D #36 : Edito

S'il est des villes qui alimentent les fantasmes et les mythes, ce sont bien les capitales. Villes dominantes, engloutissant et absorbant, elles sont le lieu de la concentration, qui rassemblent sur un même site les hommes, mais aussi le pouvoir, qu'il soit politique, économique ou religieux… Monstres tentaculaires, toujours en mouvement, cherchant à s'étendre, elles sont difficiles à cerner.


Les capitales de l'Est ont ceci de particulier qu'elles ont longtemps incarné au contraire une sorte d'immobilisme, reflet des pays qu'elles représentaient. On garde l'image de ces grandes villes grises et ternes, poussiéreuses et victimes de la pollution, dans lesquelles se déplaçait une foule compacte et industrieuse, aussi triste qu'elles.

S'il n'est pas facile de changer, si c'est toujours une sorte de défi, s'il faut être fort pour cela, les capitales de l'Est ont prouvé depuis quinze ans que leur cœur était bien éloigné de l'idée qu'on se faisait d'elles. Elles n'ont pas seulement changé en ce laps de temps finalement si court, elles ont muté, sont devenues méconnaissables, transfigurées par un enthousiasme qu'on ne leur soupçonnait même pas.

Ces villes-symboles de l'Etat, aussi diverses soient-elles, continuent plus que jamais à incarner leur pays et c'est pour cela sans doute qu'elles ont parcouru un tel chemin. Diverses, elles le sont en effet: comment mettre sur un même plan Moscou, Tirana, Budapest et Riga? Comment évoquer côte à côte Varsovie, Sarajevo ou Tachkent ? La réalité de ces capitales est incomparable, évidemment parce que la taille de ces villes l'est, mais aussi parce que chacune d'elles reflète différemment une image particulière d'un Etat singulier.

Largement instrumentalisées par le pouvoir qu'elles symbolisent, les capitales de l'Est ont vu pour la plupart leur rôle de métropoles économiques renforcé depuis le début de la transition, notamment par le biais du développement du secteur tertiaire. Quelques unes ont l'ambition de devenir des "métropoles européennes", ce dont les rapproche en effet l'adhésion à l'UE de certains pays.

Pour aider à cette mutation, on a tout fait pour changer le paysage de ces grandes villes: depuis quinze ans, toutes elles s'ébrouent, reprennent vie et couleurs, se refont une beauté, à grand renfort de financements. Il faut croire que le jeu en vaut la chandelle et qu'il est rentable d'investir dans la cosmétique des capitales pour diffuser l'image d'un pays, cette stratégie éprouvée de communication s'adressant tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

En même temps, ce grand chambardement, comme toute révolution, est l'occasion de voir s'exprimer certaines luttes d'influences, voire certaines rivalités assourdies pendant quelques décennies, faute d'espace pour s'exprimer. Puisque presque tout est possible désormais à l'Est, pourquoi ne pas se permettre aussi de contester la suprématie d'une capitale, si cela peut servir les intérêts d'une ville seconde qui se sentirait très légitime dans le rôle de la première?

A quoi ressemblent aujourd'hui les capitales de l'Est? Que veulent-elles? Finalement, à quoi servent-elles? Si le temps s'y est accéléré, c'est indéniablement pour y entraîner une métamorphose joyeuse.