Les derniers mineurs du Donbass

Samedi 11 mars 2000. Une très forte explosion se produit dans la mine Barakovo, à l'Est de l'Ukraine et entraîne la mort de quatre-vingt mineurs. Le bassin du Donbass vient de connaître la catastrophe minière la plus meurtrière depuis l'indépendance du pays en 1991.


Un an auparavant, un drame identique avait déjà frappé la région, dans une mine près de Donetsk. Soixante mineurs avaient péri dans une explosion au méthane. L'année 1999 faisait ainsi état d'un sinistre bilan : 282 mineurs étaient morts brûlés, étouffés lors de pannes de ventilateurs, écrasés dans l'éboulement de galeries ou de chutes d'ascenseurs. Une succession de catastrophes qui souligne la situation désespérée des mineurs ukrainiens, dans une région où les salaires sont dérisoires quand ils ne sont pas impayés.

"Dans la mine, chacun a sa propre peur, mais ceux qui descendent pour travailler ne doivent pas y penser; chacun de nous doit se dire que c'est un travail comme les autres", confie Sacha, un mineur, devant l'ascenseur qui va le mener dans quelques minutes à près de 1000 m sous terre.

Nous sommes ici en Ukraine, dans l'immense bassin charbonnier du Donbass, où travaillent encore près de 600 000 mineurs. La région de Donetsk est, quant à elle, la plus importante avec 100 000 mineurs.

Depuis l'automne 1999, des mineurs viennent régulièrement se rassembler sur la place Lénine à Donetsk, ou dans le parc de la mairie de Lougansk -deuxième ville du Donbass située à 40 km de la frontière russe. Ils manifestent dans le silence et réclament des mois, voire des années, de salaires impayés.

Aujourd'hui, les revendications des mineurs concernent la prise en compte des temps de transport dans le salaire, l'augmentation des retraites et la mise en place d'un programme gouvernemental pour limiter le chômage et aider à la reconversion des mineurs. Les mineurs demandent par ailleurs une révision générale de la sécurité et des équipes de secours.

"Le problème des accidents dans la mine est un facteur qui pèse lourd dans les conditions de vie des mineurs. Les équipements sont très vétustes, les réparations sont insuffisantes et les dirigeants sont incompétents ou insouciants. Chaque million de tonnes de charbon extrait coûte la vie à "un mineur et demi" -un chiffre vingt fois plus important que dans les pays occidentaux. Au début de la crise, les investissements déjà quasiment inexistants ont continué à baisser, alors que le taux des accidents a augmenté de façon alarmante. La plupart des accidents étaient encore récemment soigneusement cachés, ou lorsqu'ils étaient relatés, étaient attribués à la seule imprudence des mineurs", s'emporte le président du syndicat indépendant, Nikolai Volinko.

Les revendications des mineurs ne se limitent pas à ces questions sociales. Bien plus que cela, elles sont alimentées par les dégâts écologiques liés à l'exploitation du charbon. S'y ajoute la vétusté des équipements : un quart des mines ne sont pas encore totalement mécanisées.

" Le charbon reste pourtant une source d'énergie et un élément indispensable à certaines industries en Ukraine. Le pays aurait d'ailleurs bien du mal à trouver les devises nécessaires à l'importation de cette matière première, dont le prix sur le marché mondial peut s'avérer moins cher. En outre, le danger que représentent les installations nucléaires dans ce pays, et l'éventualité de leur fermeture, agit plutôt en faveur du maintien d'une bonne partie de l'activité charbonnière", explique un responsable chargé du projet européen Tacis sur la restructuration de cette région minière.

Depuis la chute du communisme, les conditions de travail et de vie se sont extrêmement dégradées. Le seul vestige visible de cette époque reste celui du portrait de Lénine, le plus souvent sous forme de statue trônant devant les bâtiments administratifs des mines. La végétation a repris ses droits sur les territoires des mines abandonnées. Les cités minières sont de plus en plus désertées. Sur les trois cent mines en activité en 1990, seule la moitié fonctionne encore.

Les syndicats indépendants continuent pourtant à se battre bénévolement pour les mineurs. Leur priorité est de lutter pour que les salaires des mineurs soient payés. Ils ont aussi créé des associations pour venir en aide aux mineurs handicapés, de plus en plus nombreux aujourd'hui, et qui reçoivent des pensions d'état dérisoires. D'autres associations s'occupent de la collecte de médicaments et d'équipements hospitaliers. Des actions d'autant plus courageuses qu'ils doivent en permanence faire face aux obstacles posés par les directions et organismes d'Etat, et les services de la sécurité intérieure.

A Donetsk, capitale du charbon, on parle plus du Donbass que de l'Ukraine, surtout lorsqu'il s'agit d'aborder les enjeux économiques. Si les problèmes que connaît l'industrie du charbon sont considérables, la région présente paradoxalement un potentiel de développement important. Pour N. Chpachenko, médecin dans les mines de Donetsk, le Donbass pourrait même devenir d'ici à quelques années, et à condition qu'on lui assure un développement autonome, aussi riche que Londres, Paris ou New-York.

La mine Stakhanov

A l'intérieur de l'usine du traitement du charbon de la mine Stakhanov, poussent des herbes folles et des arbustes. Construite dans les années 60 par une société française, la mine est à l'abandon depuis dix ans. Avec elle, a disparu l'image quasi-mythique du mineur Stakhanov.

Aujourd'hui, des hommes et des femmes utilisent tous les moyens pour s'en sortir. "L'état nous a abandonné. Nous venons tous les jours pour ramasser ce que nous pouvons sur le territoire de cette ancienne mine; nous prenons des morceaux de bois pour nous chauffer, des pierres, de la ferraille pour réparer la maison. Cette mine nous appartient encore", explique Oleg, ancien mineur.

En 1935, A. Stakhanov, un mineur de fond à Donetsk, réussit à extraire 102 tonnes de charbon en un poste de travail de 10 heures. Il donna ainsi naissance à toute une mythologie du travailleur soviétique, ainsi qu'à une organisation du travail basée de plus en plus sur le rendement, la discipline et la répression.

En 1985, on commémorait encore l'exploit de A. Stakhanov. M.Gorbatchev envoyait une lettre dans laquelle il exaltait l'indépendance nationale et la tradition de travail des ouvriers soviétiques.

Par Max HUREAU
Vignette : mineurs du Dombass (photo libre de droit, attribution non requise)