Les relations entre la Finlande et la Russie: Finlandisation ou partenaires indépendants?

La fin de la guerre froide a donné à la Finlande une nouvelle autonomie et c’est une nouvelle relation politique et économique que la Russie et la Finlande ont pu depuis instaurer. Cette nouvelle donne débouchera-t-elle sur un partenariat ou sur un rapport de force déséquilibré ? La Finlande pourrait-elle devenir un de ces nouveaux partenaires commerciaux que la Russie cherche aujourd’hui ?


L’indépendance et la souveraineté nationale de la Finlande, acquises en 1917, ont été remises en cause par l’URSS en 1939 et en 1941. Sans prendre le même chemin que l’Europe centrale et orientale, la Finlande fut soumise en septembre 1944 par la convention d’armistice à une tutelle, dont le premier outil fut une commission de contrôle siégeant dans le centre d’Helsinki et dirigée par l’Union soviétique. Les termes de cette tutelle ont été fixés par des accords sur des livraisons à l’URSS et par le traité de paix de 1947. Cette vassalité, ou finlandisation, sera confirmée par le refus du Président Paasikivi de bénéficier du Plan Marshall et par la signature d’un traité d’amitié entre la Finlande et l’URSS en 1948. Par la suite, la présidence d’Urho Kekkonen -de 1956 à 1981- fut ponctuée de rencontres avec l’ambassadeur soviétique qui fit jouer en la faveur de Kekkonen le vote du Parti communiste de Finlande.

Des relations économiques importantes

Dès la chute de l’URSS, le gouvernement et le Président finlandais, Mauno Koivisto, ont affiché le souhait de soutenir la stabilité de la Russie et de la région baltique en améliorant les conditions de vie des habitants à travers l’intégration économique. Après l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne en 1995, la Dimension septentrionale fut ainsi formulée en faveur de cette politique régionale. La Russie soutint et s’ouvrit à cette initiative pour profiter des opportunités d’investissement et de commerce. En outre, les dirigeants et hommes d’affaires russes furent et sont encore particulièrement intéressés par l’expérience des Finlandais dans le commerce avec la Russie depuis les années 1970[1], ces derniers pouvant s’avérer de bons intermédiaires pour les entreprises occidentales souhaitant investir en Russie. En outre, les entreprises finlandaises peuvent elles-mêmes être des partenaires importants pour de grands projets russes, telle Fortum, largement impliquée dans le lancement et la construction du Nord Stream[2]. La Russie investit aussi dans l’économie finlandaise, notamment dans l’immobilier et dans le secteur des nanotechnologies grâce à un partenariat avec l’entreprise finlandaise Suomen Teollisuussijoitus[3].

Le 12 décembre 2010, une ligne de train à grande vitesse reliant Helsinki et Saint-Pétersbourg a été mise en service, mettant les deux villes à trois heures et demie de distance, contre plus de six heures précédemment. Cette ligne prolonge celles de Saint-Petersbourg-Moscou et de Moscou-Nijniï Novgorod. Elle est directement liée aux ambitions de coopération économique. En effet, elle permettra aux investisseurs des deux pays de se rencontrer plus facilement pour négocier des contrats de coopération. Pour le gouvernement russe, il s’agit notamment d’encourager la présence des investisseurs finlandais dans des régions qui ne sont pas limitrophes de la Finlande. Le choix d’Helsinki permettra aussi d’avoir une infrastructure ferroviaire adaptée pour les investisseurs des entreprises de nanotechnologies.

D’autres développements pourraient affecter les municipalités se trouvant près de la frontière des deux pays. Lors de la rencontre du président Dmitri Medvedev avec son homologue finlandaise Tarja Halonen, le 21 juillet 2010, les négociations ont porté sur la possibilité pour les citoyens russes de voyager sans visa au sein de l’UE[4]. Si ces négociations devaient être menées à terme, la coopération politique et économique entre les municipalités russes et finlandaises de la zone frontalière, évoquée par un traité intergouvernemental signé en 1992, serait renforcée.

De plus, les jeunes, surtout dans les régions orientales de la Finlande, sont de plus en plus intéressés par l’apprentissage de la langue russe pour des raisons professionnelles. La levée des visas pour l’UE, les investissements finlandais dans la région du Nord-Ouest russe et une meilleure compréhension interpersonnelle devraient encourager les échanges de part et d’autre de la frontière, particulièrement dans la République de Carélie qui jouit d’une culture commune avec la Finlande et dont une portion fit partie de celle-ci jusqu’en 1944.

La présence de l’Otan dans la région

L’Otan, dont la Norvège ainsi que les Etats baltes sont des membres à part entière, tient une place importante dans la région. La Finlande, qui n’en est pas membre, interrompt, du point de vue russe, la ligne des Etats membres entre la mer de Barents et la mer Baltique. On peut supposer que l’absence des forces armées de l’Otan derrière cette frontière russo-finlandaise longue de 1 340 kilomètres épargne à la Russie un certain type de surveillance. Le 19 octobre 2007, l’ambassadeur russe à Helsinki, Vladimir Kossine, a invité la Finlande à bien réfléchir avant de déposer une candidature à l’Alliance atlantique, car cette initiative serait perçue par Moscou comme un geste d’hostilité[5]. La situation ne pourrait-elle pas néanmoins changer en cas de vive tension avec la Russie ?

