Une inconnue: l’Église gréco-catholique ukrainienne

Interview du père Michel Romaniuk, recteur de la paroisse gréco-catholique ukrainienne Saint-Vladimir à Paris.


Petite histoire

En Ukraine, environ cinq millions de chrétiens se réclament du catholicisme. Ils sont géographiquement implantés dans les régions les plus occidentales de l'Ukraine; les parties centrale et orientale du pays étant majoritairement orthodoxes. Ils relèvent presque tous de l'Église gréco-catholique, dite uniate, une institution particulière qui, tout en dépendant de l'Église romaine, conserve des traits communs avec les orthodoxes tels que l'utilisation de la liturgie byzantine et la possibilité aux hommes mariés de devenir prêtres.

L'Ukraine, à la suite d'accords avec Byzance, adopta officiellement le christianisme en 988 et fut évangélisée par des missionnaires orthodoxes. Son clergé dépendait intégralement du patriarcat de Constantinople. Aux XIIe-XIIIe siècles, les territoires occidentaux de l'Ukraine actuelle furent annexé par le royaume polono-lituanien de religion catholique. C'est dans ce contexte que la hiérarchie ecclésiastique ukrainienne décida dans sa majorité de s'unir avec Rome et que fut signé en 1596 l'accord de Brest-Litovsk instituant l'Église gréco-catholique et ses particularités. Les Ukrainiens des régions occidentales furent particulièrement nombreux à se convertir au catholicisme en raison de la position géographique privilégiée de la région, plus proche du reste de l'Europe.

A partir du XVIIIème, les autorités tsaristes eurent une attitude hostile envers les uniates et l'Église gréco-catholique sur le territoire qu'ils administraient. L'Eglise fut formellement interdite au XIXe siècle. A l'opposé, les uniates qui vivaient au sein de l'Empire austro-hongrois, puis, après la Première Guerre mondiale, en Pologne, ne furent pas inquiétés.

En 1946, après l'intégration de l'Ukraine occidentale à l'URSS, l'Église gréco-catholique fut officiellement abolie à la suite d'un pseudo-concile manipulé par le pouvoir communiste et ses fidèles rattachés de force à l'Église orthodoxe russe. Un millier de prêtres qui refusèrent de se convertir furent internés ou exécutés et les églises catholiques furent affectées au culte orthodoxe. C'est clandestinement que l'Église dut continuer à vivre. Des membres du clergé administraient les sacrements secrètement, tandis que des messes étaient célébraient dans les bois ou dans des demeures privées. Le Vatican ne cessa pas de combattre en faveur des uniates. En 1963, à la demande du pape Jean XXIII, Mgr Slipy, le chef de l'Église gréco-catholique, fut expulsé à Rome, après dix-sept ans de détention. C'est en exil qu'il dirigea l'Église et continua son œuvre parmi les communautés de l'émigration.

En 1988, l'Église gréco-catholique mit à profit la relative démocratisation de l'ère Gorbatchev pour revendiquer publiquement sa légalisation. C'est en 1990 qu'elle obtint gain de cause après deux ans de combat et l'indépendance de l'Ukraine l'année suivante ne put que renforcer son droit à l'existence. L'Église gréco-catholique ukrainienne est actuellement dirigée par le cardinal Loubatchivsky, ses fidèles sont fervents et témoignent d'une grande fidélité envers le Saint-Siège. L'Ukraine abrite un haut lieu de pèlerinage, Zarvanytsia, voué à la Vierge Marie. En cette année de jubilé 2000, des centaines de milliers de chrétiens venus de toute l'Europe s'y sont rassemblés.

F.D.

Quel a été l'apport de l'Union avec Rome pour l'Église et l'Ukraine occidentale?

