La visite de V. Poutine en Chine les 17 et 18 octobre 2023 a été présentée comme un succès par les médias russes proches du pouvoir : triomphe symbolique de la Russie dans sa confrontation avec l’Occident, elle aurait attesté le prestige du Président russe et le respect qu’il inspire, malgré les tentatives de l’Ouest visant à l’isoler.
Premier déplacement du leader russe hors de l’espace post-soviétique (il s’était rendu au Kirghizstan quelques jours plutôt) depuis qu’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale a été délivré contre lui en mars 2023, cette visite a été couverte par plus d’une douzaine de journalistes russes chargés d’en assurer la promotion. La délégation russe était en outre composée de représentants de haut niveau des secteurs de la finance (les présidents de la Sberbank, de VTB et de Vnesheconombank), de l’énergie (ceux de Gazprom et de Rosneft), de l’agriculture, de l’industrie militaire…
Mais, pour le Moscow Times, cet épisode à l’issue duquel V. Poutine est rentré les mains vides (notamment en ce qui concerne les dossiers agricole et énergétique) aurait surtout révélé à quel point il serait désormais dépendant de son homologue chinois Xi Jinping. Aucune annonce substantielle n’a été faite à l’issue de la rencontre de plus de trois heures entre V. Poutine et Xi Jinping et le Président russe a préféré centrer sa conférence de presse sur la confrontation avec les Etats-Unis, la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien.
Pourtant, les attentes russes sont grandes à l’égard de la Chine, alors que la chute drastique des exportations de produits agricoles et d’hydrocarbures vers l’Europe rend nécessaire l’établissement de nouveaux liens commerciaux. Pour le moment, le blé russe ne compte que pour 1,5 % des importations chinoises de blé et l’annonce par l’agence russe TASS d’un accord « gigantesque » avec Pékin n’a été confirmé par aucune source chinoise.
Il en va de même concernant la concrétisation de l’accord de doublement du gazoduc Force de Sibérie, envisagé depuis des années et à propos duquel le responsable de Gazprom, Alexeï Miller assurait le 17 octobre à la tv russe que son pays allait bientôt adresser à la Chine le même volume de gaz que ce qui était envoyé vers l’Europe avant 2022, ce qui est matériellement impossible : avant la guerre, la Russie exportait jusqu’à 170 mds de m3 par an vers l’Europe ; Force de Sibérie 1 est doté d’une capacité de 38 mds de m3, son double encore sur le papier devrait atteindre à terme 50 mds, auxquels on peut ajouter 10 mds de m3 avec la mise en exploitation des gisements offshore de Sakhaline, soit un total de 98 mds de m3. Or, Pékin privilégie une politique diversifiée d’approvisionnements et n’a aucun intérêt à augmenter le volume de gaz russe. Qui plus est, la Chine n’est pas pressée et peut donc envisager d’acheter ce gaz à ses conditions : le gaz qu’elle importe via Force de Sibérie est le moins cher de toutes ses importations de gaz, et son prix largement inférieur à ce que la Russie facturait en moyenne à l’Europe avant l’établissement de sanctions. Quoi qu’il en soit, ni la Chine ni la Russie n’ont annoncé d’avancée sur la construction de Force de Sibérie 2 à l’issue de cette visite.
Sources : Nezavissimaïa Gazeta, The Moscow Times, Khartya97, TASS.