Le gouvernement finlandais exprime l’idée que sa politique de non-alignement militaire va lui apporter la paix avec ses voisins, particulièrement avec la Russie. Cependant, la question de la trop grande indépendance de l’économie finlandaise à la Russie se pose légitimement. De ce fait, même une participation dans l’Otan ne pourrait garantir l’«indépendance» de la Finlande, car l’importance croissante du commerce russo-finlandais risque de peser sur les choix politiques de la Finlande. Celle-ci pourra toujours compter sur l’adhésion atlantique en cas de menace russe mais, potentiellement, au prix de la perte des marchés russes et ce, dans un avenir pour le moins lointain. 70 % de la population finlandaise s’oppose à l’idée d’une telle adhésion, tandis que les partis politiques sont divisés sur la question[6]. En outre, la Finlande a annoncé récemment la mise au point d’un système de défense commune avec l’Islande, la Norvège, la Suède et le Danemark, qui serait finalisé dans les dix ou quinze prochaines années[7].

Une relation symbiotique entre les deux pays est plausible: la Russie gagnerait dans la Finlande un partenaire commercial qui limiterait les points de contacts entre la Russie et l’Otan, et la Finlande gagnerait, en plus des marchés russes, en stabilité régionale.

Des relations politiques mouvementées

Les relations entre la Russie et la Finlande connaissent encore des incidents. Le 19 août 2010, le ministre finlandais des Affaires étrangères Alexander Stubb a déclaré que la Russie n’était pas une grande puissance et, qu’à l’avenir, il y aurait de plus en plus de conflits entre les deux pays à propos de tensions territoriales et douanières sur le commerce du bois. En effet, la Finlande se trouve dans une situation où elle ne peut pas toujours résister aux pressions de la Russie. Le 1er juillet 2007, la Russie a augmenté les droits de douanes sur ses exportations de bois à destination de la Finlande afin d’obliger les industries finlandaises de transformation du bois à se délocaliser vers la Russie[8]. Ce type d’événement laisse penser que la Finlande, diplomatiquement démunie, se soumet aux décisions arbitraires de son voisin[9].

La déclaration d’A. Stubb a provoqué l’indignation de membres du gouvernement russe, mais également des membres du Conseil des ministres de Finlande, notamment du ministre finlandais du Commerce extérieur et du Développement, Paavo Väyrynen[10]. Une semaine après cette déclaration, le 27 août 2010, le ministre finlandais des Finances Jyrki Katainen a rencontré à Moscou le président du comité des Affaires étrangères de la Douma, Konstantin Kossatchev, qu’il a rassuré en rappelant que la Russie était une grande puissance militaire, internationale et riche en ressources naturelles, mais pas au regard de son produit intérieur brut[11]. L’empressement mis par le ministre à démentir les positions d’A. Stubb est un signe que certains politiciens finlandais souhaitent éviter des tensions avec leur voisin russe. Peur de perdre des opportunités d’investissement ou réflexe hérité du temps de la guerre froide ?

Finlandisation ou partenariat ?

Les relations entre la Finlande et la Russie semblent constituer un partenariat où le maintien de la sécurité des deux pays dans la région tient une place importante. La Finlande pourrait avoir une position de force comme source d’investissement pour la Russie dans le futur, comme elle peut utiliser la menace d’une adhésion à l’Otan en cas d’importante dégradation des relations russo-finlandaises. Cependant, la Russie est, en 2009, le principal partenaire commercial de la Finlande puisqu’elle reçoit 16,2 % de ses exportations et son troisième partenaire pour les importations (avec 9 % des achats finlandais). Mais les entreprises finlandaises investissent également dans des secteurs stratégiques comme l’énergie (c’est le cas de Fortum qui détient 75 % du capital de l’entreprise russe TGK-10)[12]. Avec le développement économique des entreprises russes, il est possible que la capacité d’investissement des entreprises finlandaises ne soit plus un argument. En outre, la posture conciliante et apaisée de certaines élites finlandaises à l’égard de la Russie pourrait constituer un obstacle à l’affirmation d’une position plus dure si les relations devaient devenir plus conflictuelles avec Moscou .

L’exemption de visas entre les deux pays pourrait faciliter la coopération des régions limitrophes. Cette intégration leurs offrira la possibilité de développer des formes de coopération avec l’autre coté de la frontière plutôt que vers leur propre capitale. Toutefois, si les élites finlandaises souhaitent garder de bonnes relations avec la Russie, la population et les entrepreneurs locaux, surtout des provinces de l’Est, pourraient favoriser Moscou pour profiter des emplois et des opportunités de commerce avec la Russie. La Finlande deviendrait alors simplement une porte sur l’Ouest pour la Russie.

Notes : 
[1] David Kirby, A concise history of Finland, 2006.
[2] Marko Lehti & David J. Smith, Post-Cold War identity Politics: Northern and Baltics experiences, 2003.
[3] rian.ru, 27 mai 2010.
[4] Site du Kremlin : http://eng.news.kremlin.ru/news/640, 21 juillet 2010.
[5] Hufvudstadsbladet, 19 octobre 2007.
[6] Olaf F. Knudsen, Security Strategies, Power Disparity and Identity, 2007, pp. 35-36.
[7] Site d’Europe1: http://www.europe1.fr/International/Europe-du-Nord-Une-défense-commune-302634/.
[8] Kaleva, 10 Juillet 2008.
[9] Le Monde, 31 août 2007.
[10] Helsingin Sanomat International, 19 août 2010.
[11] Helsingin Sanomat International, 30 août 2010.
[12] Site du Gouvernement de la Fédération de Russie : http://premier.gov.ru/eng/visits/world/10739/info/10741/.

* Alejandro MARX est étudiant à la School of Slavonic and East European Studies, University College of London.

Source photo : www.cia.gov