Pologne : à l’assaut des sacs en plastique!

Lancée par la ville de Lodz, une vague «anti sacs en plastique» balaye la Pologne depuis plusieurs mois. Un comité citoyen, fondé par un conseiller de Lodz et auquel ont adhéré de nombreuses collectivités, souhaite interdire la distribution gratuite de sacs jetables non biodégradables, et s’efforce de sensibiliser la population à cette problématique. Le Comité n’a pas réussi à présenter son projet au Parlement, mais le ministère de l’Environnement s’est récemment saisi de la question. 


www.foliowki.pl En octobre 2007, les conseillers municipaux de la ville de Lodz (au centre du pays) votent une résolution interdisant la distribution gratuite, dans les magasins de la ville, des sacs de caisse à usage unique. C’est une première en Pologne. Un mois plus tard, cette résolution est néanmoins annulée par le voïvode (préfet régional), au motif qu’elle entrave la libre activité économique, laquelle est garantie par la Constitution nationale. Le voïvode rappelle alors qu’une telle décision doit faire l’objet d’une loi, et non d’une simple résolution. Lodz ne pourra donc interdire la distribution gratuite des sacs jetables; et Poznan, Zabrze ou Tychy, qui y songeaient aussi, préfèrent s’abstenir.

Le combat de K. Piatkowski

Un conseiller d’obédience PiS[1] de Lodz, Krzysztof Piatkowski, décide alors de déposer un projet de loi au Parlement. Plus précisément, K.Piatkowski souhaite introduire dans la loi du 11 mai 2001 «sur les emballages et les déchets d’emballages», l’interdiction, pour les unités de commerce de détail et d’activité de service, de mettre gratuitement à disposition des clients des emballages commerciaux non biodégradables. Il ne s’agit pas d’éliminer totalement ces sacs, mais de les soumettre à la vente. Selon le projet proposé, un commerçant contrevenant à la règle s’expose à une amende de 5.000 zlotys (environ 1.200 euros). Des exceptions seraient à envisager pour certaines catégories de produits (viande, poisson, légumes), qui seraient listées par le ministère de l’Environnement.
Dans l’esprit de K.Piatkowski, interdire la distribution gratuite de sacs de caisse dans les commerces incitera les consommateurs à investir dans des sacs durables et réutilisables. Le conseiller souhaite faire grandir la conscience écologique de ses concitoyens, et leur faire perdre leurs mauvaises habitudes quotidiennes: «Nous souhaitons en finir avec la distribution massive et irrationnelle de sacs qui servent à transporter les denrées, et non pas à les emballer», déclare-t-il en avril 2008. K.Piatkowski déclare agir pour la construction d’une société citoyenne responsable.
Pour que le Parlement examine son projet, celui-ci doit néanmoins être vérifié et approuvé par le maréchal de la Diète, puis récolter au moins 100.000 signatures de citoyens. Fin mars 2008, le maréchal annonce aux sympathisants du projet qu’un délai de trois mois sera nécessaire pour réaliser cette tâche.

Entre temps, en février, K.Piatkowski a fondé, avec d’autres conseillers de Lodz, de Varsovie, mais aussi d’autres collectivités telles que Gdansk, Bydgoszcz ou Zabrze, un Comité citoyen d’initiative constituante (Obywatelski Komitet Inicjatywy Ustawodawczej, OKIU)[2]. Le Comité est conçu spécialement pour soutenir le projet de modernisation de la loi de 2001, mais également pour défendre une action de sensibilisation nationale –sous le slogan «Ne prends pas de sacs en plastique en magasin»- à destination des consommateurs.

Des journées sans sacs en plastique

L’idée de réduire l’utilisation des sacs en plastique est certes soutenue par le ministère de l’Environnement, qui déclare préparer sa propre loi. Mais, début avril 2008, rien de concret n’a encore été proposé.
La mobilisation citoyenne, elle, a commencé depuis plusieurs semaines. Une nouvelle fois, Lodz sert de modèle. Fin janvier, la ville organise une première «Journée sans sacs en plastique». Plusieurs chaînes de distribution de la ville, telles que Real, Carrefour, Tesco ou encore Leclerc, s’y rallient, offrant pour l’occasion des sacs fabriqués à partir de matières écologiques, ou incitant les consommateurs à renoncer aux sacs habituels. De nombreux petits magasins et marchés de la ville participent aussi à l’opération. A l’image de Lodz, plusieurs collectivités -Tychy, Zabrze, Bialystok, Torun, Gdansk, Varsovie- ont prévu la même action. Dans la capitale par exemple, 4.000 sacs en papier ou en toile sont mis à disposition des citoyens dans plusieurs points de la ville.
Fin mars, le comité OKIU lance sa collecte de signatures. K.Piatkowski se dit alors confiant: seize villes se sont déjà laissé gagner par l’initiative. Mais si, fin mai, le projet citoyen a déjà reçu plus de 23.000 signatures, il ne lui reste plus qu’un mois pour collecter le reste. Le quotidien Dzienniklance l’action «Stop aux sacs en plastique», et appelle à souscrire à la pétition de OKIU.

