Le bio cherche sa voie en Roumanie

L’agriculture roumaine possède l’un des plus gros potentiels d’Europe. En plein développement depuis quelques années, elle se trouve aujourd’hui confrontée à des choix. Le développement de l’agriculture bio est l’un d’eux. Les pouvoirs publics en ont bien conscience, mais tardent à appliquer une politique claire dans ce sens.


Aurel Petrus s’est mis à l’agriculture biologique il y a déjà huit ans. A l’époque, presque personne en Roumanie n’avait entendu parler de cette façon de cultiver et son pari s’annonçait très risqué. Pourtant, ce paysan d’une quarantaine d’années n’a pas changé d’avis: «J’y crois depuis le début et c’est pour ça que je le fais», dit-il. Les cheveux grisonnants, l’allure simple et l’air bonhomme, il explique avec passion son parcours et détaille avec précision ses projets futurs. Il a commencé par investir plus d’un million d’euros dans la mise aux normes et l’acquisition «de trois silos, d’un laboratoire et d’une balance électronique». Aujourd’hui, il cultive 1.200 hectares et sa ferme est l’une des plus grosses exploitations écologiques du pays. Il produit entre 2.500 et 3.000 tonnes de céréales (blé, maïs, orge, tournesol, soja…) par an, dont une bonne partie est exportée vers l’Union européenne. Il projette par ailleurs de faire certifier son huile de tournesol – produite, déjà, conformément aux normes biologiques - pour la vendre sur les marchés environnants. Et il ne regrette pas ses choix. «Oui, c’est rentable», lâche-t-il, heureux de pouvoir raconter son histoire qui, dans son propre pays, intéresse peu de monde.

Dans la commune de Stefan Cel Mare, située à une centaine de kilomètres de Bucarest, Aurel Petrus fait la fierté du maire, Nicolae Pandea. Lui aussi est un «accro» du bio et l’objectif de son mandat est de convertir tous les habitants à l’agriculture propre. «On organise des heures de formation destinées aux paysans, pour leur faire comprendre que les produits chimiques qu’ils mettent dans leur jardin ne sont pas indispensables». Car, en dehors de l’exploitation d’Aurel Petrus et de deux ou trois autres grosses fermes, la majorité des 3.500 habitants de la commune pratique une agriculture de subsistance. «Même dans leur potager, ils mettent de l’engrais chimique», affirme le maire, qui ajoute fièrement: «Je fais ça parce que je veux que les gens mangent sainement et aujourd’hui je peux dire que beaucoup se sont mis au bio!».

Absence de marché

L’exemple de ce village est sans doute unique en Roumanie et manger bio est loin d’être simple dans ce pays. Sur les marchés, rares sont les paysans qui peuvent se vanter de vendre des fruits et légumes 100% bio. Dans les grandes surfaces, il est encore plus difficile d’acheter des produits écologiques. «Il n’existe pas d’étiquettes correspondantes. Le règlement européen sur l’inscription des produits bio n’est pas appliqué chez nous, mais il va être mis en place très bientôt», explique Alexandru Vlad, le vice-président de l’Association des grandes surfaces de Roumanie. «Le problème est que nous n’avons pas de culture des aliments bio. Ce genre de marchandises s’adresse à un public plus éduqué, qui a conscience de ce qu’il mange. Mais nous sommes probablement encore un pays trop pauvre pour que les produits bio soient un phénomène de masse», ajoute-t-il. Et il est vrai que les aliments issus de l’agriculture écologique sont particulièrement chers en Roumanie. «Les récoltes bio produites dans le pays sont exportées à hauteur de 80 à 90%», note Marian Cioceanu, président de l’association Bio-Romania. D’après lui, les prix des produits bio que l’on trouve en magasin sont particulièrement élevés, car «tout est importé de pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Autriche. Du coup, les prix pratiqués en Roumanie sont très souvent plus élevés qu’en Occident». Le bio étant considéré comme un marché de niche par les distributeurs, aucun effort n’est fait pour promouvoir les agriculteurs locaux. Aurel Petrus confirme en s’énervant: «Il n’y a pas de marché car nos produits ne sont pas promus et les gens ne connaissent même pas l’existence des aliments bio. Il faudrait une politique nationale!».

