L’enjeu agricole au sein des PECO

Alors que l'UE est confrontée dans le secteur agricole à la remise en cause du modèle productiviste, et à l'ébranlement d'une des bases historiques et économiques du marché commun, la Politique Agricole Commune (PAC), les pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion doivent négocier le chapitre agricole. Souvent agitée comme un foulard rouge, la question agricole recouvre en fait une réalité très variée.


Des pays au profil agricole fort contrasté

Si l'agriculture offre aujourd'hui un visage si différent d'un pays à l'autre, cela s'explique en grande partie par les politiques agricoles menées durant la période communiste. En effet, tous les PECO n'ont pas calqué sur leur économie le modèle soviétique de collectivisation des terres et d'exploitation collective. Ainsi, la Pologne, après une tentative de collectivisation après guerre, est revenue dès 1956 à une agriculture basée sur l'exploitation privée par des fermiers individuels. La Pologne n'a ainsi pas été confrontée après 1989 à la question de la redistribution des terres agricoles comme ce fut le cas pour les autres pays d'Europe centrale et orientale. A cette différence initiale sont venues s'ajouter les résultats des réformes menées durant la phase de transition: choix du mode de redistribution des terres, droit foncier, politiques de soutien. Il convient donc aujourd'hui de parler des agriculture d'Europe centrale et orientale, les traits qui les distinguent les unes des autres étant plus nombreux que ceux qui les rassemblent.

Trois indicateurs peuvent être retenus pour caractériser les agricultures du centre et de l'est européens: l'importance de la population active agricole, la part de l'agriculture dans le PIB et la taille des exploitations. Si dans l'ensemble des dix PECO candidats, l'emploi agricole représente 21 %, cette moyenne masque en fait deux réalités opposées. En Pologne, Roumanie et Bulgarie, la population active agricole est respectivement de 26 %, 36,8 % et 22 %. Ces très forts taux traduisent la faiblesse de la productivité et l'existence d'une agriculture vivrière (en particulier pour les retraités) mais aussi l'existence d'un chômage déguisé dans les campagnes: mieux vaut se retirer à la campagne que rester en ville. La structure de la population active en République tchèque, Slovaquie et Hongrie se rapproche quant à elle de celle des pays de l'UE avec des taux de 4 % à 8 %.

Ce premier indicateur ne prend vraiment tout son sens que si on le rapporte à la contribution de l'agriculture au PIB. Le rapport en entre ces deux indicateurs permet en effet de mesurer la rentabilité du secteur agricole. Ainsi, la part de l'agriculture dans le PIB en Pologne n'est que de 7 % tandis qu'elle atteint 16 % du PIB en Roumanie et 21 % en Bulgarie.

Troisième indicateur, la taille des propriétés. En Pologne, ce sont avant tout des petites exploitations à la superficie moyenne de 7 hectares. Cette faible superficie explique la faible productivité du secteur agricole mentionné précédemment. En revanche, la République tchèque et la Hongrie ont effectué une reconversion agricole qui a aboutit à la création d'exploitations de tailles conséquentes. En Hongrie, la taille moyenne des exploitations est de 80 hectares. Du côté de la République tchèque, bien qu'à l'issue des restitutions un tiers de la population soit devenu propriétaire, les grandes entreprises agricoles de plus de 100 hectares représentent près des trois quarts des exploitations. En Bulgarie et en Slovaquie, les privatisations des terres s'étant achevées plus tardivement, un marché de la terre, préalable à la restructuration des exploitations, ne s'est pas encore mis en place.

Difficultés communes et structure des échanges

Si les PECO ont des agricultures très variées, il se dégage néanmoins des problèmes communs à l'ensemble de la zone. De même, l'Europe centrale et orientale doit également être envisagée comme une zone économique dotée d'une certain degré de cohérence pour ce qui relève des échanges commerciaux.

Malgré le retour de la croissance de la production agricole dans l'ensemble des pays[1], tous demeurent confrontés à un ensemble de handicaps profonds: la faiblesse des budgets agricoles, le manque d'investissements, l'insuffisance de crédits, l'absence de marchés fonciers, l'inorganisation des filières, la vétusté des équipements ainsi que la lenteur de la réforme des structures. La principale conséquence de ces faiblesses sont des problèmes de qualité et de normalisation par rapport aux exigences croissantes des consommateurs qui ont désormais le choix entre production nationale et produits importés.