Le 5 juin, par ailleurs Journée mondiale de l’environnement, est l’occasion d’organiser une mobilisation nationale sans sacs en plastique. Dans une cinquantaine de villes, des volontaires arpentent les rues au nom du Comité pour obtenir des signatures. A Lodz, on distribue gratuitement plusieurs milliers de sacs réutilisables avec le slogan de la campagne. Au total, il est prévu d’en distribuer 100.000 dans les semaines qui suivent, afin, déclare K.Piatkowski, qu’ils soient présents «dans chaque famille de Lodz». Une nouvelle fois, les chaînes de supermarché soutiennent l’action, dont les magasins Carrefour, dans lesquels on peut signer la pétition.
En outre, durant toute la journée du 5 juin, un bus municipal entièrement rempli d’environ 250.000 sacs en plastique sillonne les rues, rappelant aux citoyens que ces sacs qui envahissent leur quotidien mettent plus de 400 ans à disparaître. D’après les estimations, trois bus entiers pourraient être remplis avec ce qui sort chaque jour des magasins de Lodz. Chaque année, les Polonais utilisent en moyenne 7 à 10 milliards de sacs en plastique jetables, ce qui représente 5.000 tonnes de déchets. Rien qu’à Varsovie, on en utilise environ 1,8 million quotidiennement, ce qui produit 10 tonnes de déchets.

Mi-juin, K.Piatkowski inaugure un musée des sacs en plastique dans la magistrature de Lodz, «en guise de souvenir et d’avertissement» pour les générations futures. Plusieurs habitants de la ville ont fait don d’un sac, auquel est attachée une histoire originale: l’un a transporté un pot de kéfir et du pain, l’autre de la monnaie, tel autre des poissons d’aquarium ou le goûter d’un écolier. Celui-ci a accompagné un homme durant son voyage Lodz-Berlin, celui-là a été jeté dans la rue «dans un accès de nervosité», ou s’est pris dans une roue de cyclo-pousse[3], provoquant un accident. Celui-là a été accroché à une fenêtre pour faire fuir les pigeons, celui-ci est le dernier exemplaire distribué par un magasin alimentaire n’offrant désormais que des sacs en papier. Celui-là, enfin, a été envoyé au Conseil municipal de Lodz par des opposants à l’action du Comité…

Le ministère prend les sacs en main

Malgré son activisme, le Comité ne parvient pas, fin juin, à présenter 100.000 signatures conformes. Plus de 10.000 manquent encore à l’appel. En août cependant, le ministère de l’Environnement propose son propre projet de loi, dont l’objectif rejoint celui d’OKIU (limiter la diffusion des sacs jetables et promouvoir les sacs réutilisables), mais qui s’avère plus restrictif: il prévoit de faire payer désormais 20 groszy (5 centimes d’euro) pour obtenir un sac en plastique dans tout réseau de distribution, que ce sac soit biodégradable ou non. La somme sera reversée au titre d’une taxe de recyclage, pour financer des actions de sensibilisation écologique ainsi que le système de tri sélectif des déchets[4]. Si le distributeur refuse de faire payer les sacs, il devra lui-même s’acquitter de la taxe.

La mesure, inspirée du modèle irlandais[5], plaît globalement aux écologistes, encore que certains se montrent sceptiques quant à son effet sur la prise de conscience. D’après un représentant de la société PSR (Système de recyclage polonais), taxer les sacs en plastique ne donnera pas l’impression aux citoyens d’agir en faveur de l’environnement, car s’il s’avère plus rentable pour eux d’investir dans un sac écologique; ils utiliseront ce dernier davantage par souci d’économie que par conscience environnementale. Il faudrait donc avant tout éduquer la société, pour qu’elle renonce d’elle-même à utiliser les sacs de caisse. En outre, certains considèrent que d’autres questions sont plus urgentes à traiter, comme l’efficacité du tri sélectif, le traitement des déchets, la propreté des eaux ou encore les économies d’énergie.

