La Pologne lance sa «révolution des déchets»

Le nouveau système de gestion des déchets est entré en vigueur en Pologne le 1er juillet 2013. Annoncé comme une révolution, il devrait aider le pays à respecter les objectifs fixés par l’Union européenne d’ici 2020 en matière de recyclage et de mise en décharge, et soulager la nature des déchets qui la polluent. 


La Pologne a révisé le 1er janvier 2012 sa loi de 1996 sur le maintien de la propreté et l’ordre dans les communes. Entrée en vigueur le 1er juillet 2013, la nouvelle loi confère aux communes l’entière responsabilité du tri, du ramassage, du transport, du recyclage et de l’élimination des déchets municipaux. Il s’agit de construire un système de collecte et de gestion des déchets qui soit réellement efficace localement, d’encourager le tri sélectif et le recyclage afin de répondre aux objectifs fixés par l’Union européenne.

En effet, conformément à la directive de 2008 relative aux déchets, le taux à atteindre en matière de réemploi et de recyclage des déchets ménagers (ne serait-ce que pour le papier, le métal, le plastique et le verre) est d’au moins 50% d’ici 2020[1]. Quant à la mise en décharge des déchets municipaux biodégradables (directive de 1999), celle-ci doit être réduite à 35% d’ici 2020 par rapport à la quantité produite en 1995[2]. La Pologne est encore loin de ces objectifs. Fin avril 2012, elle avait même été assignée par la Commission européenne (CE) devant la Cour de Justice de l’UE pour non respect du délai de transposition de la directive de 2008, fixé au mois de décembre 2010. La CE réclamait une sanction financière de 67.314 euros par jour à son encontre.

Avec 12 millions de tonnes de déchets municipaux en 2011, la Pologne est le sixième producteur de l’UE, derrière l’Allemagne (48,8 millions de tonnes), la France (34,3 millions de tonnes), la Grande-Bretagne et l’Italie (32,5 millions de tonnes chacune) puis l’Espagne (23 millions de tonnes). La quantité de déchets municipaux produite en Pologne ne cesse d’augmenter depuis les années 1990 (elle s’élevait à 9,9 millions de tonnes en 1995), et elle devrait s’approcher des 15 millions de tonnes en 2022 si l’on en croit les prévisions du Plan national de gestion des déchets 2014.

Un système qui mise sur les décharges

Jusqu’alors, le système de gestion des déchets a fonctionné au détriment de l’environnement. Les propriétaires, syndics de coopératives ou de communautés de logements étaient libres de choisir leur firme de ramassage des déchets et la plupart des contrats pour la collecte des ordures ménagères, au cours des dernières années, ont été passés avec des firmes privées (en 2011, elles comptaient pour 58% des déchets collectés). La plupart de ces firmes ne se contentent que du ramassage, sans aucune activité de valorisation des déchets. Les moins chères du marché s’en débarrassent même parfois de manière illégale (c’est-à-dire dans la nature) ou dans des décharges qui sont loin de respecter les normes environnementales mais ont l’avantage d’être bon marché.

En moyenne cependant, la mise en décharge légale concerne plus de 70% des déchets municipaux, tandis que 17% environ sont compostés, 11% seulement recyclés et 1% incinérés (2011). Les installations de tri et de recyclage des déchets sont peu développées dans le pays, tandis qu’il n’existait en 2009 qu’un seul incinérateur de déchets municipaux, près de Varsovie (six autres sont actuellement en construction). De ce fait, la taxe sur la mise en décharge introduite en 1997 et pourtant multipliée par cinq en 2007 –elle est passée d’environ 15 à 75 zlotys la tonne pour les déchets non triés- n’a pas eu d’effet réel, les capacités de traitement alternatif des déchets restant insuffisantes.

En outre, avant l’entrée en vigueur de la loi, près de 20% de la population ne possédait aucun contrat avec une firme de ramassage. Environ 20% des ordures ménagères n’étaient donc pas ramassées. En moyenne, cela représente 60 kg de déchets par habitant en 2011 (chaque habitant ayant produit en moyenne 315 kg de déchets). Les déchets non collectés finissent dans les poêles ou les chaudières domestiques, chez le voisin, dans la forêt ou ailleurs dans la nature. Fin 2011, on comptait plus de 2.500 décharges sauvages dans le pays, dont les trois quarts à la campagne. Si plus de 13.000 décharges sauvages ont été nettoyées cette année-là (soit 53.000 tonnes de déchets récupérés), le fait d’utiliser la nature –et, en particulier, les forêts- comme dépotoir reste un problème sérieux que la loi ambitionne de régler.

