Dès l’invasion d’ampleur de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, la Corée du Sud a adopté une position diplomatique claire : le pays soutient fermement l’intégrité territoriale de l'Ukraine et condamne l’agression russe. Néanmoins, le gouvernement sud-coréen a décidé de ne pas s’engager dans une aide militaire directe mais plutôt de se concentrer sur des initiatives économiques et humanitaires.
Le soutien de la Corée du Sud s’est illustré notamment par un soutien d’une valeur totale évaluée à environ 400 millions de dollars, centré sur l’aide humanitaire (matériel médical, produits de première nécessité) puis la reconstruction. Bien que non membre de l’OTAN, la Corée du Sud a renforcé son implication internationale en participant au sommet de Vilnius en juillet 2023, occasion d’annoncer sa contribution financière au plan d’aide globale de l’Alliance. Par ailleurs, la Corée du Sud applique les sanctions économiques internationales contre la Russie. Cette stratégie de soutien moral et matériel à l’Ukraine, sans exposer son pays, permet à Séoul de rester fidèle aux valeurs internationales tout en évitant d’être entraîné dans un conflit direct.
Ainsi, bien que son soutien à l’Ukraine soit notable, la Corée du Sud agit néanmoins avec prudence, consciente de ses intérêts stratégiques dans la région. Le gouvernement du président Yoon a montré sa solidarité avec les alliés occidentaux, notamment les États-Unis, tout en restant vigilant sur les effets de cette politique sur ses relations avec la Chine et la Russie. En effet, Séoul ne souhaite pas provoquer une rupture complète avec Moscou, en particulier sur les questions liées à la sécurité régionale, et ne veut pas trop dépendre des États-Unis, ce qui se ferait au détriment de ses liens avec Pékin.
Dans ce contexte, la Corée du Sud se situe à un carrefour, où elle doit « jongler » avec la nécessité de soutenir un équilibre mondial et, en même temps, avec son désir de maintenir des relations diplomatiques stables avec les puissances voisines. Le soutien à l’Ukraine, tout en étant un geste significatif de solidarité, reste donc restreint.
Des conséquences diplomatiques sur les relations avec la Russie
La guerre d’agression contre l’Ukraine a mis à l’épreuve les relations de la Corée du Sud avec la Russie, jusqu’alors marquées par des échanges économiques dans des secteurs clés tels que le commerce, la technologie et l’énergie. Mais l’implication de Séoul dans les sanctions économiques contre Moscou a conduit à une détérioration de ces relations, bien que la Russie n’ait pas pris de mesures de représailles directes contre Séoul. Cette cassure diplomatique a cependant un impact sur certains projets bilatéraux, notamment dans le domaine de la défense et de la coopération technologique.
Avant le début de la guerre d’ampleur, la Russie et la Corée du Sud entretenaient des relations relativement équilibrées, menant des discussions sur des projets d'infrastructures énergétiques et de partenariats commerciaux. L’implication de la Corée du Sud au côté des alliés de l’Ukraine a perturbé cette dynamique. Moscou a par exemple mis fin à certains accords économiques et suspendu des projets de coopération.
Le soutien de Séoul aux sanctions économiques a renforcé les tensions avec Moscou, qui voit dans cette prise de position un alignement avec l’Occident. Toutefois, bien que la Russie ait condamné la politique de Séoul, le Kremlin n’a pas pris de mesures militaires ou commerciales radicales contre le pays. En revanche, la Russie a cherché à isoler la Corée du Sud de certains marchés asiatiques, tout en développant ses relations avec d’autres partenaires, notamment la Chine et L’Iran.
Dans cette situation, la Corée du Sud doit naviguer avec vigilance. Si elle continue de soutenir l’Ukraine, elle court le risque d’alimenter encore plus ces tensions avec Moscou qui pourrait, en retour, renforcer ses liens avec des alliés régionaux plus hostiles à Séoul. Cette dynamique contraint Séoul à maintenir une politique de dialogue, tout en respectant ses engagements envers ses alliés occidentaux.
Un fossé grandissant dans les relations avec la Corée du Nord
L’impact de la guerre en Ukraine sur les relations entre la Corée du Sud et la Corée du Nord est évidemment d’une ampleur significative. L’implication de la Corée du Nord au côté de la Russie, notamment par la fourniture d’armements et par l’envoi de soldats, a non seulement renforcé la position de Moscou mais aussi exacerbé les tensions sur la péninsule coréenne. Ce soutien constitue une réelle escalade diplomatique et militaire qui complexifie davantage encore les relations intercoréennes, avec des répercussions sur la sécurité régionale.
