L’IE en quête d’un code déontologique

Ceux qui ont déjà entendu parler de l’Intelligence Economique (IE) ont parfois été confrontés à une image sombre : il n’est qu’à citer des affaires connues ou moins connues, l’affaire Clearstream, la campagne de désinformation ESSEC/HEC [1] ou encore l’histoire du laboratoire français Théa victime pendant plusieurs mois d’une opération de déstabilisation envers l’un de ses produits phares [2].


Or à toutes ces affaires, des cabinets d’IE étaient mêlés. Est-ce à dire que la frontière entre l’éthique des affaires et l’illégalité est parfois mouvante, que les missions évoluent sans que les cabinets puissent qualifier la bonne éthique de leurs actions sur le dossier en cours ?

Face à ces faits, certes ponctuels et que l’on souhaite anecdotiques, il est nécessaire non seulement d’avoir un code déontologique de la profession, mais également d’obtenir pour lesdites entreprises en exercice un label de certification qui permettrait d’encadrer les actions dans une orientation d’éthique des affaires.
A ce jour, il n’existe pas de code déontologique ratifié par les Pouvoirs publics et les acteurs privés. Sur le site internet de la HRIE [3] sont publiés « les 10 commandements de l’IE », en quelque sorte des conseils avertis pour se tremper dans le bain de l’IE sans faire trop de mousse. Cependant quelques récentes communications vont dans la direction de l’élaboration d’un code déontologique. Pas plus tard que le 26 mars dernier lors de son Assemblée Générale, la FEPIE[4] a inscrit dans son plan d’action une réflexion autour de la « mise en place d’une certification afin d’asseoir la légitimité de compétence de ses membres vers les donneurs d'ordre et l’administration. ». La Fédération émet également la volonté d’être le vecteur de la labellisation des professionnels de l’IE.
Par ailleurs, lors d’un colloque organisé par l’ESCE [5] en novembre 2006, Michel Joras [6] a brillamment exposé sa lecture croisée de l’intelligence économique et de l’éthique des affaires en développant le concept d’intelligence éthique. L’intelligence éthique aurait pour mission de gérer toutes les phases du cycle de l’information blanche [7], mais aussi d’exercer une vigilance dans la détection des informations grises, dont l’apparition et l’usage pourraient poser problème. L’information noire étant écartée.

Cette approche pourrait amorcer la réflexion sur la constitution d’un code déontologique, envisager de faire le tri entre les bonnes pratiques et les autres, voire d’y associer un guide d’évaluation « éthique » de chaque mission qui permettrait au cabinet d’IE de savoir sur quel terrain il s’engage.
Ce cadrage assoirait une bonne fois pour toute la légitimité des métiers de l’IE, mais permettrait également aux clients d’avoir une vision claire de ce qu’ils sont en mesure de demander, et d’attendre en terme de résultats. De facto, le distinguo entre l’IE et certaines professions qui gravitent autour d’elle serait effectif, chacun sachant sur quel terrain il s’aventure.

 

* Catherine FAUCHOUX est diplômée 2005 du Master spécialisé en Intelligence Économique ; Chargée d’Etudes dans un cabinet de conseil international

 

[1] Affaire ESSEC/HEC : En 2000, HEC aurait missionné un cabinet d’Intelligence Économique pour mener une opération de dénigrement et d'influence dans le but de contrer la menace que représentait l'ESSEC. Cette affaire a été mise au grand jour dans le livre d’Ali Laidi Les secrets de la guerre économique.
[2] Théa est un laboratoire français qui conçoit et commercialise des produits d’ophtalmologie. Le laboratoire est le leader sur le produit « Abak », procédé qui permet grâce à l’utilisation d’un nouveau filtre, de préserver la qualité du collyre sans l’emploi de conservateurs pour une meilleure efficacité médicale. Depuis fin 2005, le laboratoire faisait l’objet de rumeurs et de dénigrements de produits (faux rapports, faux témoignages). Ces actions étaient relayées principalement sur le media Internet, par un cabinet d’Intelligence d’Economique, dont le client était un concurrent étranger.
[3] HRIE : Haut Responsable à l’Intelligence Economique
[4]FEPIE : Fédération des Professionnels de l’IE [5]ESCE : Ecole Supérieure du Commerce Extérieur [6] Michel Joras : Professeur du groupe ESCE, Chaire d’études et de recherches en éthique des affaires [7] Informations blanche, grise ou noire : En IE, on catégorise l’information en trois types en fonction de sa source (informelle, formelle), de son degré de son fiabilité et par conséquent de criticité.
Ainsi, l’information blanche est formelle et utile, elle s’obtient généralement dans des sources ouvertes (Internet, bases de données).
L’information grise est informelle et critique. C’est une information licitement accessible, mais caractérisée par des difficultés dans la connaissance de son existence ou de son accès (par exemple, l’information obtenue au sein des réseaux professionnels).
L’information noire est une information à diffusion restreinte et dont l’accès ou l’usage est exclusivement protégé. Cette information relève des prérogatives d’un Etat, en fonction de sa politique à ce sujet.