Une vieille légende raconte que, parfois, on peut entendre la voix du fleuve Daugava qui pose toujours la même question : « Riga est-elle achevée ? » Les gens avisés savent qu'il faut alors répondre : « Non, elle n'est pas encore achevée ! ». La légende affirme en effet que, si quelqu'un répondait un jour par l'affirmative, Riga s'effondrerait tout entière dans les flots de la Daugava.
Depuis des siècles, Riga occupe une place importante dans la région de la mer Baltique, à la fois comme port de commerce, centre financier et lieu de culture. Bénéficiant d'une situation géographique qui fait d'elle un point de rencontre entre Est et Ouest, Riga écrit son histoire depuis plus de 800 ans déjà, et son parcours est parsemé d'événements dramatiques, qui sont désormais inscrits dans les légendes, les chansons et les monuments. Si l'histoire, en effet, n'a pas épargné Riga, elle lui a aussi permis d'acquérir une grande expérience, que le peuple letton revendique avec fierté : au fil des nombreuses guerres, famines, occupations et autres catastrophes qu'elle a dû subir, elle a toujours su se relever. Le plus récent de ces grands événements, porteur d'espoirs insensés, se situe en 1991, lorsque les Lettons manifestèrent et érigèrent des barricades contre une éventuelle agression soviétique : là encore, ce fut à Riga qu'ils se rassemblèrent.
Sous leur aspect actuel, le blason de la ville de Riga[1] et son drapeau blanc-bleu[2] qu'on trouve encore sur les bateaux du port sont nés au lendemain de la première indépendance. Les deux autres symboles du peuple letton et de son indépendance sont le monument à la Liberté, trônant au cœur de la ville et construit en 1935 par le célèbre sculpteur Kārlis Zāle, et le long fleuve de la Daugava, symbole de la destinée de la ville et, plus largement, de la Lettonie. La Daugava représente en quelque sorte l'aorte de Riga, sa voie commerciale, symbole de prospérité par les échanges et source d'énergie.
Riga, nombril de la Lettonie
Aujourd'hui, Riga est toujours le centre de la Lettonie, et dans tous les domaines. On pourrait peut-être même parler du centre des États baltes, du fait de sa situation géographique au bord de la mer Baltique et au centre de la région formée par les trois pays. Ville centralisatrice, amenant et ramenant tout à soi, un peu comme Paris en France, Riga est en quelque sorte le nombril de la Lettonie. Tout est concentré dans la capitale, à commencer par les habitants eux-mêmes. La ville compte 650 000 habitants et son agglomération plus d'un million, ce qui représente la moitié de la population du pays. Mais Riga, tout comme Paris, est aussi une ville aux cultures multiples. Les langues, les religions et les identités (lettone, russe, polonaise, protestante, vieille-croyante, juive...) s'y côtoient, s'y recoupent et s'y démultiplient.
Comme Paris encore, Riga est appréhendée par les Lettons comme la « tête unique » du pays, ce qu'elle est réellement dans les faits : ainsi, la capitale lettone accueille environ 80 % des étudiants du pays et presque 35 % des lycéens et des collégiens. Un tiers de toutes les activités culturelles et sociales (les chorales, les ateliers de peinture, les orchestres, etc.) y est concentré. Quasiment toutes les salles de théâtre et de concert, l'Opéra et une grande partie des musées sont à Riga. Les films étrangers sont d'abord projetés à Riga avant de pouvoir être vus en province. Une province pauvre en offres d'emploi, quand Riga attire à elle la plus grande part des d'activités économiques du pays.
Pourquoi Riga, toujours Riga, encore Riga ? Pourquoi les jeunes de la campagne ne rêvent-ils que de partir de chez eux pour étudier à Riga ? Pourquoi cherche-t-on à s'installer dans la capitale plutôt que de rester dans les petites villes ou à la campagne ? Pourquoi les finances coulent-elles par les veines de Riga plus que partout ailleurs dans le pays ? Pourquoi l'environnement culturel s'ancre-t-il mieux sur les pierres de la capitale que dans les prés de la province ?