Depuis le début de la guerre d’ampleur en Ukraine, les autorités de Pyongyang ont exprimé leur soutien à la Russie, qualifiant l’agression de « légitime » et critiquant les actions de l’OTAN. Mais ce soutien va bien au-delà des déclarations politiques et se matérialise sur le terrain. En échange, la Russie renforce ses liens militaires et économiques avec la Corée du Nord, offrant vraisemblablement de l’aide pour la modernisation de ses infrastructures militaires.
Cette situation a conduit Séoul à exprimer de vives inquiétudes. La participation de la Corée du Nord au conflit pourrait entraîner une intensification de la menace militaire que représente Pyongyang pour la Corée du Sud et encourager de nouvelles provocations militaires de la part du régime de Kim Jong-un qui procède à un tournant diplomatique majeur. En outre, le soutien militaire de Pyongyang à Moscou compromet l’approche diplomatique de Séoul qui cherchait jusque-là à maintenir une certaine stabilité sur la péninsule en poursuivant des discussions avec le Nord.
L’impact sur la politique intérieure
La guerre en Ukraine et ses conséquences diplomatiques ne se limitent pas aux seules relations internationales. Elles ont également un impact significatif sur la politique intérieure sud-coréenne, notamment en ce qui concerne les choix stratégiques du gouvernement de Yoon Suk-yeol. Les questions de sécurité nationale, en particulier les préoccupations liées à la Corée du Nord, sont devenues centrales dans le débat politique interne.
Le gouvernement de Yoon a dû faire face à une pression croissante pour soutenir pleinement l’Ukraine tout en évitant de s’engager trop directement, ce qui pourrait nuire à ses intérêts économiques et sécuritaires. En effet, les tensions internes en Corée du Sud ont été exacerbées par les divergences politiques sur la manière de gérer les relations avec la Russie et la Chine et par les pressions de la part de l'opposition qui critique parfois l’engagement en faveur de l’Ukraine.
Qu’attendre du retour de Donald Trump ?
L’impact de l'élection présidentielle américaine de 2024 va également influencer la position de la Corée du Sud. Le retour de Donald Trump à la Maison blanche devrait impliquer un tournant dans la politique étrangère des États-Unis, avec un possible retrait des engagements militaires américains en Europe et en Asie.
Cela pourrait conduire la Corée du Sud à réévaluer ses priorités et à ajuster sa politique vis-à-vis de l’Ukraine. Séoul pourrait en effet être tenté de jouer davantage sur ses propres leviers diplomatiques pour renforcer ses relations avec ses voisins asiatiques, tout en réduisant son implication directe en Ukraine.
La guerre d’ampleur en Ukraine a bouleversé l'équilibre des relations internationales, et la Corée du Sud se trouve à un carrefour stratégique difficile. Son soutien, même prudent, à l’Ukraine a renforcé ses relations avec l’Occident tout en créant de nouvelles tensions avec la Russie et la Corée du Nord. Dans un contexte où les enjeux géopolitiques de la péninsule coréenne sont toujours aussi complexes, la Corée du Sud doit naviguer entre, d’une part, son soutien à un ordre international basé sur des règles qu’elle respecte et, d’autre part, la gestion de ses relations avec les puissances voisines. Jusqu’ici, son implication dans cette crise mondiale a démontré sa volonté de défendre les principes de souveraineté et de paix, tout en préservant ses propres intérêts nationaux dans un monde multipolaire.
Références bibliographiques :
-우크라이나에서 북한 군인과 서울의 전략적 딜레마. 한겨레일보 (Des soldats nord-coréens en Ukraine, le dilemme stratégique de Séoul), 한겨레일보 (Hankyoreh Ilbo), 24 octobre 2024
-한국 전쟁의 유산: 우크라이나에서의 북한 군사 활동과 한국의 안보 도전, (L'héritage de la guerre de Corée : les activités militaires nord-coréennes en Ukraine et les défis de sécurité pour la Corée du Sud), 한국어 (BBC Korea), octobre 2024.
- « Seoul’s Strategic Dilemma in the Ukraine War », Yonhap News , 26 octobre 2024.
- « Soldats nord-coréens en Ukraine : quelles conséquences pour la péninsule ? », RFI, 25 octobre 2024.
- Hart-Landsberg, Martin. « La Russie, la Corée du Sud et la guerre en Ukraine », Le Monde diplomatique, juin 2024.
- « Pourquoi le déploiement de soldats nord-coréens en Russie inquiète autant Séoul », Courrier International, octobre 2024.
Vignette : Rencontre entre le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et la Première dame d’Ukraine, Olena Zelenska, au bureau présidentiel à Séoul, le 16 mai 2023 (Photo prise par le bureau présidentiel).
* Loubna Hadir est étudiante coréanisante en Master 2 de Relations internationales à INALCO.