La participation de la Finlande, simple partenaire de l’OTAN, au plus vaste exercice organisé par l’Alliance atlantique depuis la fin de la Guerre froide, Trident Juncture qui s’est déroulé du 25 octobre au 7 novembre 2018, a rappelé toute l’ambiguïté de la prétendue neutralité du pays à l’heure où la Russie est perçue comme une menace.
Adoptée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la neutralité active a été le mot d’ordre de la posture de la Finlande sur la scène internationale jusqu’à la chute du Mur. Depuis, les autorités finlandaises ont glissé vers le non-alignement militaire. Tout cela s’est fait dans l’objectif de ne pas contrarier le voisin russe tout en s’adaptant à la nouvelle donne régionale et internationale. La Finlande pourrait-elle, désormais, envisager une adhésion à l’OTAN et y aurait-elle un intérêt ?
De la neutralité active au non-alignement militaire
La neutralité a été intégrée à la politique sécuritaire de la Finlande à l’issue de la guerre d’Hiver (1939-1940) qui l’avait opposée à l’URSS. L’origine de ce conflit résidait dans le refus des Finlandais de laisser les Soviétiques installer des bases sur leur territoire en vue de contrer une éventuelle attaque allemande. Aussi, pour rassurer son voisin, Helsinki choisit à partir de 1955 d’inscrire la neutralité dans sa politique de sécurité. Jusqu’en 1995, cette approche trouvera son illustration dans la ligne Paasikivi-Kekkonen(1) en faveur du maintien de bonnes relations de confiance avec les Soviétiques.
Quand précisément s’est opéré le glissement de la neutralité militaire au non-alignement ? Un premier cap est franchi avec la signature du Partenariat pour la Paix (PpP) de l’OTAN en 1994. Celui-ci implique la participation de soldats finlandais à certaines opérations de maintien de la paix menées par l’Alliance mais, selon l’ancien Commandant des forces de défense finlandais Gustav Hägglund, les troupes auraient dépassé leurs prérogatives à partir de 2009, en prenant part au conflit en Afghanistan(2). La seconde étape est l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne, le 1er janvier 1995 qui la soumet a priori à l’art. 42-7 TUE portant sur la clause de solidarité.
Désormais, la Finlande est un acteur notable sur la scène internationale en matière, notamment, de gestion militaire des crises, sous l’égide de l’ONU, de l’OTAN et de l’UE(3).
L’importance du voisin suédois face à la Russie
La Finlande et la Suède forment un duo, évoluant souvent de concert sur la scène internationale, ce qu’on a pu constater lors de leurs adhésions simultanées au Partenariat pour la Paix de l’OTAN et à l’UE. Mais si, au lendemain de la guerre, la Finlande n’avait pas vraiment eu le choix de sa posture en matière de sécurité, ce ne fut pas le cas de la Suède qui, elle, opta volontairement pour la neutralité afin de servir ses intérêts en temps voulu. Néanmoins, depuis la montée des tensions avec la Russie en 2014, le Royaume est également passé à un non-alignement qui interroge. La contribution de la Suède à certaines opérations de l’OTAN est désormais importante et, à la différence de la Finlande voisine, elle ne partage pas 1 300 km de frontière avec la Russie, ni une histoire récente si imbriquée.
Mais la Suède comme la Finlande savent que c’est sur elles que repose « l’équilibre nordique » : durant la Guerre froide, ces pays situés à l’intersection des deux blocs assuraient par leur neutralité affichée un équilibre fragile mais garant de la stabilité de la région. Tout mouvement, aujourd’hui, est perçu comme menaçant ce statu quo(4).
Un pays stratégique pour l’Alliance et pour la Russie
Du côté russe, la Finlande est vue comme une zone tampon entre l’OTAN et la Russie mais elle est aussi dotée du rôle de médiateur entre Washington et le Kremlin comme en témoigne le Sommet de Helsinki du 16 juillet 2018. Dès lors, la Russie a tout intérêt à éviter une adhésion de la Finlande à l’OTAN. Le Kremlin a évidemment vu d’un mauvais œil l’exercice Trident Juncture auquel ont pris part la Finlande et la Suède. Il a jugé que l’Alliance utilisait le duo svéco-finlandais pour déstabiliser la sécurité européenne en incitant les deux pays à se rapprocher encore de l’Alliance, voire à en devenir membres officiels. Le président finlandais Sauli Niinistö a affirmé de son côté que « ni la Finlande ni les États-Unis ne prévoyaient de menacer quelque pays que ce soit via notre territoire »(5). Le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a quant à lui justifié la présence finlandaise dans cet exercice par le fait que le pays est « un partenaire proche de l’OTAN que nous [les membres de l’OTAN] apprécions. Nous apprenons l’un de l’autre. La Finlande possède des forces de défense très compétentes et des soldats qui ont déjà été impliqués dans des opérations de l’OTAN à plusieurs reprises. »(6) Il est vrai qu’en 2001, l’Alliance a attribué au Centre international des forces de défense finlandaises (FINCENT) de Tuusula la fonction de centre d’entraînement du Partenariat pour la Paix.
