Dossier 57 : Edito

Qu’ils soient nouveaux Etats membres, candidats ou partenaires plus lointains, les pays de l’Est sont forcément concernés par les activités et le devenir de l’Union européenne: certains y voient un modèle, d’autres estiment pouvoir agir sur elle, souhaitent la faire évoluer, jugent qu’elle se trompe parfois, qu’elle incarne une «vieille» Europe ou l’Occident tout entier… mais tous (population, chercheurs, élites politiques, économiques, etc.) ont quelque chose à dire sur cette Union qui se cherche. 


Quai de gare à la frontière slovéno-croate.Il s’agit ici de se pencher sur le regard singulier et diversifié que jette l’Est sur l’UE en tant qu’institution et que construction, afin de faire état de quelques-uns des débats en cours à l’Est sur cet objet européen.

La totalité des nouveaux Etats membres, mais aussi la plupart des pays de la région considérée, forcément concernés par le renforcement de la construction européenne et par son élargissement jusqu’à leurs portes, ont été bousculés au cours des vingt dernières années par cette Union qui évolue et, plus souvent qu’à son tour, leur impose ses règles, ses standards, sa façon de voir le monde.

Dans une formule lapidaire mais juste, Pascal Lamy, alors Commissaire européen au commerce, avait en son temps affirmé que l’Union avait réduit l’idée européenne à un problème de tuyauteries, désignant par-là le «manque d’âme» de la machine européenne. On était alors à la veille de l’élargissement de 2004 et les candidats peinaient sur les milliers de pages de l’acquis communautaire.

Le processus fut en effet parfois pénible et décevant pour cet ancien «Occident kidnappé» (selon l’expression de Milan Kundera) qui s’est trouvé confronté à une machine bureaucratique en lieu et place d’un vaste projet continental prenant pour socle la construction d’une aire de paix.

Qu’était-il advenu de l’ambitieux projet des pères fondateurs de l’Europe au cours de la cinquantaine d'années pendant lesquelles l’Autre Europe s’était trouvée empêchée de participer à sa construction? Alors qu’elle était Présidente de la Lettonie, Vaira Vike-Freiberga l’a clairement exprimé à ses partenaires: peut-être les nouveaux Etats membres allaient-ils permettre à l’UE de sortir de sa léthargie et l’aider à retrouver le vrai sens de sa construction. L’actuel Président tchèque, Vaclav Klaus, réputé pour son euroscepticisme, ne se censure pas non plus pour dire ses doutes quant à cette Union qu’il voit comme une machine à imposer et uniformiser.

La crise actuelle que traverse l’UE, tant économique que politique, ne va pas d’ailleurs sans susciter des interrogations dans cette région, que les Etats soient membres de l’UE, candidats, voisins ou considèrent qu’ils n’ont pas vocation à adhérer. Certains, en Estonie, se sont demandé au 1er janvier 2011 si le moment était vraiment opportun pour rejoindre la zone euro («Nous montons à bord du Titanic, et en connaissance de cause», ont exprimé quelques opposants). D’autres, plus profondément, reviennent sur le substrat même de l’Union, la mythologie qu’elle véhicule et qui entre parfois en contradiction avec les réalités nationales de ces pays. Quand cette mythologie ne s’est pas, tout simplement, absentée, révélant le décalage entre idée européenne et construction communautaire. Dès lors, les discours portés par l’Est concernant l’UE peuvent se faire critiques et l’enthousiasme décroître ou faire place à un pur pragmatisme. L’UE, dès lors, peut apparaître comme un instrument: de mieux-être matériel, de sécurité, voire, comme on l’observe dans l’approche de certains pays d’Asie centrale, comme un moyen de concurrencer l’influence russe.

Les regards de l’Est sur l’UE ne sont pas complaisants. Peut-être est-ce au tour de la vieille Europe, aujourd’hui, d’être bousculée par la nouvelle !

Photo : Quai de gare à la frontière slovéno-croate. © Anaïs Marin (mai 2009)