L'une des possibles explications réside dans le développement régional : la Lettonie a grand besoin de modernisation, ses infrastructures doivent être rénovées, voire créées là où elles n'existent pas encore. En particulier, le pays manque d'un maillage routier et ferroviaire de qualité, ainsi que d'un réseau de transports en commun plus dense (mon rêve naïf serait de transposer le réseau RATP/SNCF de l'Ile de France à Riga et dans ses environs !). Le développement des infrastructures de transports, pour basique qu'il puisse paraître, n'en nécessite par moins des investissements lourds et durables qui laissent peu d'espoir de voir se créer dès demain une véritable mobilité des Lettons sur leur territoire. L'équilibre de la répartition de la population lettone sur son territoire risque donc d'attendre encore un peu!
Riga, ville esthétique
On pourrait raconter beaucoup sur ses joyaux architecturaux, ses rues, qui portent des noms intéressants et même intrigants, ses parcs et ses jardins. L'image de Riga a changé à travers les siècles et, aujourd'hui, en se promenant à travers ses rues, on peut traverser quasiment toutes les époques: l'ensemble des « Trois Frères », construit aux 15ème, 17ème et 18ème siècles et restitué dans les années 1950, en est un bon exemple. Dans la vieille ville, on remarque également quelques immeubles datant du Moyen Âge. Aux 16ème et 17ème siècles, l'architecture de Riga a été inspirée par des Hollandais (la Maison des Têtes Noires), des Suédois (la fameuse Porte suédoise) et, au début du 20ème siècles, par l'Art Nouveau (le quartier de la rue Alberta), le romantisme national (tentative de développement d'une architecture lettone) et le néoclassicisme. De nombreuses églises pointent leur clocher dans la vieille Riga (Cathédrale, église Saint-Pierre, église Saint-Jacques et beaucoup d'autres).
Place de l'Hôtel de Ville de Riga, église Saint Pierre et Maison des Têtes noires (© Céline Bayou, 2006)
L'urbanisme moderne à la soviétique contraste avec la richesse de cette architecture. Des quartiers entiers (Jugla, Ķengarags, Imanta, Purvciems, Zolitūde et autres) sont apparus, « cités-dortoirs » composées d'immeubles rectangulaires semblables les uns aux autres. Préalablement, nombre de grands et beaux appartements du centre-ville, construits au 19ème et au début du 20ème siècles, avaient été transformés en appartements communautaires. Cette période a beaucoup nui à l'image du « petit Paris » d'antan, le centre de Riga devenant chaque jour plus griseet mal entretenu.
Toutefois, Riga est restée une ville très boisée. Sur presque 20 % de son territoire s'étendent des parcs et des jardins, tandis que 16 % de sa superficie est occupée par les eaux (le fleuve, les canaux, les lacs). Le jardin de Vermane (Vermanes darzs), aménagé en 1817, est célèbre pour avoir été offert à Riga par une habitante de la ville, Mme Vermane. Il convient de mentionner également le « Parc du bois », Mežaparks : ce territoire boisé a été aménagé à partir de 1902, avec la construction de maisons privées. Cette « ville des jardins » était alors unique en Europe. Aujourd'hui, ce parc est connu surtout pour le fameux festival du chant (Dziesmu svētki), tradition forte qui, tous les quatre ans, rassemble plus de 20 000 chanteurs sur la grande estrade de Mežaparks.
Depuis la restauration de l'indépendance en 1991, l'image de la ville est en perpétuelle métamorphose. Les rues offrent un paysage varié, fait d'un mélange de maisons de bois et de maisons de pierre, alliant style d'hier avec celui de demain. On ressent en effet dans l'évolution de l'architecture de Riga la tentative de concilier la préservation de l'héritage d'antan et la construction de formes nouvelles. Certains chefs-d'œuvre architecturaux, comme la Maison des Têtes Noires ou la Mairie, ont été reconstruits à partir de rien. Depuis 1997, le centre historique de Riga est inscrit par l'Unesco sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité, à la fois pour ses magnifiques immeubles Art Nouveau et pour son architecture séculaire, qui a vu préservées ses fameuses maisons de bois, qui sont de nos jours une rareté.
