La Moldavie a entrepris depuis quelques années une vaste réforme de son système éducatif, certes ralentie par des barrières financières, culturelles et humaines, mais qui ne s’en poursuit pas moins. Le parcours scolaire d’une élève atteinte d’autisme révèle les progrès de cette réforme et l’avènement des premiers signes d’une transformation sociale.
« Être autiste est un mode d'existence. Même si ce n'est pas le mode "normal ", la vie d'une personne autiste peut être aussi enrichissante et heureuse que celle de n'importe quelle autre personne. », Angel Rivière, Autismo, 1996.
Depuis 1991, la République de Moldavie cherche à se définir en tant que jeune État démocratique, orientation nouvelle qui est à l’origine de réformes sociales, économiques et institutionnelles. Dans le domaine éducatif, la réforme qui est en cours vise notamment l’adoption d’une approche intégrative plutôt que ségrégative dans l’organisation de son réseau scolaire. Dans ce contexte, décrire le parcours scolaire d’un élève à besoins éducatifs particuliers permet de mieux comprendre les enjeux en cause dans le processus d’intégration scolaire. L’objectif est de dresser un portait sommaire de la situation de ces enfants à besoins éducatifs particuliers en Moldavie et de voir comment elle s’inscrit dans la nouvelle idéologie éducationnelle.
Réforme éducationnelle et éducation inclusive en Moldavie: rupture ou continuité?
Avant 1991, alors que la Moldavie était soumise au régime soviétique, le traitement scolaire des enfants à besoins éducatifs particuliers répondait à une idéologie ségrégationniste, c’est-à-dire que ces enfants étaient considérés et traités comme une catégorie à part des autres enfants et, de ce fait, étaient regroupés dans des classes ou des écoles spéciales, en dehors du réseau des écoles régulières. La déclaration d’indépendance du régime soviétique en 1991 et le processus de démocratisation des institutions politiques et sociales qui a suivi ont fait place à une nouvelle orientation axée sur une idéologie d’inclusion des enfants à besoins éducatifs particuliers dans les écoles régulières. Ces changements, qui insufflent une idéologie nouvelle dans le système d’éducation, sont le résultat de décisions politiques mais sont aussi liés au processus d’ouverture sur le monde et à la prise en compte des recommandations d’organismes internationaux qui occupent une place de premier plan dans le développement de la démocratie en Moldavie. En effet, la Moldavie a adhéré à la Convention de l’ONU sur les droits des enfants handicapés, qu’elle a ratifiée en 1993. Elle a signé la Déclaration de Salamanque sur les principes, les politiques et les pratiques en matière d’éducation et de besoins éducatifs particuliers (Unesco) ainsi que son Cadre d’action, qui a été ratifié en 1994. De plus, depuis 2003, la Moldavie fait partie du Forum mondial pour l’éducation de Dakar (Unesco), instance qui regroupe près de 200 pays qui ont adopté un Cadre d'action engageant leurs gouvernements à assurer une éducation de base de qualité pour tous.
C’est en se basant sur le contenu et les objectifs visés par ces différents traités que les autorités moldaves ont élaboré le nouveau cadre législatif national en matière d’éducation. De ce fait, elles ont placé le pays sur la trajectoire de cette nouvelle approche, favorable à l’éducation inclusive. Entériné par la Loi sur l’éducation de 1995, le nouveau cadre éducatif moldave comporte plusieurs lois connexes et une Stratégie nationale de l’éducation pour tous qui s’applique à la période 2004-2015. Ces lois et traités ont comme objectif commun de «promouvoir et de garantir l'égalité des chances, des droits et des devoirs pour tous les enfants à besoins éducatifs particuliers»[1].
Toutefois, la réforme de l’éducation actuellement à l’œuvre en Moldavie se heurte à plusieurs barrières. Celles-ci touchent à la participation des intervenants, tant du milieu scolaire que du milieu communautaire et des familles elles-mêmes. Le décalage entre le processus de développement du cadre éducatif (lois, stratégies, etc.) et celui de sa mise en application est une des entraves importantes à cette réforme. D’autant que ce processus de changement requiert d’importantes ressources financière et humaines qui sont plutôt rares en Moldavie actuellement. Dans ces conditions, les principaux défenseurs et partenaires de l'éducation inclusive (école et famille) ont d’énormes difficultés à créer les conditions qui lui soient favorables. Ceci s’explique en partie par le fait que la Moldavie, plus que d’autres pays de l’ex-URSS, garde un attachement relativement fort aux traditions et à la culture soviétiques, ce qui engendre une forme d’inertie aux changements.
Éducation inclusive: concept et processus
Même si certains auteurs considèrent le concept d’inclusion comme flou, il peut être décrit en faisant référence à la reconnaissance du potentiel de chaque enfant. Peu importe son rythme et son style d’apprentissage[2]. Pour Croll et Moses[3], en revanche, l’idéal inclusif est utopique. Dans le cas des enfants à besoins éducatifs particuliers de Moldavie, les institutions scolaires affichent une certaine prudence. Leur attitude s’explique par divers facteurs, comme la tendance pour les intervenants à maintenir les anciennes pratiques organisationnelles, le manque de ressources et le partenariat timide entre école, famille et communauté.
Le cas d’une jeune autiste de 12 ans permet d’illustrer le parcours scolaire d’une enfant autiste jusqu’à l’autorisation de son inscription dans une école régulière. Ici, l'ouverture de sa famille (principalement de ses parents), le partenariat constructif entre celle-ci et l’école et la disponibilité des ressources sollicitées pour le processus d'intégration (notamment, le fait qu’un pédagogue itinérant ait pu accompagner cette élève chaque jour à l’école et l’aider dans ses apprentissages) ont été des facteurs clés qui ont fait de l’intégration scolaire de cette jeune fille un succès.
