D #26 : Edito

Evoquer l'Oural nous conduit souvent à nous remémorer la définition que le Général de Gaulle donnait de l'Europe et de ses frontières, une Europe dont il concevait l'extension "de l'Atlantique à l'Oural".

Or, à l'heure de l'élargissement de l'Union européenne et des réflexions sur les limites de l'Europe, est-il si évident de concevoir l'Oural comme frontière? Ne s'agit-il pas au contraire d'une construction historique qui révélerait une toute autre réalité, et dont il serait intéressant de dérouler le fil? L'assimilation par l'imaginaire collectif ouest européen de l'Oural à un barrage naturel entre l'Europe et l'Asie, largement critiquée par les géographes, a, en effet, de quoi laisser perplexe.

Ce dossier a pour objet de retracer une réflexion guidée par les interrogations suivantes : comment le mythe s'est-il construit? La perception de l'Oural a-t-elle évolué au fil des siècles ? Quels acteurs, en proie aux tensions économiques et politiques, ont contribué à en faire une région à part entière? Il paraît intéressant de voir comment cette zone géographique riche en ressources naturelles (charbon, minerai, gaz, pétrole…) et conçue comme le berceau de plusieurs peuples européens s'est (re)définie au cours du temps.

Les volets successifs de ce dossier chronologique sont présentés selon une approche volontairement transdisciplinaire. En effet, en faisant appel à l'histoire, mais aussi à la géographie, à l'ethnologie, à la linguistique et aux sciences politiques, il devient possible de revisiter les diverses conceptions et perceptions de l'Oural. Région oubliée, son passé et son actualité renferment pourtant une grande richesse, de Pierre le Grand à … Boris Eltsine, natif de la province de Sverdlovsk. On redécouvre ainsi les politiques de colonisation du XVIIème siècle et l'essor de l'activité métallurgique, période marquée par l'ascension fulgurante des Stroganov, famille paysanne devenue aristocrate. A la suite du travail de déconstruction de cette frontière opéré par les Eurasistes, les ethnologues et linguistes finno-ougriens se sont quant à eux consacrés à la définition des langues et des peuples ouraliens.

La politique de développement de l'ère soviétique - et la production fondée sur le système du goulag - a-t-elle contribué à transformer l'Oural? Observe-t-on un phénomène de régionalisation depuis la chute du communisme, voire l'émergence d'une conscience ouralienne? Finalement, l'Oural ne resterait-il pas ce qu'il a toujours été, une construction intellectuelle et arbitraire, un espace géographique ouvert, que même la faible altitude (2000m) des montagnes qui l'occupent n'autorise pas à qualifier de frontière? Dans ce contexte, le débat reste largement ouvert.