Pologne: un bilan de la conférence climatique COP 19

Tenue simultanée d'un sommet sur le charbon, remaniement ministériel en cours de négociations, départ précipité des ONG... les critiques ont plu à l'encontre de Varsovie, hôte de la 19e conférence des Nations Unies sur le réchauffement climatique, alors même que le gouvernement avait aussi été attaqué sur la scène intérieure pour avoir décidé d'accueillir la COP. A-t-il vraiment raté son pari ? 


Le Stade national de Varsovie, terrain d'âpres négociationsL'organisation, du 11 au 22 novembre à Varsovie, de la 19e conférence des parties (CdP/COP) à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques aura décidément soulevé bien des controverses. Avant même son ouverture, les politiques les plus conservateurs y voyaient une «provocation» destinée à bloquer les manifestations patriotiques devant ce jour-là célébrer la fête de l'Indépendance[1] quand d'autres se demandaient pourquoi le gouvernement polonais était prêt à dépenser 100 millions de zlotys (environ 25 millions d'euros) pour accueillir un énième sommet climatique condamné à l'échec.

À l'étranger, ce choix nourrissait aussi un certain scepticisme dans la mesure où la Pologne, pays fortement dépendant du charbon pour son alimentation électrique, passait pour un opposant régulier aux initiatives de l'Union européenne (UE) visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle avait ainsi bloqué en 2011 l'adoption d'une feuille de route qui assignait à l'Union un objectif pour 2050 de réduction de 80% de ses émissions de GES et avait dernièrement voté contre le backloading, c'est-à-dire le retrait temporaire de crédits carbone en vue de faire remonter leur prix sur la plateforme d'échange de quotas d'émission (ETS).

Les soupçons des écologistes, partagés à demi-mot par le commissaire européen à l'Action pour le climat, Connie Hedegaard, s'étaient trouvés renforcés par la tenue au ministère de l'Économie –responsable en Pologne des questions énergétiques– d'un sommet international sur le charbon et le climat en parallèle de la COP. Le quotidien britannique Financial Times avait alors repris le commentaire d'un militant de Greenpeace selon lequel la désignation de la Pologne pour l’organisation de la COP revenait à confier à Vito Corleone –le parrain du célèbre film de Coppola– la présidence d'un comité sur la réforme du droit.

Cerise sur le gâteau, alors que les négociations entraient dans leur phase critique dans le but de clôturer la conférence sur un accord entre les quelque 194 États parties, le chef du gouvernement Donald Tusk annonçait un remaniement ministériel qui reléguait Marcin Korolec du rang de ministre de l'Environnement à celui de secrétaire d'État en charge de la politique climatique. Son successeur Maciej Grabowski, ancien vice-ministre des Finances, déclara dans les jours suivants faire du gaz de schiste la priorité de son ministère afin d’en démarrer l’exploitation commerciale dès 2014.

Les ONG environnementales, qui dénonçaient déjà le manque de sincère volonté politique des États en vue d’agir contre le réchauffement climatique, interprétèrent ce geste comme une nouvelle preuve de désinvolture et de grandes associations comme Greenpeace, CCFD-Terre solidaire, le Fonds mondial pour la nature (WWF), Oxfam ou encore ActionAide décidèrent de se retirer de la conférence avant sont terme.

Vers un accord à 194 signataires

En dépit de ces rebondissements, le sommet de Varsovie a créé la surprise en débouchant sur un compromis accepté par l'ensemble des participants. Certes, aucun accord global et contraignant n'a été conclu sur les efforts que chacun devait entreprendre pour réduire ses émissions de GES. Ce n'était pas du reste l'ambition de la COP 19, envisagée comme une «conférence de transition». Néanmoins, en enjoignant toutes les parties à soumettre «bien en avance» leurs «engagements» pour lutter contre le réchauffement climatique, les conclusions du sommet de Varsovie marquent un nouveau pas en avant vers l'accord mondial qui devrait être adopté lors de la COP 21 en 2015 à Paris.

De plus, des précisions ont été apportées sur la montée en régime du Fonds vert pour le climat qui doit être abondé à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à réduire leurs émissions ou à financer des actions d'adaptation au réchauffement climatique. En matière d'adaptation, le nouveau mécanisme international de Varsovie facilitera également la réparation des pertes et préjudices liés au réchauffement via des échanges d'informations et de technologies. Enfin, le système de lutte contre la déforestation REDD+ a enregistré de nouvelles avancées.

Le commissaire européen à l'Action pour le climat comme la secrétaire exécutive de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Christiana Figueres, ont salué l'important travail effectué par la présidence polonaise pour parvenir à ce compromis. Le bilan semble donc bel et bien positif sur le fond. Pour autant, la Pologne a-t-elle rempli les objectifs qu'elle s'était fixés en se portant candidate à l'organisation de la COP 19? La réponse est ici plus mitigée.

Premièrement, les autorités polonaises comptaient sur le sommet pour favoriser le débat dans l'opinion publique autour du réchauffement climatique. En effet, si la population polonaise n'est pas «climato-sceptique» au sens où elle ne nie pas de manière générale l'existence du phénomène, elle n'y accorde pas une attention très soutenue et a du mal à s'accommoder des éventuels coûts économiques supplémentaires résultant de la politique climatique. La réticence est d'autant plus forte que les objectifs de réduction des émissions de GES sont perçus comme des diktats imposés par Bruxelles et que l'aile souverainiste de l'opposition attise ce sentiment. La COP n'a pas provoqué de ce point de vue de grand changement car elle a été largement éclipsée dans les media polonais par les suites des incidents liés aux manifestations nationalistes du 11 novembre.