Une préparation locale laborieuse

En effet, le nouveau système insère tous les habitants dans un système de collecte des déchets de manière obligatoire, puisque chaque ménage doit désormais s’acquitter d’une taxe mensuelle auprès de sa commune. Sous l’autorité recouvrée de celle-ci, seules une ou quelques firmes se chargeront désormais du ramassage et du transport des déchets. Autrement dit, les contrats pour la collecte des déchets ne seront plus passés par les propriétaires ou les syndics d’immeubles, mais directement par les communes. En janvier 2013, le ministre de l’Environnement, Marcin Korolec, se félicitait de la grande liberté que la nouvelle loi confère aux autorités communales. Elle leur permet d’organiser leur propre politique de gestion des déchets, puisqu’elles fixent désormais elles-mêmes le montant de l’impôt et choisissent librement leurs opérateurs. Pour le ministre, la loi remet de l’ordre dans les pratiques sans imposer de solution toute faite.

Si, effectivement, les communes reprennent la main sur la gestion locale des déchets, les dix-huit mois dont elles ont disposé pour organiser le futur système n’ont pas été simples. Les appels d’offre organisés pour le choix des firmes de ramassage, par exemple, ont suscité des réticences. Certains ont craint que les sociétés municipales ne soient privilégiées –celles-ci, au passage, ne sont pas plus engagées dans la valorisation des déchets que les firmes privées- et que cela n’entraîne une politisation du marché des déchets, voire l’émergence de pratiques de corruption. D’après l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs (UOKiK), 62% des communes sont propriétaires ou copropriétaires d’une société de ramassage des ordures (à peine 29% s’agissant des communes rurales) et 46% possèdent au moins une installation pour la «gestion» des déchets, qui est généralement une décharge[3].
Au contraire, d’autres ont craint que le marché des déchets, qui se compose de plus de 3.000 firmes actuellement, ne se limite plus qu’aux quelques grands acteurs occidentaux déjà prédominants[4], au détriment des petites entreprises locales. Une enquête réalisée par le ministère de l’Environnement en avril 2013 semblait démentir ces craintes. Mais elle montrait aussi que les appels d’offre ont été lancés avec retard (deux mois avant l’entrée en vigueur de la loi, la moitié des communes interrogées n’avaient pas encore lancé leur appel d’offre). Un dixième seulement des communes étaient déjà prêtes[5].

Inquiétude et insatisfaction des propriétaires et des syndics

Les communes ont dû fixer l’impôt sur la gestion des déchets désormais imposé aux ménages, grâce auquel elles rémunèreront leurs opérateurs. Quatre critères sur lesquels baser l’impôt ont été prévus par la loi: le nombre d’habitants dans le foyer, la superficie du logement, la consommation d’eau ou le type de logement. Ainsi, à Gdańsk, Gdynia, Wrocław ou Białystok, la taxe sera basée sur la superficie du logement. À Olsztyn, Poznań, Łódź, Opole, Radom ou beaucoup d’autres villes, la taxe dépendra du nombre d’habitants. Cet impôt vise aussi à sensibiliser les ménages au recyclage et la loi prévoit des taux différenciés selon que l’on s’engage ou non dans le tri sélectif. À Varsovie par exemple, le fait de trier ses déchets en trois parts (verre, déchets secs recyclables et autres) diminuera les factures de 40%.