En outre, la Finlande et la Suède ont signé en mai 2018 avec les États-Unis un accord de coopération militaire non contraignant juridiquement mais visant à développer l’interopérabilité entre ces trois pays et à renforcer le partenariat stratégique Union européenne-OTAN. Sans surprise, cette initiative n’a pas été bien accueillie par la Russie.
La Finlande, un membre officieux de l’Alliance ?
Du fait de son statut de partenaire et non de membre de l’OTAN, l’Alliance n’a pas d’obligation de solidarité à l’égard de la Finlande en cas d’agression : comme la Suède, elle n’est pas couverte par l’article 5 du traité. Mais la signature par ces deux pays, en septembre 2014 (c’est-à-dire au lendemain de l’annexion de la Crimée par la Russie), de l’Accord de nation hôte (Host Nation Support) avec l’OTAN a changé la donne : l’accord autorise en effet, outre la tenue d’exercices militaires conjoints sur les territoires des deux pays et le développement de la coopération militaire, une assistance des troupes de l’OTAN dans ces deux pays en cas de menace à la sécurité et « s’ils le demandent ». C’est tout spécifiquement cette dernière mention qui provoque l’ire de Moscou.
En Finlande, certains, tel le président du parti de la Coalition nationale Petteri Orpo, avancent l’idée que la Suède et la Finlande pourraient intégrer l’Alliance ensemble. S. Niinistö, lui, a affirmé à plusieurs reprises ne voir aucune connexion automatique entre une adhésion de la Suède à l’OTAN et celle de la Finlande. Dans le pays, le sujet divise donc beaucoup les politiques. Mais il n’est pas à l’ordre du jour du côté de la population : en 2018, 62 % des Finlandais se disaient opposés à une adhésion et 22 % favorables. En Suède, la tendance s’est inversée récemment : en 2018, 43 % des personnes interrogées se disaient pour une adhésion (elles étaient 37 % en 2017) et 37 % contre (elles étaient 42 % en 2017)(7).
Les arguments généralement avancés contre une éventuelle intégration de la Finlande à l’OTAN font état de la rupture qu’elle entraînerait au regard de l’équilibre maintenu jusqu’à maintenant dans la région. L’Alliance se rapprocherait encore un peu plus des frontières de la Russie et la Baltique deviendrait de fait une mer intérieure de l’OTAN. La Finlande serait mise en demeure d’agir en cas de conflit entre l’OTAN et la Russie et ne pourrait plus user de son rôle de médiateur entre l’Est et l’Ouest. Le plus judicieux, avancent certains, serait plutôt d’approfondir sa coopération avec les voisins nordiques tout en développant une alliance informelle avec les États-Unis et l’OTAN. Même si personne ne doute du fait qu’un conflit entre l’OTAN et la Russie impliquerait immanquablement la Finlande dans la crise, indépendamment de son appartenance ou non à l’Alliance atlantique.
Notes :
(1) Juho Paasikivi (1946-1956) et Urho Kekkonen (1956-1982) ont été Présidents de la Finlande.
(2) « Hägglund : Suomi on selkkauksen osapuoli Afganistanissa » [Hägglund : la Finlande est une partie au conflit en Afghanistan], Yle Uutiset, 8 août 2009.
(3) Antoine Beausoleil, « La Finlande sur la scène internationale. Du neutralisme en héritage au multilatéralisme en action », Questions internationales, n° 84, mars-avril 2017, pp. 107-113.
(4) Céline Bayou, « Tensions sécuritaires dans la région baltique. Que reste-t-il de l’équilibre nordique ? », Questions internationales, n° 90, mars-avril 2018, pp. 108-112.
(5) Kreeta Karvala, « ‘Ruotsin päätös liittyä Natoon olisi melkoinen järistys’ - näin se vaikuttaisi Suomeen » [La décision de la Suède d’adhérer à l’OTAN ferait l’effet d’une bombe – la Finlande en serait affectée], Iltalehti, 18 janvier 2018.
(6) Petri Raivio, « Suurharjoitus tuo Suomen naapuriin 50 000 Nato-sotilasta : Sotilasliitto haluaa näyttää yhteisen puolustuksen voimaa » [Le vaste exercice mobilise 50 000 soldats de l’OTAN chez le voisin de la Finlande : l’Alliance veut montrer la puissance d’une défense commune], Yle Uutiset, 25 octobre 2018.
(7) Piotr Szymańnski, « With Russia right across the border - Finland’s security policy », OSW Studies, n° 73, mai 2018, p. 28, et Paula Tapiola, « Mielipidemittaus : Ruotsalaisten tuki sotilasliitto Natolle nousussa – Viikon takaisessa mittauksessa toinen tulos » [Sondage : le soutien suédois à l’OTAN est en pleine augmentation - un résultat différent dans le dernier sondage de la semaine], Yle Uutiset, 14 janvier 2018.
Vignette : Le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et le Président finlandais, Sauli Niinistö (Source : site de l’Otan).
* Océnaëlle PILLOT est étudiante de Master 2 Relations internationales et de finnois à l’Inalco.