Les retraités serbes de Croatie : un retour amer vers le futur

Négligés par les gouvernements croates et les milliers de touristes, les ex-réfugiés serbes revenus dans leur patrie, la Croatie, ont maintenant souvent plus de soixante ans. Aujourd’hui, ils paient le prix fort : un quasi-abandon par les pouvoirs publics et une solidarité familiale traditionnelle qui ne fonctionne plus.


Dix ans après les Accords de Paix de Dayton-Paris, les 115 000 Serbes de Croatie -ou croato-serbes- qui sont rentrés chez eux ne sont pas sortis gagnants de l’intense et intime conflit yougoslave. Les retraités représentent la majeure partie de ces citoyens croates de culture religieuse orthodoxe, anciennement réfugiés en Serbie ou en Bosnie. D’après l’UNHCR et depuis 1998, l’âge moyen des retournés serait de 50 ans à leur arrivée en Croatie.

Entre précarité et abandon

Ces retraités vivent dans des conditions difficiles, aux confins des normes économiques, sociales et sanitaires, et sont très souvent déconnectés des infrastructures élémentaires (eau, électricité). Leurs maisons souvent dévastées se situent dans des zones rurales reculées. Leur retraite, lorsqu’ils la perçoivent, ne leur garantit pas de vivre dans la dignité humaine et, s’il est vrai qu’ils jouissent aujourd’hui du droit au retour dans leur patrie, c’est plutôt dans la douleur.

Autre drame : les enfants de ces retraités ont souvent choisi de rester dans leur pays de refuge. Force est de constater que ces derniers ne donnent pas à leurs parents l’aide minimale pour leur assurer une vie digne et un réconfort familial. Cette rupture intergénérationnelle pour le moins inopportune est d’autant plus tragique que les autorités croates ne sont pas déterminées à suppléer cette traditionnelle « zadruga ».

En 1995, une grande majorité des Serbes de Croatie ont quitté les zones occupées par les armées serbe et yougoslave, sous la contrainte ou sur les conseils des dirigeants serbes de Croatie. Quoi qu’il en soit, après ce départ, ils sont devenus réfugiés, puis candidats au retour à partir de 1996. Ils ont suivi -et subi- un parcours administratif long et éreintant dans l’espoir de pouvoir à nouveau jouir de leur maison, de leurs terres.

Aujourd’hui, l’engouement du retour se tarit, leur environnement et leur quotidien ne laissent pas la place au doute : l’action des pouvoirs publics croates se fait attendre, les lois sur les régions recevant des aides publiques spéciales, prévoyant des aides au retour, ne sont mises en œuvre que partiellement et, comme le prévoient les règlements d’application de la loi, prioritairement au profit des Bosno-croates. Mais l’administration fait preuve d’une lenteur qui frise la non-assistance à personne âgée en danger. Faut-il rappeler dans quel état de santé se trouve un retraité sans ressource et sans habitat conventionnel ?

Il s’agit de se replonger dans la réalité de la Croatie : de très nombreux ex-réfugiés, aujourd’hui retraités, vivent dans des zones rurales où les maisons familiales, souvent ancestrales, sont en général en bois. Celles-ci ont été occupées pendant cinq ou dix ans par des réfugiés venus de Bosnie en 1995, qui les ont ainsi entretenu un minimum. Cependant, lorsque leurs véritables propriétaires les ont enfin récupérées, dans leur écrasante majorité, ceux-ci ont eu la triste surprise de découvrir un habitat dévasté où portes, fenêtres, planchers, salles de bains avaient été démontés… et emportés vers d’autres cieux.

De plus, dans ces zones rurales, les réseaux d’électricité demeurent souvent coupés et l’alimentation en eau potable demeure un luxe. Il n’est pas rare de voir des personnes âgées porter des bidons d’eau sur plusieurs kilomètres car leurs puits ne respectent pas les standards sanitaires. En outre, les transports publics ne desservent pas les villages reculés, les routes des villages des retournés étant souvent peu carrossables.

Le gouvernement, sous la pression de la communauté internationale, s’est engagé à aider ces propriétaires malheureux. Mais en cette fin d’année 2005, la première livraison de cette aide à la réparation n’existe toujours que sur le papier…

De quoi vivent donc ces retraités ?

Bien souvent, ces anciens paysans ne survivent, non pas grâce à une pension de retraite ou à des enfants généreux, mais grâce à un lopin de terre et aux quelques poules et autres animaux qui animent leurs journées.

En effet, ils n’avaient commencé à verser des cotisations qu’à partir de 1980, lorsque l’Etat avait adopté une législation leur permettant d’espérer bénéficier d’une retraite. Mais, à partir de 1991, dans les zones contrôlées par les Serbes de Croatie, ils cessèrent de cotiser, ou, se trouvant du « mauvais » côté du front, ils s’entendirent dire que leurs cotisations n’étaient pas reconnues, ce qui enterra définitivement leur espoir de recevoir une quelconque pension. En effet, le nombre minimum d’annuités est fixé à quinze par personne. Par conséquent, un couple de paysans ayant cotisé dix ou douze ans chacun, entre 1980 et 1991, ne reçoit aujourd’hui aucune retraite.

L’hiver est là, de nombreux retraités se demandent comment se chauffer et se nourrir. D’autres ont déjà trouvé une réponse : mieux vaut ne pas revenir vivre en Croatie. C’est justement ce que l’inaction du gouvernement sous-tend : une volonté de ne pas soutenir sérieusement le processus de retour de ces réfugiés. Le résultat est prévisible. Après le décès de ces retraités revenus sur leurs terres et l’absence de la jeune génération, qui elle n’est pas candidate au retour, c’est tout un tissu social rural qui disparaîtra.

Par Félix SCHOENBRUNN

Vignette : retraités serbes à Zagreb (photo libre de droits, pas d'attribution requise).