naturel), tandis que le consortium fournit le capital d’investissement, les ressources managériales et la technologie nécessaires à la production. La compagnie est d’abord remboursée en pétrole de ses dépenses d’exploration et de production. Puis, le reste de la production est partagé. C’est le pays producteur qui décide des niveaux de production.
[2] Gaïdz Minassian, Caucase du Sud, la nouvelle guerre froide : Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Autrement, Paris, 2007, p. 109.
Cf. carte sur le site: http://www.azer.com/
[3] TRACECA est un projet mis en place en 1998 suite à la signature d’un accord multilatéral entre douze États pour le développement des initiatives de transport entre l’Union européenne, le Caucase du sud et l’Asie centrale. Cette organisation travaille notamment sur la question des voies de transport maritimes, terrestres, ferroviaires et aériennes. Elle cherche également à améliorer la sécurité et les infrastructures des transports. Plusieurs projets prioritaires ont été définis mais aucun à ce jour n’est encore opérationnel. L’un d’eux est le développement d’un nouveau port maritime au sud de Bakou : Alyat. Ce projet de 210 millions de dollars serait notamment financé par la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Pour plus d’informations:
http://www.traceca-programme.eu/en/home/
[4] Eldar Ismailov et Vladimir Papava, «A New Concept for the Caucasus», Journal of Southeast European & Black Sea Studies, Vol.8, n°3. pp.283-298.

* Alix DRUGEAT est doctorante à l’INALCO/UCL, recherche financée par le ministère français de la Défense.

Photographie : © Alix Drugeat.

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