Riga, ville poétique
Depuis des siècles, les murs de Riga ont abrité de nombreuses personnalités, à commencer par l'évêque Albert de Buxhoevden, qui fut le fondateur de la ville. Le philosophe allemand J. G. Herder a enseigné à Riga, le compositeur Richard Wagner y a habité quelques années, le violoniste H. Marteau y est souvent venu dans les années 1930, confiant son profond attachement à cette ville...
Nombreux sont les Lettons qui ont également exprimé leur admiration pour cette capitale: des peintres ont pris Riga pour sujet, des romanciers lui ont consacré leurs œuvres, des poètes l'ont prise comme muse… C'est le cas, notamment, des poètes et écrivains du 20ème siècle A. Čaks, O. Vācietis et E. Ādamsons (ce dernier se sentait par ailleurs très proche de la culture française: il avait coutume de dire que, s'il n'avait pas habité Riga, sa place aurait été à Paris !).
Certaines dainas, ces petits poèmes de quatre lignes qui font la richesse de la culture lettone, sont consacrés à Riga :
«Sen to Rīgu daudzināja, (Depuis longtemps on glorifie Riga),
Nu to Rīgu ieraudzīju : (Enfin je l'ai vue),
Visapkārt smilšu kalni, (Tout autour des collines de sable),
Pati Rīga udenī.» (Riga, même dans l'eau.)
Dans les années 1920-1930, Riga était parfois qualifiée de « petit Paris ». Sans doute à cause de la richesse de son architecture, des nombreux petits cafés et restaurants de cette ville prospère, des parcs, des promenades et de la Daugava qui coule entre les quais de Riga, comme la Seine à Paris. On raconte même que des cinéastes russes venaient parfois filmer les ruelles de Riga pour figurer une action censée se dérouler à Paris ! Peut-être aussi l'ambiance de la ville rappelait-elle alors d'une certaine manière celle de « l'art de vivre » parisien… À chacun sa version !
Aujourd'hui tout cela ne semble plus être que légende : l'air de Riga n'est plus le même que celui de Paris et c'est dans la capitale française que se trouvent les petits « cafés du coin ». L'image de Riga est autre, c'est celle d'une ville du Nord, au caractère réservé, qui devient pourtant tellement estivale dès le premier souffle de vent de printanier !
Une ville changeante.
Une ville de contrastes.
Riga suit son éternelle évolution, et se préserve ainsi des flots de la Daugava.
Notes :
[1] Sur un champ argenté se dresse un mur de briques rouges orné de deux tours et doté d'une porte ouverte à travers laquelle on voit une tête de lion dorée. Au-dessus de la porte, deux clés noires se croisent, surmontées d'une croix et d'une couronne d'or. Ce sont les symboles de l'indépendance, de la force, de la protection papale et de la tutelle épiscopale.
[2] Depuis la période de la Ligue hanséatique, c'est l'eau, fluviale par la Daugava et marine par la Baltique, qui a apporté la prospérité à la ville, ce que symbolisent les couleurs de son drapeau
Vignette : détail de la façade de l'hôtel Neiburgs à Riga (© Céline Bayou, 2006).
* Laura STOKMANE est chargée des affaires culturelles à l’ambassade de Lettonie à Paris.
Cet article a fait l’objet d’une première publication sur le site de Regard sur l’Est le 1er avril 2004.
Consultez les articles du dossier :
- Dossier #65: «Riga, une capitale»
Riga a été choisie comme Capitale européenne de la culture pour l'année 2014. Joli prétexte dont Regard sur l'Est se saisit pour esquisser un portrait de cette ville complexe et aux multiples…