Réaction contrastée des distributeurs

Plusieurs chaînes de distribution –notamment les groupes Auchan et Tesco- ont déclaré qu’elles refuseraient de faire payer les sacs, quitte à payer la taxe elles-mêmes. Selon un représentant de Tesco Polska, la nouvelle loi n’orientera pas davantage les clients vers les sacs réutilisables que propose déjà la chaîne britannique, et qui ont d’ailleurs de plus en plus de succès: entre novembre 2007 et septembre 2008 il s’en est vendu presque 3 millions. Faire payer les sacs en plastique n’aurait qu’un effet négatif pour l’image de la chaîne. La popularité des sacs réutilisables semble également se vérifier dans les magasins Leroy Merlin, qui comptent bien poursuivre leur distribution de sacs plastique sans imposer de taxe aux clients.

Cela dit, plusieurs chaînes ont déjà cessé la distribution gratuite de sacs dans leurs magasins (ce qui leur a permis d’économiser plusieurs millions de zlotys). C’est le cas d’Ikéa, de Carrefour, de Biedronka, de Leclerc, ou plus récemment du groupe Intermarché. Ces chaînes s’engagent en parallèle dans des actions écologiques: Ikéa investit dans la sauvegarde des forêts polonaises, Carrefour Polska a lancé, en partenariat avec le ministère de l’Environnement, une campagne de promotion des sacs écologiques intitulée «avec amour pour l’environnement», relayée à la télévision, à la radio, dans la presse et sur des panneaux d’affichage. Biedronka, quant à elle, investit dans la collecte de batteries ou de piles électriques.

Finalement, la loi risque de pénaliser en premier lieu les petits commerces ou les réseaux de distribution polonais (tels que l’enseigne Groszek). Ces petits distributeurs ne pourront se permettre de supporter la taxe eux-mêmes, et devront l’imposer à leurs clients. Ces derniers devront dès lors s’habituer, au quotidien, à se munir de leurs propres sacs.

Pas de trêve pour le comité de Lodz

Le projet de loi du ministère ne satisfait pas le comité de Lodz car, en taxant les sacs biodégradables, il risque d’entraîner une hausse de leur coût de production. En outre, il n’empêchera pas la diffusion gratuite des sacs dans certains points de vente. Le Comité citoyen d’initiative constituante reste donc mobilisé, et compte refaire une tentative pour déposer son projet. La collecte des signatures continue.

Malgré son échec, la mobilisation qui a lieu depuis quelques mois dans toute la Pologne manifeste tout de même une réelle prise de conscience écologique. De plus en plus de gens en ont assez des sacs en plastique, d’après un représentant de la fondation Nasza Ziemia (Notre terre). K.Piatkowski considère d’ailleurs que la situation a beaucoup évolué: «Aujourd’hui, pour être à la mode en Pologne, il faut n’utiliser que des sacs en toile. Il est totalement démodé d’utiliser des sacs en plastique. J’ai noté ce changement non seulement dans les rues, mais aussi dans les feuilletons télévisés». D’après lui, son action a déjà contribué à modifier l’opinion envers les sacs en plastique. Mais il veut aller jusqu’au bout: «Ma principale motivation est de nettoyer le paysage polonais des sacs plastique usés. Avant que je ne m’engage dans d’autres domaines environnementaux, je veux achever ce projet avec succès», déclare-t-il.

[1] Parti de droite «Droit et Justice».
[2] Voir le site du comité, www.foliowki.pl.
[3] Les cyclo-pousse sont une particularité de Lodz, sillonnant la rue Piotrkowska, artère principale de la ville.
[4] Selon les directives communautaires, la Pologne doit avoir réduit de 20% d’ici 2010 (par rapport aux années 1990) sa quantité de déchets municipaux.
[5] L’Irlande est le premier pays d’Europe à avoir introduit l’obligation de vendre les sacs en plastique. Ils sont vendus en moyenne 15 cents.

Sources : biznes.interia.pl, dziennik.pl, foliowki.pl, lodz.naszemiasto.pl, miasta.gazeta.pl, portalspozywczy.pl, rp.pl, wprost.pl

Illustrations extraites du site www.foliowki.pl