Y a-t-il encore des synagogues en Pologne?

La présence millénaire des Juifs a laissé des traces dans le paysage polonais. Longtemps délaissées, les anciennes synagogues sont aujourd’hui au cœur de nombreuses initiatives. Les projets en cours témoignent du nouveau regard porté par la société polonaise sur son passé juif.


Ruines de la synagogue de Dzialoszyce, région de Sainte-CroixAvant la Seconde Guerre mondiale, la Pologne comptait plusieurs milliers de synagogues et de maisons de prière. Certaines, comme à Katowice, Oświęcim et Bydgoszcz, dans les territoires annexés au Reich, furent démolies dès l’automne 1939. D'autres, pillées et saccagées, furent transformées en entrepôts, en ateliers ou en écuries. Après 1945, le régime communiste laissa une grande partie des synagogues à l’abandon ou leur attribua de nouvelles fonctions, liées à ses propres objectifs idéologiques: maisons de la culture, cinémas, administrations... Dans certains cas, les bâtiments vandalisés par l’occupant furent simplement mis à la disposition du plus grand nombre. À Poznań, une synagogue édifiée en 1907 dans la rue Wroniecka était devenue en 1940 une piscine pour soldats de la Wehrmacht ; après la guerre, aucun travail de restauration ne fut entrepris. Les autorités rebaptisèrent l’endroit « piscine municipale » et ouvrirent ses portes au public.

La restitution des « biens abandonnés »

L’effondrement du bloc soviétique en 1989, puis la signature d’un accord entre l’État et les communautés juives de Pologne en 1997, ont permis à celles-ci de récupérer une partie des lieux de culte assimilés en 1945 à des « biens abandonnés ». En 2002, la ville de Poznań a restitué l’ancienne synagogue de la rue Wroniecka à la communauté juive, qui souhaite aménager à l’intérieur un lieu de dialogue autour de l’histoire des Juifs. Plusieurs architectes travaillent sur le projet, mais les fonds nécessaires sont difficiles à trouver. Faute de moyens, la gestion de la piscine a pour l’instant été confiée à un opérateur privé, Aquatic.

Pour financer la restauration des anciennes synagogues et l’entretien des cimetières juifs, particulièrement menacés, l’Union des communautés juives de Pologne (ZGWŻ) s’est associée en 2002 à la World Jewish Restitution Organization (WJRO) afin de créer une Fondation pour la protection du patrimoine juif de Pologne (FODŻ). Parmi les nombreux projets mis en œuvre par cet organisme figure la rénovation de la très belle synagogue de Zamość, près de la frontière ukrainienne. Le bâtiment, de style Renaissance, a été construit vers 1610-1620. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont installé à l’intérieur une écurie, puis un atelier de menuiserie. Dans les années 1950, le lieu a été utilisé brièvement comme entrepôt avant d’être aménagé en bibliothèque publique. En 2005, le bâtiment, fortement endommagé, a été cédé à la Fondation par la municipalité. Après d’importants travaux de restauration, financés notamment par l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège, la synagogue, transformée en espace culturel, a été inaugurée le 5 avril 2011 en présence du grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, et de l’ambassadeur d’Israël, Zvi Rav-Ner. L’ouverture du centre « Synagoga » constitue la première étape d’un ambitieux projet de revitalisation du patrimoine culturel juif dans l’ensemble de la région.

A Lublin, la principale ville de l’Est du pays, l’accord signé en 1997 entre l’État et les communautés juives de Pologne a contraint la faculté de médecine à déménager dans de nouveaux locaux. Depuis des décennies, les cours avaient lieu dans une ancienne école rabbinique, la Yeshivat Chachmei Lublin, inaugurée en grande pompe en 1930. Dévasté par les nazis, qui installèrent à l’intérieur un hôpital militaire, le bâtiment fut mis à la disposition de l’université en 1945. Partiellement restaurée, la yechiva[1] est aujourd’hui le siège officiel de la branche de Lublin de la communauté juive de Varsovie, propriétaire des lieux depuis 2003.

La renaissance d’une vie juive

La capitale joue un rôle central dans le renouveau de la vie juive en Pologne. Une tour de verre s’élève à l’emplacement de la grande synagogue de la rue Tłomackie, dynamitée par les SS le 16 mai 1943 mais, dans l’ancien périmètre du « petit ghetto », la synagogue Nożyk, utilisée comme écurie, n’a pas été détruite. Un bâtiment adjacent abrite les bureaux de la communauté juive, la rédaction du mensuel Midrasz, plusieurs organismes, dont la Fondation pour la protection du patrimoine juif de Pologne, et une agence de voyages : Shalom Travel. Devenue un important centre culturel et religieux, la synagogue est ouverte au public tous les jours, à l’exception du samedi. On peut aussi venir la visiter pendant la Nuit des Musées ou à l’occasion d’un festival culturel, Otwarta Twarda, dont la troisième édition s’est déroulée du 14 au 22 mai 2011. Parallèlement, la revue Midrasz gère une librairie et organise chaque année un salon du livre juif. Très présente sur internet, la communauté juive de Varsovie publie régulièrement une newsletter et dispose d’un profil sur le réseau social Facebook.

