Kosovo : la transition vers la viabilité?

Année symbolique pour le Kosovo, 2023 marque le 15ème anniversaire de la déclaration d'indépendance du Kosovo et le 24ème de l'intervention de l'OTAN dans le pays. Alors qu’en décembre dernier, le pays a demandé son adhésion à l'Union européenne, et dans le contexte de guerre en Ukraine, l'Union européenne et les États-Unis espèrent que 2023 sera l'année d'une percée diplomatique entre les gouvernements du Kosovo et de Serbie.


Boulevard Mère Teresa à Pristina, Kosovo (photo de l’auteur).Le 19 mars 2023, la signature de l’accord de normalisation entre la Serbie et le Kosovo a été saluée par le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Josep Borrell. Si cet accord est appliqué, le Kosovo et la Serbie devraient se mettre d'accord sur une reconnaissance mutuelle, condition préalable à leurs adhésions à l'UE. Cependant, le Président serbe Aleksandar Vucic, et le Premier ministre kosovar Albin Kurti ont timidement salué la signature de cet accord, dont la valeur dépendra de la mise en application. La Serbie s’y est engagée à cesser de s’imposer comme représentant du Kosovo sur la scène internationale ; pourtant, en Serbie, le Kosovo-et-Métochie est revendiqué comme faisant partie du territoire serbe.

Actuellement, la principale cause de friction entre les deux pays porte sur le statut à accorder à une association représentant les municipalités serbes du Kosovo : le gouvernement kosovar voit dans cette concession à la Serbie une menace pour sa souveraineté. De fait, la démission des responsables serbes de l'Assemblée du Kosovo le 5 novembre 2022 et les tensions dans le nord du pays en décembre 2022 rendent difficile l’application de cet accord. Le 25 janvier 2023, dans une interview accordée à la chaîne kosovare Klan TV, Miroslav Lajčák, représentant spécial de l'UE pour le dialogue Belgrade-Pristina, avait déclaré que l’année 2023 serait importante pour la normalisation des relations entre les deux pays. D’autant qu’en 2024, les élections au Parlement européen et l’élection présidentielle aux États-Unis auront pour effet de détourner l'attention de la communauté internationale de cette question régionale(1).

De nombreuses difficultés économiques

Depuis l'intervention de l'OTAN en 1999, la reconstruction et le soutien aux autorités du Kosovo se sont traduits par l’intervention d'institutions financières internationales et d'agences nationales de développement. Aujourd’hui, alors que l’économie du Kosovo est intrinsèquement vulnérable, l'émigration de la population met en péril l'avenir du pays. L'actuel Premier ministre, Albin Kurti, nommé le 22 mars 2021 par l’Assemblée de Kosovo suite à la victoire de son parti aux élections parlementaires, axe sa politique sur les promesses de lutte contre la corruption et de création d'une économie au service de tous les habitants du Kosovo. Son programme prévoit notamment de réformer l'Agence de privatisation du Kosovo, créée par les Nations Unies avec la coopération de l'UE le 13 juin 2002. Dotée d’un conseil consultatif composé d’un personnel à la fois international et kosovar, elle avait pour mission de procéder à la privatisation des entreprises héritées de l'économie « coopérative » de Yougoslavie, en accordant aux salariés des actions de l’entreprise dans laquelle ils travaillaient. Or, la guerre a évidemment eu un impact sur la viabilité de ces entreprises, dont 10 % environ étaient en faillite avant la privatisation. Au terme d’un processus aux résultats mitigés, les entreprises minières et agricoles, notamment, ont bien été privatisées ; mais des investisseurs peu fiables sont également apparus, menant à des licenciements. L'Agence a par ailleurs connu des tensions au sein de son conseil d'administration, se traduisant par des accusations de conflits d’intérêt et des démissions(2).

Aujourd'hui, le Kosovo enregistre un déficit commercial considérable, les exportations ne couvrant que 15 % des importations. En outre, ni le secteur bancaire privé ni les entreprises commerciales locales ne sont suffisamment capitalisés pour financer de grands projets d'investissement. Alors que le pays a la démographie la plus jeune d'Europe (38 % de ses 1,8 million d'habitants ont moins de 20 ans), les budgets dédiés à l'éducation et la santé sont proportionnellement inférieurs à la moyenne européenne.

Le Kosovo est largement soutenu par des bailleurs de fonds internationaux : selon le Comité d'aide au développement de l'OCDE, en 2020, il était le premier bénéficiaire net de l'aide publique au développement dans les Balkans occidentaux, avec près de 544 M$. Depuis 2009, il fait partie des trois premiers récipiendaires de la région(3). Or, en 2021, la dette publique représentait près de 22 % du PIB kosovar. L’adoption de l’euro a certes permis de créer une stabilité monétaire, supposée faciliter l’investissement dans le pays. Mais la Banque centrale du Kosovo n’a aucune autonomie et doit se financer sur les marchés financiers internationaux. Les salaires et les prix sont les seules variables d’ajustement pour la compétitivité de l’économie(4). Selon l'Indice de liberté économique de la Heritage Foundation, le Kosovo occupe d’ailleurs la 40ème position sur 45 pays d'Europe en la matière (le bas du classement comprend la Turquie, la Russie et l'Ukraine). Les relations commerciales avec les voisins balkaniques sont régulées par un accord de libre-échange régional. L'accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne, signé le 27 octobre 2015, réglemente par ailleurs les échanges avec le marché de la zone économique européenne. Le Kosovo a également signé des accords commerciaux avec le Royaume-Uni et la Turquie.

