Le «redémarrage» et la politique russe à l’égard de la Géorgie et de la Moldavie

Dans quelle mesure le réchauffement des relations entre les États-Unis, l’Union européenne et la Fédération de Russie a-t-il influencé la conduite de cette dernière à l’égard de la Géorgie et de la Moldavie, qui abritent trois « conflits gelés » de l’espace ex-soviétique (Abkhazie, Ossétie du Sud et Transnistrie) ?


Pont de chemin de fer à Rybnitsa, TransnistrieLe « redémarrage » des relations entre les États-Unis et la Fédération de Russie a eu des résultats qui dépassent le cadre des relations bilatérales afin d’inclure tout l’Occident. Mais ce redémarrage pourrait-il s’étendre audit espace post-soviétique ? Quelle influence le nouveau contexte géopolitique a-t-il sur la politique de la Russie à l’égard de la Géorgie et de la Moldavie ?

Le redémarrage États-Unis – Europe - Russie

La politique de redémarrage des relations États-Unis - Russie, annoncée officiellement au mois de janvier 2009 lors de la Conférence sur la sécurité de Munich et lancée de manière symbolique à Genève par l’appui du « bouton de redémarrage » (reset button) par Hillary Clinton et Sergueï Lavrov au mois de mars suivant, peut être globalement considérée comme une réussite. En témoignent le changement de politique des États-Unis concernant le bouclier anti-missiles en Europe centrale (septembre 2009) et l’élargissement de l’OTAN, la signature du nouveau Strategic Arms Reduction Treaty au mois d’avril 2010 par les présidents Barack Obama et Dmitri Medvedev, ou encore le soutien de Moscou sur les dossiers iranien et afghan[1].

Par ailleurs, la Russie ne s’est pas contentée de modifier sa politique étrangère à l’égard des États-Unis. On pourrait mentionner, parmi les signes du réchauffement des relations avec les membres de l’OTAN et de l’UE, l’accord entre la Russie et la Norvège sur la ligne frontalière en mer de Barents et dans l'océan Arctique en avril 2010, suivi par la signature d’un accord frontalier le 15 septembre, l’amélioration des relations russo-polonaises (entamée avant la catastrophe aérienne du 10 avril 2010), l’«alliance pour la modernisation» que la Russie envisage d’établir avec l’Europe et les États-Unis (annoncée par Dmitri Medvedev en juillet 2010) et la volonté de coopération dans le projet de bouclier anti-missile euro-atlantique exprimée par le Président russe au Sommet de l’OTAN à Lisbonne (novembre 2010).

Le redémarrage contribue substantiellement à l’émergence d’une atmosphère géopolitique plus calme sur le continent européen. Non seulement la Russie est incitée à développer des relations de coopération avec les pays européens et à saisir cette occasion de reconfigurer l’architecture européenne de sécurité, mais les pays européens et l’UE sont encouragés à jouer un plus grand rôle dans les affaires de sécurité du continent et à intensifier la coopération avec la Russie. C’est dans ce contexte que l’Allemagne et la Russie ont proposé la création d’un Comité politique et de sécurité UE-Russie à Meseberg le 5 juin 2010.

Ce contexte de « redémarrage » interroge la politique de la Russie à l’égard de la Géorgie et de la Moldavie, deux États post-soviétiques situés aux portes de l’UE et qui font face à des « conflits gelés ».

La politique russe à l’égard de la Géorgie

Pour la Géorgie, le redémarrage représente un désengagement de l’Occident, et surtout de Washington, son grand allié. Même si, dans ses déclarations, l’Occident assure constamment Tbilissi de son soutien pour garantir l’intégrité territoriale de la Géorgie, il s’agit à vrai dire d’un consentement tacite pour le maintien du statu quo régional, fait qui pourrait être considéré comme une confirmation de l’impuissance de l’Occident face à la politique russe à l’égard de la Géorgie[2]. En dépit de sa politique de la « porte ouverte », l’OTAN ne montre aucun signe concret que la Géorgie pourrait y adhérer à court ou à moyen terme.