Un potentiel important

En Roumanie, moins de 2% de la surface agricole totale du pays est enregistré comme remplissant les critères de l’agriculture biologique. Cela représente environ 200.000 hectares sur un total de 14,2 millions d’hectares de terres arables. C’est peu par rapport à des pays comme l’Italie ou l’Autriche où, respectivement 8 et 10% de la surface cultivable sont utilisés pour des cultures écologiques. Pourtant, la Roumanie semble avoir un potentiel particulièrement élevé pour ce genre d’agriculture. Parole de paysan! «Plus de 80% de nos terres peuvent être utilisées pour l’agriculture bio, et je le dis en connaissance de cause», affirme Aurel Petrus. «< i>Sous le régime de Ceausescu, les économies étaient telles que l’on utilisait le moins possible de pesticides et d’engrais chimiques qui coûtaient cher. Nos terres n’ont pas été autant traitées que celles des pays occidentaux et, après la révolution de 1989, une grande partie des terrains arables de Roumanie n’ont pas été cultivés», explique Marian Cioceanu. De plus, le nombre élevé de petits producteurs, qui constitue un handicap pour le développement de l’agriculture traditionnelle, pourrait être un avantage conséquent pour le développement de certaines cultures écologiques. Dans le domaine des produits laitiers ou celui des fruits et légumes, les petites surfaces ne représentent pas un problème. «Le passage à l’agriculture bio ne demande pas de gros investissements et puis c’est une activité que l’on peut faire à mi-temps», ajoute le président de Bio-Romania.

Des objectifs ambitieux

Si le développement de l’agriculture biologique en Roumanie a du mal à démarrer, c’est en grande partie à cause de l’arrivée tardive des aides financières. Depuis 2008 seulement, les agriculteurs qui souhaitent passer au bio reçoivent des subventions de la part du ministère de l’Agriculture, mais seulement durant la période de conversion. Les fonds européens perçus dans le cadre du programme national de développement rural, eux, sont disponibles seulement depuis le 1er janvier 2009. «Je n’ai reçu qu’une seule subvention et ça fait huit ans que je cultive bio», confirme avec amertume Aurel Petrus. Au ministère de l’Agriculture, on explique ce retard très simplement: «Nous avons donné la priorité au réaménagement des pâturages défavorisés, qui représentent 2 millions d’hectares, aux politiques d’augmentation de la biodiversité et au développement de l’engrais vert». Mais l’agriculture biologique reste tout de même une priorité pour les pouvoirs publics. Et les objectifs sont concrets: «D’un point de vue qualitatif, nous voulons placer la culture bio au centre de l’agriculture roumaine, comme moteur du développement durable. D’un point de vue quantitatif, nous aimerions qu’en 2013, la surface cultivable destinée à l’agriculture biologique représente 7% du total de la surface arable du pays».

Le spectre des OGM

La Roumanie n’a pas toujours encouragé le développement d’une agriculture «propre». En 2006, un an avant son adhésion à l’Union européenne, elle était le pays d’Europe qui concentrait le plus d’OGM. Mais le soja transgénique majoritairement cultivé dans le pays a été interdit par l’UE et, depuis le 1er janvier 2007, l’ensemble de ces cultures a été détruit. Pourtant, comme pour l’agriculture biologique, la Roumanie possède un potentiel énorme pour les producteurs de semences génétiquement modifiées. «Aujourd’hui, le lobbying des sociétés productrices d’OGM est plus fort que jamais, car la Roumanie reste une sorte de cheval de Troie pour entrer en Europe», estime Gabriel Paun, ancien militant à Greenpeace et aujourd’hui journaliste au magazine roumain Green Report. Lui-même a été menacé de mort l’année dernière, au cours d’un débat télévisé auquel il participait, par le président de la Ligue des associations de producteurs agricoles de Roumanie, aujourd’hui chef de cabinet au ministère de l’Agriculture. «En 2008, le ministère a refusé de communiquer la liste des parcelles sur lesquelles on cultive des OGM, alors qu’il est normalement obligé de le faire», continue-t-il. «Et, dans la presse, de plus en plus d’articles relativisent l’effet nocif des OGM». L’exécutif avait pourtant montré sa bonne volonté en initiant, en début d’année, les procédures pour interdire le seul type d’OGM autorisé pour le moment dans l’UE: le maïs MON 810. La Roumanie aurait ainsi rejoint des pays comme la France, la Hongrie ou la Pologne dans ce choix. Retardées, ces démarches n’ont cependant toujours pas abouti.

* Jonas MERCIER est journaliste indépendant.