Entretien avec Aslan Abachidze, président de la Région autonome d’Adjarie

Entretien réalisé le 5 avril 2003.


M. Chevarnadzé s'est rendu régulièrement à Batoumi, alors que vous ne vous êtes déplacé qu'à deux reprises à Tbilissi. Comment définiriez-vous vos relations avec le pouvoir central ?

M.Chevarnadzé est effectivement venu régulièrement dans notre région. Il est comme un directeur d'usine qui se doit de connaître et visiter tous les secteurs de son entreprise. C'est une attitude légitime lorsque l'on est à la tête d'un pays. Pour ma part, il m'est très difficile de me déplacer en Géorgie.

J'ai été victime, à maintes reprises, d'attentats qui ont failli me coûter la vie. Au début des années 1990, j'ai d'ailleurs été touché à quelques millimètres de la carotide, par un agresseur ayant ouvert le feu à dix-neuf reprises. Et la situation actuelle du pays me pousse encore aujourd'hui à être très prudent.

Alors que vous étiez au deuxième tour de l'élection présidentielle en 2000, vous vous êtes retiré laissant ainsi M. Chevarnadzé briguer un second mandat présidentiel. Quelles sont aujourd'hui vos perspectives politiques ?

Lors des dernières élections, les résultats ont été erronés dans de nombreux districts. Même si, en Géorgie, la démocratie laisse en théorie à chacun la chance d'être élu, en pratique cela est bien différent.

Avec près d'un million d'électeurs géorgiens en Russie, il est simple de détourner des votes pour asseoir son pouvoir dans un pays qui ne compte que 1,5 millions d'habitants. La marge de manœuvre est donc faible et l'intérêt de telles élections limité. Dans de telles conditions, il m'est difficile de me prononcer sur une candidature aux prochaines élections présidentielles de 2005. "De tous les ports d'ex-URSS, le port de Batoumi est par ailleurs le seul à avoir adhéré à certaines organisations internationales, notamment Veritas"

Selon vous, l'avenir de la Géorgie doit-il s'orienter vers une fédération des régions ?

Historiquement, la Géorgie est une fédération. Même si la culture géorgienne est très ancrée, le régionalisme y est particulièrement prégnant. Mais Tbilissi n'est pas encore prête à défendre une politique de décentralisation.
Partager le pouvoir n'est indéniablement -et malheureusement- pas la priorité du gouvernement central. Pour preuve, l'Adjarie a déjà sa propre constitution. Mais M. Chevarnadzé voudrait obtenir un droit de regard, et surtout de validation ultime, pour entériner tout résultat électoral interne. Une ingérence visant à contrôler, puis supprimer notre constitution.

Quelles sont vos relations avec votre voisin turc?

Nous avons une importante communauté géorgienne en Turquie. A Istanbul, deux rues portent même des noms géorgiens. Reste que la Turquie est le premier allié de la Géorgie. A la fin de l'époque soviétique, elle a versé cinquante millions de dollars à la Géorgie pour un soutien d'urgence. Mais l'Adjarie n'a rien reçu. Pas un dollar, ni même un kilo de sucre. Tbilissi a perçu l'intégralité de cette somme, sans en reverser, ne serait-ce qu'une partie, à l'Adjarie. Nous misons donc sur nos propres ressources, et favorisons l'investissement étranger. Le port de Batoumi compte d'ailleurs aujourd'hui un grand constructeur turc parmi ses investisseurs.

Quel développement envisagez-vous pour le port de Batoumi ?

Nous avons fait un grand pas si l'on compare la situation actuelle avec celle de l'époque soviétique. Auparavant, le port s'étendait sur neuf hectares. Aujourd'hui, il est beaucoup plus important, grâce à une politique volontariste de la collectivité de Batoumi. Personnellement, j'ai souhaité redonner un élan conséquent au développement du port qui, sous la Russie tsariste, était le troisième plus grand port de la mer Noire.
De tous les ports d'ex-URSS, le port de Batoumi est par ailleurs le seul à avoir adhéré à certaines organisations internationales, notamment Veritas.

Comment situez-vous le port de Batoumi face aux autres ports de la Géorgie ? 

Sur le plan économique, l'Adjarie subit la politique menée par M. Chevarnadzé et son gouvernement à notre encontre. Tbilissi a fait pression pour que le port de Poti obtienne des partenariats et des accords avec des banques européennes ou encore avec l'Ukraine. Une disposition prise au détriment de Batoumi, qui, par exemple, n'est pas desservie par la ligne de ferry boat. Reste que le ''sacrifice'' de Batoumi au profit de Poti est difficilement discutable. Si un malade devait se faire amputer d'une jambe, laquelle choisirait-il ?
Néanmoins, grâce à notre dynamisme, nous arrivons à intéresser les investisseurs étrangers. BP Mobil, par exemple, a récemment utilisé le port de Batoumi pour y déposer les matériaux nécessaires à la construction de l'oléoduc Bakou-Ceyhan.

Vous définiriez-vous davantage comme Adjare ou Géorgien ?

Ma mission est celle d'un citoyen géorgien. Le nom Abashidze fait partie de l'histoire même de la Géorgie. D'ailleurs, dans les livres scolaires d'histoire de la Georgie, M. Chevarnadzé et moi-même sommes les seuls hommes politiques actuels à être mentionnés. Mais aucune famille n'y est représentée comme la mienne : dix membres y sont présents.
Plus largement, je souhaiterais une cohésion pacifique des régions géorgiennes, ce que les gouvernements précédents et actuels n'ont pas réussi à mettre en place depuis l'indépendance du pays.
Il est manifeste que le pouvoir central ne sait toujours pas gérer les relations politiques et économiques avec les régions. L'Adjarie a été épargnée grâce à notre politique pacifiste et notre dynamisme économique. Mais voyez aujourd'hui l'état de l'Abkhazie, de l'Ossétie du sud ou encore la situation économique de la Mégrélie. Il s'agit aujourd'hui de trouver une langue commune pour toutes ces régions qui ont des intérêts différents, voire parfois divergents, d'adhérer à la Géorgie.

Par Max CHAMKA
Vignette : Aslan Abachidze en 2002 (Domaine public)