Concernant les échanges extérieurs, la Hongrie et la Bulgarie sont les seuls pays qui dégagent un excédent agricole. Le déficit commercial agricole se monte pour l'ensemble des PECO à 544 milliards de dollars en 1999. Les échanges intra-zone demeurent faibles et ceux malgré la création d'une zone de libre-échange, la CEFTA. En effet, la libéralisation ne s'est pas accompagnée d'une harmonisation, entre autre pour ce qui concerne les politiques de soutien. Les échanges extra-zone sont en revanche très développés.

Selon les partenaires, ils ont connu une évolution contrastée durant la dernière décennie. Les exportations de l'ALENA vers les PECO sont relativement stables (350 millions de dollars) et sont concentrées sur la Pologne, et dans une moindre mesure sur les trois pays baltes. Les exportations de l'UE sont quant à elles en constante progression et sont passées de 2 à 4,2 milliards de dollars entre 1992 et 1997. Elles vont là aussi essentiellement vers la Pologne, ainsi que vers la République tchèque, la Hongrie et les trois pays baltes. Troisième groupe de partenaires pour les PECO, les pays de l'ancien bloc communiste et les exportateurs agricoles tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Brésil, l'Argentine. Les exportations en provenance de ces pays ont gagné en parts de marché. Entre 1992 et 1997, elles sont passées de 40 à 51 % en Pologne et de 49 à 56 % en Hongrie. Cette progression s'est fait au détriment de l'UE, alors que la part de marché de l'ALENA est restée stable. La structure des échanges devraient fortement évoluer avec l'élargissement de l'UE ainsi qu'avec la perspective d'adhésion des PECO à l'OMC qui devrait avoir lieu en 2004.

Impact et enjeux agricoles de l'élargissement de l'UE

L'élargissement de l'UE aux PECO suscitent des craintes chez les agriculteurs de l'Union qui craignent la concurrence des productions des PECO et la remise en cause de la PAC et de la politique de soutien dont ils bénéficient actuellement. Quant aux paysans des PECO, l'élargissement leur impose la reprise intégrale de l'acquis en matière agricole et l'adaptation de leur système de soutien à l'agriculture.

Trois thèmes sont en particulier au cœur des négociations sur la reprise de l'acquis[2] : la mise aux normes sanitaires des produits des PECO au sujet de laquelle le ministre de l'agriculture français, Jean Glavany affirmait "il y a un domaine pour lequel il n'y aura pas de transition ou de dérogation possible, c'est celui de la reprise de l'acquis en matière de sécurité sanitaire des aliments: les consommateurs ne comprendraient pas que cet élargissement se fasse au mépris de la sécurité". Le deuxième thème de négociation tourne autour de l'application des quotas de production. La principale question à ce sujet est l'année de référence à choisir : les PECO plaident pour que l'on se réfère à leur production d'avant 1989, l'UE privilégie une année postérieure à la transition. Dernier sujet de négociation, les aides directes aux agriculteurs réclamées par les pays candidats.

Quand à la question de la compétitivité des produits qui inquiètent tant les agriculteurs de l'UE, deux thèses ont été retenues par le Commissariat du Plan dans son rapport "l'élargissement de l'UE à l'est"[3]. La première "considère que les PECO sont compétitifs grâce, en particulier, aux avantages comparatifs conférés par une main-d'œuvre et une terre abondante, disponible et à bon marché". La seconde thèse "considère que la compétitivité des PECO est inférieure à celle de l'UE selon les règles et les normes communautaires actuelles (qualité...)". La réalité dépend en fait des secteurs. On estime ainsi que la concurrence pourrait apparaître pour les fruits rouges (la Pologne produit 25 % de la production mondiale) et les champignons. Les produits destinés aux industries de seconde transformation pourrait également concurrencer la production communautaire.

 

Par Ludmila BYLODUCHNO

Vignette : ferme en Pologne (photo libre de droits, attribution non requise)

 

[1] Les niveaux de 1989 n'ont pas encore été retrouvés mais la Pologne, la Slovaquie et la Bulgarie oscillent entre 80 et 90 %, la Hongrie et la République tchèque entre 70 et 80%, les pays baltes entre 40 et 60 %.
[2] Benjamin Masson, "La famille s'agrandit par l'est" in Bulletin d'Information du Ministère de l'Agriculture, Hors-série n°8 "Union Européenne. Les priorités de la présidence française", Sept. 2000.
[3] Cité d'après D. Buhagiar, G. Brulé, D. Bigou, T. Pouch "Les enjeux agricoles de l'adhésion des PECO " in Problèmes économiques, n°2673, 12 juillet 2000, p. 16-20.

 

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