Combiner croissance et climat

Autre point, la Pologne a cherché à se présenter comme un acteur responsable dans la lutte contre le réchauffement climatique. Bien qu'elle se soit, on l'a vu, démarquée à plusieurs reprises de positions de l'UE jugées trop contraignantes, elle n'a cessé de marteler qu'en l'espace de vingt-cinq ans, son PIB a triplé et que ses émissions de GES ont diminué dans le même temps de 30%. C'est ce modèle combinant croissance économique et protection de l'environnement qu'elle s'est efforcée de mettre en avant, exemple américain à l'appui. .

Les milieux politiques, économiques et universitaires polonais aiment il est vrai à souligner que le paradigme européen de l'énergie chère, qui a pour but de stimuler l'innovation en vue d'améliorer l'efficacité énergétique et de réduire la consommation, constitue un double échec économique et environnemental. Avec une électricité deux fois plus chère qu'aux États-Unis et un gaz trois fois plus coûteux, non seulement l'Europe perdrait en compétitivité industrielle mais, par-dessus le marché, son impact sur la planète se serait dégradé du fait de la délocalisation d'usines vers des pays aux normes environnementales laxistes.

À l'inverse, la révolution des schistes aux États-Unis a permis à la fois une amorce de réindustrialisation du pays et une rapide diminution des émissions de GES par la fermeture de centrales à charbon au profit du gaz naturel. Cet exemple est d'autant plus convaincant pour la Pologne que son sous-sol renfermerait également d'immenses réserves de gaz de schiste. Même si les premiers forages se sont montrés jusqu'à maintenant décevants, le message adressé au législateur européen qui s'est emparé de la question est clair: nous ne pourrons pas participer à une politique climatique ambitieuse sans exploiter nos réserves d'hydrocarbures non conventionnels.

Ce lien entre énergie et climat se double enfin d'une forte dimension géopolitique et sécuritaire. Plus que l'Allemagne ou la France, la Pologne a été très sensible aux crises du gaz entre la Russie et l'Ukraine, qui ont provoqué depuis 2006 de régulières ruptures d'approvisionnement des consommateurs ukrainiens en gaz russe. Or, si la Pologne était contrainte de fermer de façon soudaine ses centrales à charbon pour satisfaire les objectifs européens de réduction des émissions de GES, elle n'aurait d'autre choix, au moins à court terme, que de brûler davantage de gaz naturel pour produire de l'électricité et accroîtrait donc sa vulnérabilité à l'«arme énergétique» russe. Les schistes assureraient dans cette perspective une transition en douceur vers des sources d'énergie décarbonées comme le nucléaire et les renouvelables.

Un défaut de communication?

En réponse aux critiques qui l'accusent d'être l'empoisonneur de l'Europe, la Pologne rappelle quelques statistiques qui tendent à nuancer le tableau entre pays «verts» d'un côté et pays «noirs» de l'autre. Ainsi, l'Allemagne et le Royaume-Uni, parmi les plus volontaristes en matière de lutte contre le réchauffement climatique, ont vu leurs émissions de GES grimper en 2012 quand celles de la Pologne diminuaient. Par ailleurs, la place du charbon dans le bouquet énergétique allemand augmente et devrait continuer de le faire dans les années à venir en raison de la construction de nouvelles centrales.

Ces messages n'ont cependant été que très peu audibles dans les grands media internationaux, résultat peut-être de difficultés de communication. Pour autant, le pragmatisme de la position polonaise a très probablement contribué au succès de la conférence internationale sur le climat dans la mesure où elle a dû paraître aux yeux de nombreux pays émergents plus crédible et réaliste que la démarche «exemplaire» et parfois moralisante d'autres États européens au point de départ très différent.

C'est au nom de ce même pragmatisme que Marcin Korolec a désiré davantage associer à la COP le monde des affaires et les collectivités locales, en particulier les villes qui jouent un rôle central dans la lutte contre le réchauffement climatique. De ce point de vue, le sommet mondial sur le charbon ne fait que reconnaître une réalité documentée par l'Agence internationale de l'énergie: le charbon demeure au niveau mondial le combustible le plus utilisé pour la production d'électricité et sa consommation continuera de croître pendant encore de nombreuses années. On ne peut donc pas l'éliminer d'un trait de plume, sauf à se couper des grands pays émergents... et de la Pologne.

Notes :
[1] Voir notre article précédent «Pologne: Construire un "patriotisme familial"», Regard sur l’Est, 1er novembre 2013.
[2] Agence internationale de l'énergie, Medium-Term Coal Market Report 2013. Market Trends and Projections to 2018, 2013.

Vignette : Le Stade national de Varsovie, terrain d'âpres négociations (Photo COP 19).

* Ancien étudiant de l'IEP de Strasbourg et du Collège d'Europe (Natolin).
L'auteur s'exprime à titre strictement personnel et ses propos ne sauraient engager en aucune façon les institutions auxquelles il est affilié.