Signe des temps, une souscription a été lancée à Łódź pour construire une nouvelle synagogue. La seule que les nazis n’ont pas démolie, la synagogue Reichert, se trouve en effet dans le fond de la cour intérieure d’un immeuble privé, ce qui rend son utilisation difficile. Un bain rituel –mikveh– a déjà été inauguré en 2008. La communauté, qui compterait environ 300 membres, a également ouvert des chambres d’hôtes, une maison de jour pour personnes âgées et un restaurant caritatif servant des repas cachers. Le rabbin de la ville, Simcha Keller, est sans doute l’une des rares personnes capables de s’exprimer couramment en polonais et en hébreu. « Nous sommes une petite communauté », peut-on lire sur internet, « mais malgré les difficultés nous essayons de montrer que nous sommes là et que nous cultivons la tradition dans une ville qui fut autrefois une terre promise pour des milliers de familles juives »[2].

La restauration des anciennes synagogues est particulièrement visible à Cracovie, où les nombreux touristes qui sillonnent l’ancien quartier juif de Kazimierz peuvent en découvrir sept, mais seule la plus petite, la synagogue Remuh, est réellement en activité. Les autres accueillent des musées, des expositions, des concerts ou des groupes venus de l’étranger. En 2008, grâce au soutien du Prince Charles, un centre communautaire flambant neuf a été construit derrière la synagogue Tempel ; mais la population juive de Cracovie ne dépasserait guère aujourd’hui 150 à 170 personnes, contre 65 000 en 1939.

Des traces du passé

Le renouveau du monde juif en Pologne ne concerne que les grands centres urbains. Ailleurs, les bâtiments délabrés des anciennes synagogues sont les témoins muets de la présence passée des Juifs. On ne saurait trouver meilleure illustration du mot « génocide ». A Działoszyce, au nord-est de Cracovie, les ruines de la synagogue, en plein cœur de la ville, attestent de la disparition brutale des Juifs, déportés à Bełżec en septembre 1942. L’église est située à l’écart, preuve qu’avant-guerre la majorité de la population locale était juive. Une historienne et journaliste polonaise, Agnieszka Sabor, a consacré un livre entier au passé juif de Działoszyce et de plusieurs shtetls des environs[3]. Plus d’un million de personnes se pressent chaque année à Auschwitz, mais combien sont-elles à faire le détour jusque-là ? A défaut, les visiteurs peuvent s’arrêter au Centre juif d’Oświęcim, aménagé en 2000 dans une ancienne maison de prière: Chevra Lomdei Misnayot. Ils y apprendront qu’avant l’annexion de la ville par l’Allemagne nazie et la germanisation de son nom, devenu Auschwitz, 7 000 Juifs vivaient là, sur une population totale de 12 000 personnes.

A Cracovie, le Centre Galicia présente une exposition du photographe britannique Chris Schwarz montrant les vestiges de plusieurs synagogues du sud de la Pologne. Quelques-unes ont été restaurées, mais la plupart sont laissées à l’abandon. De toute évidence, l’argent manque pour sauver un patrimoine qui tombe en ruines. A Paris, en février 2011, l’Institut polonais et l’Association européenne du Musée d’histoire des Juifs de Pologne ont exposé les travaux du photographe Wojciech Wilczyk : « Y avait-il une synagogue ici ? ». Le catalogue de l’exposition contient plus de 300 photographies de synagogues polonaises. Certaines ont été transformées en magasins de meubles, d’autres en bureaux… A Radoszyce, dans la région de Sainte-Croix, une synagogue du XVIIIe siècle est devenue un poste de police. A Szydłowiec, en Mazovie, un débit de boissons occupe une ancienne maison de prière. Le nom de l’établissement est écrit au-dessus de l’entrée : Pub Jericho.

Il ne reste parfois plus aucune trace des anciens lieux de culte des Juifs de Pologne. A Bydgoszcz, le chef-lieu de la voïvodie de Cujavie-Poméranie, un parking surveillé a remplacé l’imposante synagogue construite à la fin du XIXe siècle et détruite par les nazis en octobre 1939. Aucune inscription, aucune plaque commémorative ne signale aux passants quel bâtiment se dressait là avant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, à deux pas de là, devant l’hôtel de ville, un impressionnant monument rend hommage aux victimes d’un massacre de civils commis par les Allemands au début de l’occupation. Les plus âgés se souviennent qu’une église a été démolie par les nazis sur la grande place du marché, mais l’existence de la synagogue a totalement disparu de la mémoire locale, preuve que la tragédie des Juifs n’a pas encore trouvé sa place dans le récit national polonais.

La renaissance d’une vie juive et les efforts déployés pour sauver de la ruine quelques synagogues témoignent des changements intervenus dans la société polonaise depuis la chute du régime communiste en 1989. Toutefois, les initiatives actuelles pèsent peu au regard de l’abîme que représente l’assassinat de trois millions de Juifs polonais par l’Allemagne nazie entre 1939 et 1945. Les bâtiments des anciennes synagogues, transformés ou en ruines, portent la marque physique de l’anéantissement.

Notes :
[1] Centre d’étude talmudique.

[2] http://jewishlodz.org.pl/ (traduction de l’auteur).

[3] Agnieszka SABOR, Sztetl. Śladami żydowskich miasteczek, Austeria, Cracovie, 2005.

* Alban PERRIN est Coordinateur de la formation au Mémorial de la Shoah (Paris).

Photographie : Ruines de la synagogue de Dzialoszyce, région de Sainte-Croix. © Alban Perrin (février 2009).