C’est pour ces raisons-là que la Géorgie est souvent représentée comme une «victime» du redémarrage. Et le président Mikheïl Saakachvili d’affirmer que la livraison différée par les États-Unis des armements défensifs promis revient à laisser le champ libre à la Russie pour tenter une nouvelle attaque de la Géorgie[3]. Certains analystes pensent que le redémarrage offrirait à la Russie « un feu vert pour continuer à adopter un comportement provocateur tout au long de ses frontières »[4]. On retrouve ce même état d’esprit dans deux lettres ouvertes d’anciens chefs d’État, d’intellectuels et d’analystes européens (majoritairement d’Europe centrale et orientale) qui demandaient au président B. Obama un « engagement plein de la part des Etats-Unis » et, à l’UE, de « se lever pour la Géorgie »[5].

Même si, pendant l’été 2009, les incidents à la frontière administrative entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie ont fait craindre le pire à de nombreux observateurs, la possibilité d’une «nouvelle guerre» s’est avérée fausse. De plus, même si la Russie a renforcé sa présence militaire en Abkhazie et en Ossétie du Sud[6] afin de maintenir le statu quo post bellum, on doit tout de même noter certains signes positifs de la part de Moscou dans sa politique vis-à-vis de la Géorgie.

Le 1er mars 2010, le poste du Haut Lars-Kazbeg, seul poste de contrôle à la frontière russo-géorgienne qui ne traverse pas les territoires sécessionnistes, a rouvert après trois ans et demi de blocage. Deux mois plus tard, Moscou a permis à la compagnie aérienne Georgian Airways la reprise des vols charter entre Tbilissi et Moscou (12 vols pendant l’été) – les premiers vols depuis la crise d’août 2008 – et s’est montrée favorable au rétablissement des relations économiques interrompues par la guerre. A la fin de l’année 2009 et au début de l’année 2010, on a également observé un redoublement de l’attention de Moscou pour les politiciens géorgiens et une intensification des contacts entre les officiels russes et certaines figures de l’opposition géorgienne (Zourab Noghaideli, Nino Bourdjanadze, Levan Gatchetchiladze, etc.).

Mais le changement le plus notable dans la politique russe a eu lieu le 18 octobre 2010. La Russie a retiré ses forces de Perevi, localité géorgienne qui ne faisait pas partie de l’Ossétie du Sud avant la guerre de 2008. Cette décision a été rendue publique le 14 octobre, en même temps que le sommet de Deauville qui a réuni Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Dmitri Medvedev. Ce qui pourrait laisser penser que le règlement des conflits en Géorgie est lié au processus de reconfiguration de l’architecture sécuritaire de l’Europe. Et ces signes de changement indiquent une émergence d’éléments de « soft power » dans la politique de la Russie[7], aspect non négligeable de la paix et de la stabilité dans la région.

La politique de la Russie à l’égard de la Moldavie

Pour la Moldavie, ce contexte systémique favorable semblerait avoir une influence plus prometteuse que pour la Géorgie. Même si le règlement du conflit de la région sécessionniste de Transnistrie demeure compliqué, il y a néanmoins des signes positifs concernant la position de la Russie sur ce dossier.

Premièrement, le « mémorandum de Meseberg », issu de la rencontre germano-russe des 4 et 5 juin 2010, propose la création d’un Comité de politique étrangère et de sécurité UE-Russie au niveau ministériel, et mentionne expressément la résolution du conflit de Transnistrie comme objectif potentiel pour les « activités communes » russo-européennes[8]. Il s’agit ici de la possibilité de participation de l'UE à la mission de maintien de la paix en Transnistrie, confirmée par le ministre russe des Affaires étrangères, S. Lavrov, lors de la réunion du « Triangle de Weimar » plus la Russie, qui a eu lieu à Paris le 23 juin 2010.

Deuxièmement, au mois de juillet 2010, plusieurs sources attestaient que la Russie avait interrompu depuis le mois de juin le financement accordé à la Transnistrie[9]. Le montant représenterait annuellement environ 9 millions de dollars, envoyés depuis 2008 par tranches trimestrielles à Tiraspol en tant qu’« aide humanitaire ». Le motif invoqué était la non-transparence dans la distribution de ces fonds, étant donné que l’argent était transféré sur le compte de la « GazpromBank », dirigée par Oleg Smirnov, le fils du « président » transnistrien Igor Smirnov. Mais le lien entre le « processus de Meseberg » et cette nouvelle est évident[10]. Si la Russie a déboursé la troisième tranche de son « aide humanitaire » trimestrielle à Tiraspol, c’est principalement dû au fait qu’en septembre 2010, la république autoproclamée a fêté ses 20 ans d’existence. Mais depuis, selon certaines sources, Tiraspol craint que la Russie n’arrête ce financement[11].

