L’IE : l’officine des professionnels de l’information

Une fois n’est pas coutume, lorsqu’on aborde le sujet de l’Intelligence Économique, de rappeler rapidement que les fondements ainsi que la définition de cette notion ont été officiellement mis en avant dans le rapport Martre en 1994. Cependant cette activité considérée comme jeune, avec à son actif une vingtaine d’années, l’est-elle vraiment ?


Ou n’est-ce pas tout simplement le cycle de l’information qui a évolué, avec l’arrivée des NTIC ? Cette évolution aurait ainsi permis de valoriser et de mettre au grand jour des savoirs faire en IE. Ce serait plutôt la profession de l’information qui se serait muée en un outil mesurable utile à la performance et la pérennité des affaires économiques d’une entreprise, d’une institution.
Ce postulat est primordial à aborder lorsque l’on parle de métiers d’IE. En effet, il permet de s’interroger sur ce que sont au juste les métiers de l’IE. Sont-ils de nouveaux métiers ? Ont-ils des missions clairement établies ? Les intitulés de postes définissent-ils des cadres de missions précis et concis ? Concernent-ils uniquement les professionnels de l’information ?

Le « catalogue officiel » des métiers de l’IE

Une partie de la réponse peut être obtenue dans le document qu’a publié la commission du HRIE[1] en septembre 2006. Ce document liste les métiers et les compétences de l’IE. Il comprend les 9 métiers suivants : Formateur en IE, veilleur, analyste, auditeur en IE, consultant en IE, éditeur de logiciel d’IE, directeur ou responsable d’IE, délégué général à l’IE, lobbyiste. Cette liste a été signée par les principaux organismes d’IE, ainsi que l’ACFCI[2] et l’ANPE sous l’égide du HRIE.
Tous ces métiers centrés autour de la formation, du traitement et de l’organisation, de la capitalisation, de l’analyse de l’information et de l’outil technologique ont pour point commun d’œuvrer au sein du cycle de l’information.
Jointe à ce document, une cartographie résume très bien la vision des métiers de l’IE et liste tous les métiers annexes par communauté de pratique. Car l’IE, c’est avant tout un échange entre plusieurs parties prenantes des expertises issues de différentes communautés de pratique (stratégie, marketing, juridique, communication, documentation, sécurité, nouvelles technologiques, apprentissage, audit et conseil) en vue de la même finalité : aider et soutenir par l’information, la croissance et la réactivité de l’entreprise ou de l’institution face à ses opportunités et des menaces externes et internes.

Soulignons également la parution le 27 mars dernier, d’un article très didactique sur le site web Le Journal du Net. Le journaliste a souhaité effectuer en quelque sorte un inventaire des objectifs, méthodes et parcours sur des métiers, en s’appuyant sur des témoignages de spécialistes pour les fonctions de sûreté, d’enquête, de veille, de gestion des risques et de crise, de conseil.
Cependant sans volonté de polémiquer, mais plutôt en ayant à cœur de voir ce domaine perdurer et s’épanouir, nombre d’entre nous remarque que face à cette version officielle des métiers, il réside une autre partie de la réponse dans l’observation du marché de l’IE. En effet, soulignons que la multiplicité des métiers et donc des fonctions qui peuvent être représentées au sein de certains grands groupes entraînent parfois une fragmentation trop forte dans l’exercice de l’IE, chacun ayant l’impression d’être le vecteur de l’IE à lui tout seul, alors que c’est bien dans l’échange et la mise en place d’un réseau autour de toutes les parties prenantes que l’IE joue son rôle.

Les jeux de rôles dans l’IE

Cette observation du marché, ainsi que le vécu et les différents témoignages collectés amènent à plusieurs constats et questionnements sur lesquels des groupes de réflexion devraient se pencher afin de clarifier certains dysfonctionnements en vue de la bonne notoriété et du fleurissement futur de des activités d’IE.
Le premier point est de constater qu’il existe des postes et des gens surexposés côtoyant tout un pan caché ou non identifié dans les métiers de l’IE. Ainsi certaines personnes ont des intitulés de postes IE qui ne correspondent pas à de réelles activités d’IE. Il n’est pas rare de voir que certains grands groupes ont des postes de responsable d’Intelligence Economique, alors que leur tâche quotidienne consiste à lire les alertes mail et à créer de longues revues de presse, là où l’information ne manque pas et où l’intérêt et surtout l’efficacité résiderait plutôt dans la vision synthétique et sur la prise de hauteur qui pointe sur les petits détails pouvant jouer de leur importance. A l’inverse, on voit également des offres d’emploi « camouflées » pour des postes de responsables d’études de marché où la mission finale une fois recruté est de surveiller les concurrents et de soutirer les informations clés aux nouveaux embauchés débauchés de la concurrence. Sous couvert de règles juridiques et de ne pas communiquer d’information à la concurrence, on préfère cacher ces postes et ne pas les déclarer comme des postes d’Intelligence Economique. Si les pratiques sont claires, comme elles se doivent de l’être dans cette profession, pourquoi ne pas acter au grand jour que ce sont des postes en IE et contribuer ainsi à l’essor de la profession. Un autre constat parait intéressant, celui de voir que par crainte de l’amalgame souvent établi avec l’espionnage industriel et aussi par non intérêt du suivi de l’évolution des professions de l’information, certaines entreprises préfèrent laisser leurs employés pratiquer l’IE sans la nommer un peu comme Monsieur Jourdain et sa prose.

Les métiers du savoir faire… et du savoir être

Au vu de tous ces constats et de ces interrogations, il est essentiel de rappeler qu’avant de pratiquer un métier en voie de trouver une respectabilité, ceux et celles qui l’exercent sont avant tout des personnalités devant être dotées de certains savoirs-être indispensables. Ces savoirs-être associés à des expertises marchés et méthodologies, constituent à la fois la base du métier mais aussi tout son intérêt et son dynamisme lorsque l’on est muni de ces qualités. Il s’agit en effet avant tout d’un état d’esprit, esprit curieux, en alerte sur toute information qui reliée ou non à une autre information pourra donner du sens critique et être transformée en action fiable et éthique. Par ailleurs, la discrétion et de la confidentialité sont essentielles dans ces métiers, sans pour autant se sentir investi d’une mission top secrète, comme aiment à le faire croire certains professionnels. Rappelons que c’est la nature et la finalité de la mission qui sont la plupart du temps confidentielles, pas le fonctionnement, ni la démarche qui se doivent d’être claires et éclairés dans un but de déontologie de la profession.
On reproche bien souvent à ce milieu d’organiser des conférences qui disent et traitent des mêmes sujets, exposant les mêmes méthodologies sous couvert de confidentialité. Or la mise à jour de ces savoirs-faire spécifiques lorsqu’elle est éthique n’a rien à cacher, bien au contraire, elle a tout à y gagner en s’exposant aux critiques et aux débats, c’est un gage d’amélioration des méthodes de la profession et de la visibilité de nos métiers d’IE.

* Catherine FAUCHOUX est diplômée 2005 du Master spécialisé en Intelligence Économique ; Chargée d’Etudes dans un cabinet de conseil international

[1] HRIE : Haut Responsable à l’Intelligence Économique
[2] ACFCI : Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie
Site Web du HRIE : http://www.intelligence-economique.gouv.fr
Lien Web Article du Journal du Net : http://www.journaldunet.com/economie/enquete/metiers-intelligence-economique/index.shtml