Les communes ont donc sollicité un certain nombre d’informations auprès des propriétaires et des syndics, sous la forme de déclarations comportant notamment l’intention ou non de trier ses déchets. La loi n’ayant pas prévu de modèle type de déclaration, chaque commune l’a élaboré comme elle l’a souhaité, ce qui a conduit à une grande diversité de situations et à quelques dérives. Certaines communes se sont montrées un peu trop intrusives, exigeant des données personnelles sur les propriétaires et les membres de leur famille, ou des attestations pour les personnes résidant momentanément hors de leur commune (comme les étudiants). Ayant reçu plusieurs plaintes, l’Inspecteur général de la protection des données personnelles (GIODO) a entamé un contrôle dans plusieurs communes et appelé les voïvodes (préfets de région) à intervenir, le cas échéant, pour annuler ces pratiques. Plus que d’une curiosité excessive, la volonté d’obtenir des données qui ne sont pas indispensables au calcul de la taxe témoigne de la méfiance dont font preuve certaines autorités locales envers les habitants, dont une partie chercherait à tricher pour réduire ses charges. Elle démontre aussi à quel point les communes craignent les contournements et les fraudes dans ce nouveau système dont elles doivent désormais répondre.

En outre, les déclarations ont entraîné de vives réactions chez les syndics d’immeubles. Conformément à la loi, ces derniers ont été chargés de collecter les données requises auprès des propriétaires des différents appartements, puis de déposer une déclaration commune à la municipalité. Beaucoup se sont interrogés sur les responsabilités en cas de fausses informations transmises ou de retard de paiement de certains locataires, la loi ne fournissant aucun détail sur ces questions. De la même façon, rien n’a été précisé pour décider, ou non, du tri des déchets dans les logements collectifs ou coopératifs. Que faire si certains locataires ne respectent pas le choix du tri sélectif? Plusieurs municipalités ont décrété le principe de la responsabilité collective, compte-tenu de l’impossibilité de déterminer le ou les responsables. À Varsovie, cependant, un seuil minimal de tri a été fixé pour chaque poubelle (de 80% au moins pour le verre et 60% pour les déchets secs), pour éviter que le comportement d’un seul locataire ne crée des charges pour tous les autres. Malgré cela, les syndics vont devoir faire preuve de vigilance. Dans les logements collectifs, le local à poubelle pourrait bien devenir une source de tension.

Encore une fois, la préparation des communes s’en est trouvée retardée. Un mois avant la date fatidique, les syndics de plusieurs coopératives et communautés de logements à Wrocław et Racibórz ont décidé de boycotter l’envoi des déclarations collectives. De ce fait, début juin, à peine un millier de déclarations avaient été réceptionnées par la municipalité de Wrocław sur les 70.000 attendues, tandis qu’il en manquait encore 60% à Racibórz. Au même moment, manquaient encore 30% des déclarations à Kielce, 70% dans l’agglomération de Poznań, près de 60% à Gdańsk. A contrario, la ville de Bydgoszcz, avec 97% des déclarations reçues, était quasiment prête pour l’application de la loi.

Finalement, à trop laisser de liberté, la loi s’est révélée obscure sur plusieurs points, d’où une grande disparité dans le degré de préparation des communes. De même, l’impôt que supporteront les citoyens variera d’une commune à l’autre, y compris au sein d’un même critère de calcul. Par exemple, la taxe mensuelle par personne s’élèvera à 12,7 zlotys à Łódź en cas de tri sélectif et à 16,5 zlotys en l’absence de tri sélectif, tandis qu’elle sera de 12,5 et 25 zlotys à Bydgoszcz, 8 et 12 zlotys à Gorzów Wielkopolski. Pour autant, d’après un sondage CBOS réalisé en mai, 68% des Polonais évaluent positivement la loi sur les déchets et 78% estiment qu’elle encouragera le tri et le recyclage, même si cela coûtera plus cher.

Notes :
[1] Directive n°2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives, art.11. Cette directive hiérarchise les étapes de la gestion des déchets en commençant pas le plus prioritaire: 1) la prévention des déchets, 2) le réemploi, 3) le recyclage, 4) la valorisation, 5) l’élimination.
[2] Directive n°1999/31/CE du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets, art.5.
[3] UOKiK. La concurrence sur le marché polonais des services de collecte et de traitement des déchets municipaux, février 2012, p.81.
[4] Trois grands groupes allemands et deux français dominent le marché des déchets en Pologne: Remondis, ALBA, Toensmeier, SITA et Veolia.
[5] À Varsovie, l’entrée en vigueur de la loi ne se fera que le 1er juillet 2014.