Il est important de mentionner ici que la situation des enfants autistes de Moldavie pourrait être qualifiée de singulière dans la mesure où la réforme éducationnelle en cours met l’accent sur des catégories générales de diagnostic. Pour cette raison, il est difficile de connaître le nombre et les conditions spécifiques des enfants autistes. Dans certains documents de politiques publiques, on ne trouve pas de données statistiques spécifiques aux enfants autistes. Le plus souvent, les rapports officiels ne mentionnent que les chiffres concernant l’ensemble des enfants à besoins éducatifs particuliers (14.000 en 2013)[4]. Cette réalité est aussi observable dans le cas des fondations qui s’occupent des enfants autistes. On peut noter en outre que la première fondation dédiée spécifiquement à ces enfants, «SOS autisme», fondée par une association de parents concernés n’a été créée qu’en 2008.
Il faut donc conclure que la situation de l’intégration scolaire des enfants autistes de Moldavie se heurte à des difficultés de deux ordres. D’abord, l’état d’avancement de la réforme éducationnelle affecte la situation générale de tous les enfants à besoins éducatifs particuliers, dont ceux atteints d’autisme; ensuite, la reconnaissance spécifique du diagnostic de l’autisme qui permettrait d’adapter les ressources médicales et éducatives pour faciliter l’inclusion spécifique de ces autistes n’en est qu’à un stade embryonnaire.
Étude de cas du parcours scolaire d’une enfant autiste
Nous avons reconstitué le parcours scolaire de cette élève en la suivant dans sa vie quotidienne, en rencontrant sa mère et l’intervenant qui s’occupait d’elle de façon personnelle au cours de sa scolarisation et en discutant avec eux. Jusqu'à l'âge de 8 ans, Maria était inscrite dans une institution préscolaire spécialisée de Chisinau, entourée donc d’autres enfants à besoins éducatifs particuliers. Les diagnostics de ces enfants étaient variés (ils n’étaient donc pas tous forcément autistes). Le manque de progrès et les difficultés de cette enfant à l’étape préscolaire étaient liés à ses relations sociales et à l’environnement constitué seulement d’enfants présentant des besoins particuliers, d’intervenants médicaux et de membres des familles de ces enfants. L’expérience limitée de Maria en matière de contacts avec des enfants dits «normaux» ne permettait pas d’évaluer ses capacités à fonctionner dans un environnement ordinaire.
La persévérance de sa famille à la faire accepter dans une école régulière a été mise à rude épreuve, les conditions adéquates à son accueil n’étant pas réunies. On peut noter, en particulier, le manque de personnel spécialisé ayant des connaissances appropriées sur le comportement des autistes et la taille des classes (25-30 enfants) qui ne permettait pas à cette enfant d’avoir des chances égales de participer aux activités scolaires. Sa famille a finalement opté pour une place disponible dans une classe ordinaire au sein d’une école privée. Il lui a alors fallu compenser financièrement cette école qui manquait de moyens pour aider une élève autiste, et notamment assurer la présence obligatoire d’une personne chargée de s’en occuper de manière permanente durant les activités scolaires et extrascolaires (visites de musée, excursions dans la nature, etc.). Aujourd’hui, la famille de cette jeune fille soutient que celle-ci a fait de gros progrès en matière d'apprentissages, et en particulier sur les plans de la communication et des interactions avec les autres élèves. Elle a par ailleurs accru son autonomie dans le cadre des activités scolaires. Maria a finalement passé ses examens de 4ème année, ce qui marque la fin de sa période de scolarité primaire et sa transition vers l'enseignement secondaire (gymnase).
Cet exemple permet de conclure que, même si le processus de réforme éducative qui vise à remplacer l’approche ségrégationniste qui prévaut encore par une approche inclusive actuellement en phase de test est un processus lent, tout porte à l’optimisme en ce qui concerne les résultats obtenus. Pour cela, il faut néanmoins pouvoir s’assurer la participation active (dont financière pour le moment) de la famille, celle de l’école et celle de l’ensemble de la communauté éducative. Des exemples comme le parcours scolaire ici rapidement décrit de Maria permettent de conclure que la mise en place du processus d’éducation inclusive en Moldavie a toutes les chances d’être couronné de succès, pour peu que le pays réussisse à s’en donner les moyens. On comprend bien en outre, dans le cas de ce pays, que ce sont les actions des acteurs sociaux (comme celles observées dans le cas de cette jeune fille dans son processus de scolarisation) qui peuvent générer des changements au niveau macro (institutions et communauté éducative).
Notes :
[1] OCDE, Les politiques d’éducation pour les étudiants à risque et ceux présentant un handicap en Europe du Sud-Est, Éd. OCDE, Paris, 2006, p.235.
[2] N. Rousseau (dir.), La pédagogie de l’inclusion scolaire, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2004.
[3] Croll et Moses, «Ideologies and utopias: education professionals’ views of inclusion», European Journal of Special Needs Education, n°15(1), 2000, pp.1-12.
[4] Raport privind protecţia socială a persoanelor cu dizabilităţi şi implementarea pe parcursul anului 2012 a Planului de acţiuni al Strategiei de incluziune socială a persoanelor cu dizabilităţi (2010-2013), Chisinau, 2013.
Vignette : L’école inclusive «Orfeu» de Chisinau (Source: www.disability-apei-orfeu.md).
* Doctorante en sociologie, Université d’Ottawa (Canada).
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