Alors qu'en France McDonald's fait l'objet d'un mouvement de contestation et semble être devenu l'emblème de la "malbouffe", la marque a longtemps symbolisé dans les anciens pays socialistes l'ouverture au capitalisme et l'occidentalisation. Une dizaine d'années après l'implantation des premiers fast-food en Europe de l'Est, il est possible de tracer un premier bilan.
Implantation rapide pour restauration rapide
L'apparition des premiers restaurants McDonald's a coïncidé, dans la plupart des pays, avec la disparition des régimes communistes. La légende veut que les Jeux Olympiques de Montréal, en 1976, aient permis une rencontre improbable entre le président de McDonald's au Canada et une délégation olympique soviétique. Rencontre qui permettra, quatorze ans plus tard, le 31 janvier 1990, d'ouvrir le premier McDonald's à Moscou, connu sous le nom de Pouchkine. Battant le record du nombre de clients servis le jour de son ouverture, il est encore aujourd'hui le McDonald's le plus fréquenté du monde, et a servi, depuis son ouverture, quelques 52 millions de Big Mac.
Ces chiffres impressionnants ne sont pas l'apanage de la Russie. L'implantation des McDonald's ne saurait être timide alors que ce sont par définition des restaurants de masse et que les concurrents sont aussi sur les rangs. On compte ainsi aujourd'hui 14 restaurants et 520 employés en Croatie, après seulement cinq ans d'existence. En Hongrie, Ronald McDonald a 3700 collègues, qui travaillent dans l'un des 69 restaurants du pays. Bien sûr, quelques zones ont échappé à cette "colonisation" jaune et rouge. En Sibérie, de grandes villes comme Krasnoïarsk, Irkoutsk ou Vladivostok sont dépourvues de ces fast-food. Et les enseignes sont plus nombreuses dans les grandes villes que dans les campagnes. En une dizaine d'années, les McDonald's ont réussi à devenir un des ingrédients du quotidien de la plupart des habitants de Russie, mais aussi de Pologne, de Serbie, d'Ukraine, de Roumanie, de Slovénie…
M comme McDonald's, M comme Modèle
Riche de son implantation réussie, la marque déborde de son cadre alimentaire. McDo, ce n'est pas seulement de la nourriture, c'est aussi un symbole, un modèle. La marque se veut nimbée de valeurs positives, comme la solidarité, et n'hésite pas à associer sa mascotte, Ronald McDonald à des œuvres caritatives. Capitaliste, certes, mais philanthrope, l'entreprise développe dans la plupart des pays où elle s'est installée des centres, des fondations… du nom de Ronald McDonald, et ne manque pas de mettre en avant ces "bonnes œuvres".
Sur le site officiel de la marque jaune et rouge[1], on peut découvrir sa devise - "rendre à la communauté", et ses dons généreux - quelques quatre millions de dollars depuis son installation en Russie. Dans plusieurs pays, et notamment en Hongrie, des maisons Ronald McDonald ont vu le jour, offrant des soins aux enfants malades et handicapés. McDonald's s'intéresse aussi à des tournois sportifs scolaires. Ces dons sont ainsi principalement destinés aux enfants, sa première clientèle…
Cette politique a le mérite de différencier la marque de ses concurrents et de rendre son image plus humaine. En outre, la volonté d'un recrutement local, même en ce qui concerne les cadres, permet à McDonald's de se présenter comme une entreprise "intégrée" dans ces nouveaux pays. C'est un paradoxe pour une marque qui incarne la mondialisation, avec sa nourriture et son cadre uniformes, dans les cent dix-neuf pays où elle est présente.
Quelques problèmes de digestion
Toutefois, cette image "propre" a été récemment entachée par les plaintes de plusieurs employés de McDonald's en Russie[2]. Les fondateurs d'un syndicat, au sein de l'entreprise McComplex qui traite les aliments McDonald's, se sentent menacés, prêts à être renvoyés à tout moment. Mécontents de leurs conditions de travail - du fait de la crise de 1998, le salaire réel aurait diminué de 70%, les salariés protestent, mais la direction fait la sourde oreille. Convoqués par une commission de la Douma, les dirigeants n'ont pas fait le déplacement. Certains de leurs employés en ont profité pour dénoncer la répression dont ils font l'objet, l'un d'eux déclarant avoir été menacé d'un séjour en prison. Certes, ce ne sont que des témoignages isolés, mais ils ont suffit à rendre moins crédible l'image sympathique que s'était forgée l'entreprise américaine.
Cette fragilisation de la marque intervient dans un contexte de grande concurrence, surtout dans les plus grandes villes. McDonald's n'a bien sûr pas été la seule marque étrangère de restauration rapide à investir ces nouveaux marchés. Les Burger King, KFC, et autres Pizza Hut ont également tenté de s'installer en Europe centrale et occidentale. Leur succès a été parfois mitigé: ces enseignes étaient souvent moins connues, et les prix plus chers. Pizza Hut a ainsi fermé plusieurs de ses magasins à Moscou en 1999.