Troisièmement, dans ce contexte, on constate une intensification des contacts entre Chisinau et Tiraspol, tant au niveau bilatéral qu’au niveau des pourparlers informels de format « 5+2 » (Russie, Ukraine, et OSCE comme médiateurs, UE et États-Unis comme observateurs). En 2010, il y eut plus de réunions informelles « 5+2 » que prévu. Quant aux contacts bilatéraux, il faut mentionner les deux rencontres à Tiraspol (les 24 août et 30 septembre 2010) entre le Premier ministre moldave, V. Filat, et le leader transnistrien, I. Smirnov, lors de matchs de football. Ces rencontres quasi-amicales ont porté leurs fruits, comme le montrent la reprise de la circulation ferroviaire traversant la Transnistrie (Chisinau-Tiraspol-Odessa), interrompue depuis 2006 et l’accord de principe pour rétablir la connexion téléphonique directe entre la Moldavie et la Transnistrie, interrompue en septembre 2003.

En dépit de ces progrès, la reprise des négociations de type officiel de format « 5+2 », décidée lors de la réunion informelle de Vienne en mars 2010, n’a pas eu lieu. La cause principale en est la crise politique dont souffre la Moldavie depuis avril 2009. L’impossibilité d’élire le Président de la République a engendré deux scrutins législatifs anticipés (les 29 juillet 2009 et 28 novembre 2010) et a imposé la présidence par intérim du président du Parlement, le libéral M. Ghimpu. Le problème vient du fait que la posture affichée par ce dernier s’oppose clairement à la Russie et à la Roumanie, au grand dam du leader transnistrien. Le comportement de M. Ghimpu a affecté les relations de la Moldavie avec la Russie, qui a imposé des restrictions, comme en 2006, sur l’importation des produits moldaves en Russie durant l’été 2010.

Le redémarrage montre donc déjà des signes positifs, en Moldavie comme en Géorgie. Certes, la Russie ne renoncera pas à ses intérêts privilégiés dans son étranger proche, mais la perspective d’une forme de communauté de sécurité « de Vancouver à Vladivostok » rendra anachroniques les conflits sécessionnistes de Géorgie et de Moldavie qui, pour la Russie, perdraient alors leur fonction défensive contre l’élargissement de l’OTAN.

Notes :
[1] Nous faisons ici allusion, d’une part, à l’adoption des sanctions contre l’Iran à l’ONU et à l’annulation du contrat de livraison des missiles anti-aériens S-300 et, d’autre part, à l’accord d’ouverture du «corridor aérien» russe, en juillet 2009, pour le transfert de personnel et d’équipement militaire américains vers l’Afghanistan.

[2] The Washington Post, 15 mai 2010
[3] Newsweek, 13 juin 2010, 12 septembre 2010
[4] The Washington Post, 6 mars 2009
[5] « An Open Letter to The Obama Administration from Central and Eastern Europe », Gazeta Wyborcza, 16 juillet 2009 ; « Europe must stand up for Georgia », Guardian, 22 septembre 2009.

[6] Mirian Meloua, « Deuxième anniversaire de la guerre entre la Russie et la Géorgie », Regard sur l’Est, 1 octobre, 2010.
[7] Sergei Markedonov, « Winds of change in Russian-Georgian relation », Russia Beyond the Headlines, 22 mars 2010.
[8] http://news.kremlin.ru/ref_notes/575
[9] Kommersant, 23 juillet, 2010
[10] Rosbalt, 23 juillet 2010
[11] Europalibera, 26 juillet 2010

* Octavian RUSU est doctorant-ATER, Groupe de Recherche Sécurité et Gouvernance, Université Toulouse 1 Capitole.

Photographie en vignette : Pont de chemin de fer à Rybnitsa, Transnistrie (© Octavian Rusu, 2010).