Le rôle des fonds envoyés par la diaspora et des cryptomonnaies

Toutefois, selon la Banque mondiale, les envois de fonds en provenance de la diaspora représentaient près de 18 % du PIB en 2021, contribuant largement au financement du secteur du BTP. De nouveaux quartiers sont apparus, dont certains composés d'immeubles partiellement habités puisqu'il s'agit en grande partie d'investissements réalisés par des personnes situées hors du pays. La croissance urbaine étonne parfois les habitants : Shpetim, un employé de bureau, déclare en voyant les nouveaux immeubles de bureaux à l'ouest de Pristina : « La ville a tellement changé. Sous ces tours de bureaux se tenait mon lycée. C'était il y a dix ans seulement. »

Ce boom immobilier ne parvient pas à cacher une autre réalité : le chômage s'élève à 20 % de la population active. Selon les enquêtes du PNUD, en 2019, plus de 60 % des personnes interrogées se déclaraient insatisfaites de la direction économique du Kosovo. Au nord du Kosovo, la communauté serbe de Mitrovica se tient à distance des autorités kosovares et c’est la Serbie qui finance les institutions sociales de cette partie du territoire, zone grise économique où se développe par ailleurs une activité notable de crypto-minage, secteur qui prospère sur un terrain favorable alors que les municipalités du Nord refusent de payer l'électricité produite par la compagnie d'électricité du Kosovo. Paradoxalement, Mitrovica voit aussi s’installer des producteurs de cryptomonnaies d’ethnie albanaise(5).

Un pays qui se vide

L'émigration est un problème constant, avec un solde migratoire négatif de 38 606 habitants en 2021 et un taux de fécondité (1,5 enfant par femme) inférieur au taux de renouvellement de la population. Alors que la population totale est estimée à 1,7 million d’habitants, l’Agence nationale des statistiques juge que le pays a peut-être déjà atteint son pic de population(6).

Il est probable que les citoyens du Kosovo pourront voyager sans visa vers l'UE à partir de janvier 2024, conformément à la perspective européenne du pays. Certains y voient un risque d’encouragement supplémentaire à l’émigration. Un chauffeur de taxi déclare : « J'attends mon visa pour l'Allemagne depuis 3 ans pour aller travailler dans le restaurant de mon frère. »

Concrètement, les connexions avec l’étranger restent complexes, même si la coopération des autorités avec les institutions financières internationales a permis le développement des infrastructures de transport, telles que les autoroutes et les voies ferrées. Si l'aéroport de Pristina est la principale plaque-tournante du transport au Kosovo, les grandes voies de transport entre l'Europe centrale et l'Europe du Sud-Est continuent toutefois d’éviter le Kosovo. Ainsi, le projet de chemin de fer Budapest-Athènes traverse la Serbie et la Macédoine du Nord. C’est pour cette raison que les membres de la diaspora kosovare sont souvent amenés à traverser la Serbie pour effectuer leurs trajets.

Alors que la communauté internationale a les yeux tournés vers l’Ukraine, son rôle dans le développement du Kosovo pourrait devenir secondaire. Les partenaires pourraient axer leur politique sur la sécurité et la stabilité du Kosovo et de la région et se désengager des enjeux économiques. C’est à Pristina d’en faire une opportunité et de s'approprier plus largement son développement économique : le faible niveau d'endettement de l'État kosovar est l'occasion de mobiliser les ressources du pays. Les conséquences de la crise liée au Covid-19 et la guerre menée par la Russie en Ukraine pourraient constituer finalement des opportunités pour que le Kosovo intègre les chaînes de valeurs au plus près de l'Union européenne. Et il est évident qu’une économie prospère ne pourrait que favoriser des relations fonctionnelles entre la communauté serbe du Kosovo et l'État du Kosovo.

Alors que l’application d’un accord entre le Kosovo et la Serbie doit encore faire ses preuves, Drita, comptable, constate avec amertume : « Après toutes ces années, nous restons un pays en transition. »

Notes :

(1) Lajçaku thotë se Asociacionin do ta formojë Kosova, prandaj s’duhet të kihet frikë nga Republika Serbe (Lajčák dit que le Kosovo formera l'Association, il n'y a donc pas lieu de craindre la République serbe), KlanKosova TV, 25 janvier 2023.

(2) « Panic selling: assessing the main challenges and deficiencies of Kosovo’s privatization process”, Group for legal and political studies, Balkan Investigative Reporting Network, Pristina, février 2016.

(3) Données de la Banque mondiale.

(4) Jean Francois Ponsot, « Full Euroization of Kosovo: a Sustainable Strategy? », Prishtina Insight, 1er novembre 2022.

(5) Leart Hoxha, « Endgame Nears for Kosovo’s Crypto Haven », Balkan Insight, 19 décembre 2022.

(6) Données de l’Agence des statistiques du Kosovo.

Vignette : Boulevard Mère Teresa à Pristina, Kosovo (photo de l’auteur).

 

* Alejandro Marx est un chercheur indépendant. Il a travaillé pour l’ONU, l’Union européenne et l’OSCE. Son travail l’a mené au Kirghizstan, en Ukraine et au Kosovo. Il est diplômé de la School of Slavonic and East European Studies à University College London. Il a aussi étudié à l’INALCO.

Lien vers la version anglaise de l’article.

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