La concurrence, pour McDonald's est en fait moins extérieure qu'intérieure, du moins dans certains pays. Prenant modèle sur les fast-food occidentaux existants, plusieurs marques locales ont vu le jour. En Russie, la plus célèbre est Ruskie Bistro, créée en 1995. Son originalité est de reprendre le principe du fast-food, mais en l'appliquant à la cuisine russe traditionnelle. Cette recette, qui met en avant la fierté qu'ont les Russes de leur culture et de leur cuisine, est un succès. Pour un prix équivalent à celui des McDonald's, on peut choisir entre une cinquantaine de plats, où pirojki et kvass sont à l'honneur. De quoi faire pâlir le géant rouge et jaune…
RENCONTRES
Pour mieux comprendre la façon dont McDonald's fait aujourd'hui partie de la vie quotidienne en Europe Centrale et Orientale, trois habitants de République Tchèque, de Pologne et de Roumanie ont accepté de nous livrer leurs impressions sur McDonald's[3].
Andrea Valouchova, 23 ans, étudiante en langues et civilisations étrangères à l'université Charles de Prague (République Tchèque).
Je vais dans les fast-food le moins possible: je trouve les produits du McDo plus repoussants qu'attirants. Je pense pouvoir répondre au nom de la plupart des étudiants pragois: nous privilégions des formes de restauration "rapides" mais plus traditionnelles et tchèques. Les alentours de la faculté fourmillent de petits restaurants aux plats simples (salades, plats tchèques), à l'ambiance moins impersonnelle et à des prix surtout moins élevés. Au Mcdo, un BigMac coûte 56 couronnes, soit environ 11F et un menu 85 couronnes, soit un peu moins de 30F. Par rapport au pouvoir d'achat, ce sont des prix très élevés.
Selon les milieux, les comportements envers les fast-food sont différents. Prague n'est pas Moscou et je n'ai pas vraiment pu observé que des familles s'habillent d'une manière exceptionnelle pour aller au McDo. Les lieux traditionnels de sortie restent les restaurants et les nombreux clubs de Prague. D'un autre côté, on voit beaucoup de jeunes au McDo, certains consommant d'ailleurs peu mais exhibant volontiers les "verres" McDo dans la rue, peut-être comme on porte un vêtement. C'est sûrement un lieu à la mode pour une certaine partie de la jeunesse (les moins de 16 ans surtout). Le phénomène s'est banalisé: depuis 1989, huit restaurants McDonald's ont été construits à Prague. Par ailleurs, de nombreux autres fast-foods à l'américaine, comme les KFC, viennent amplifier la concurrence, ajoutant à la banalité. Néanmoins, McDonald's demeure le symbole du système libéral et américain pour certains groupuscules néo-communistes et anarchistes. Ceux-ci n'hésitent pas à briser les vitrines des fast-food lors des manifestations.
Stefan Catalin, 23ans, étudiant en architecture à Bucarest (Roumanie).
Je ne vais pas très souvent dans les fast-food, bien que les prix soient plutôt compétitifs - un menu coûte entre 50 000 et 60 000 lei, soit 20F. Le McDonald's devrait juste être un fast-food, mais d'une certaine manière, il est devenu le symbole de la société américaine. Mais pour les Roumains, c'est simplement le meilleur fast-food, et non un symbole. Dix ans après, leur présence est devenue banale et sans signification particulière. Leur existence ne me pose pas de problème, et je ne les vois pas comme des objets de la mondialisation…
Bartlomiej Zdianuk, 25 ans, étudiant en échange avec l'IEP de Paris, originaire de Varsovie (Pologne).
Je vais de temps en temps dans les fast-food, surtout dans la journée, car ce sont les seuls endroits où on peut se retrouver en ville. Les restaurants traditionnels sont trop chers, et sont réservés aux occasions particulières. Je préfère aller dans les KFC ou les Pizza Hut, qui sont plus agréables, mais ils sont moins nombreux à Varsovie que les McDonald's. Il y a des Mcdo partout: j'en ai trois dans un rayon de vingt minutes à pied autour de chez moi. Un menu coûte environ 10 zlotys, c'est-à-dire 20F, alors qu'un repas au restaurant universitaire coûte 8 zlotys.
En quelques années, on a assisté à une véritable multiplication de ces fast-food. Il y a une dizaine d'années, mon père, en voyage en France, nous avait ramené comme souvenir des hamburgers McDonald's. C'était alors une réalité qui paraissait inaccessible lorsque l'on habitait Varsovie. Maintenant, seuls les habitants des campagnes de passage dans les grandes villes se ruent chez McDonald's.
Par Clémentine BLONDET
[1]www.mcdonald's.com Ce site est très incomplet, mais permet d'avoir accès à des informations en anglais sur quelques pays de la zone.
[2] COCKBURN, Patrick, "McDo ne fait plus rêver les jeunes Moscovites", in Courrier International, 7-13 décembre 2000.
[3]Merci à David Alon, Lucie Huchot, Julie Moulin et Elena Pavel pour leur aide dans cette recherche de témoignages.