Père Romaniuk: Cette union a eu une grande importance pour la population de l'Ukraine. Pendant que l'Ukraine était une province du royaume polono-lituanien, elle a permis à l'Église de renaître et de s'ouvrir au-delà de la Pologne, à l'Europe entière. Avant l'Union de Brest-Litovsk, les prêtres ukrainiens, contrairement aux prêtres polonais, n'avaient pas la possibilité de faire des études, l'Église ukrainienne et le peuple ukrainien ne vivaient pas dans une situation enviable. La noblesse ukrainienne, fortement polonisée, s'exprimait et étudiait en polonais. Le clergé ukrainien s'est adressé à Rome, espérant recevoir une aide. […]. A l'époque moderne, l'aide de Rome n'a pas décru. Quand l'Église gréco-catholique était interdite en URSS, Rome a tout fait pour qu'elle survive à l'étranger. Elle lui a attribué des locaux et la vie religieuse a continué. Des commissions ont été créées pour traduire la liturgie et les textes sacrés en ukrainien et des prêtres étaient formés dans des séminaires. Comme, juste après la légalisation, il y avait trop peu de séminaires catholiques en Ukraine, un grand nombre de jeunes aspirants à la prêtrise ont fait leurs études à l'étranger et ont été envoyés dans la ville de Rome ou dans d'autres villes qui abritent des séminaires gréco-catholiques. Moi-même ai fait mes études en République tchèque. Comme l'Ukraine n'a pas assez de moyens pour payer les études de ces étudiants, Rome contribue à leur formation. On trouve en Ukraine trois séminaires et un institut de théologie ouvert tout récemment.

Quel rôle a joué l'Église gréco-catholique lors de l'indépendance de l'Ukraine?

L'Église gréco-catholique suivait de près la situation dans son pays et a toujours protégé les droits des Ukrainiens. Nous ne pouvions pas soutenir le régime soviétique, qui déportait les prêtres et les moines dans des camps parce qu'ils s'opposaient à la politique communiste de l'époque. Avant l'indépendance et également après, les gens voyaient en l'Église gréco-catholique ukrainienne la véritable Église du peuple.

Les Ukrainiens gréco-catholiques sont-ils profondément religieux ou est-ce que la religion est plutôt un élément pour se forger une identité nationale? Qu'en est-il de la pratique religieuse?

Il y a beaucoup de personnes très croyantes et pratiquantes. Il y a énormément de fidèles qui viennent à l'église prier Dieu et pas seulement pour montrer qu'ils sont ukrainiens et attachés à leur Église. Quand on a rendu à l'Église gréco-catholique la liberté d'exercer, il n'y avait pas de lieu où célébrer la messe, les prêtres la célébraient dehors avec les fidèles tous les dimanches, pendant près d'une heure et demie, et ceci quel que soit le temps, sous la pluie, sous la neige, même par -20°C! Bien sûr, on trouve aussi des gens qui se disent catholiques mais qui ne pratiquent quasiment pas.

L'étude du catéchisme est largement répandue. Avant la légalisation, c'étaient les parents qui s'en occupaient. Maintenant, des cours sont donnés à l'école. On a créé une commission du catéchisme pour former des enseignants, les instituts théologiques concourent également à la formation de cadres, celle-ci dure quatre ans. On vend énormément de livres religieux. En été beaucoup de jeunes partent dans des camps où des religieux les encadrent pour les préparer aux sacrements, tels que la première communion.

La prêtrise suscite un grand nombre de vocations depuis la légalisation. La situation est à l'opposé de celle de la France. Il y a dix-huit ans, quand Mgr Hrynchyshyn, l'exarque actuel pour les Ukrainiens en France, a été nommé en France, il n'y avait aucune vocation. Des prêtres sont même appelés d'Ukraine pour combler ce manque.

Les chrétiens perçoivent-ils nettement la différence entre catholicisme et orthodoxie malgré la similitude des rites? Ne sont-ils pas tentés de considérer les deux Églises comme équivalentes?

L'Église gréco-catholique a ses propres traditions, son catéchisme, quoique la liturgie se déroule de la même façon. Nous avons des prières que les orthodoxes n'ont pas. Lors de la légalisation de l'Église uniate, les fidèles ont rétabli les prières supprimées en 1946 lors de la conversion forcée à l'orthodoxie. De plus, ils suivent toutes les directives de Rome. Une autre raison pour laquelle les gens voient la différence entre les deux Églises est que l'Église gréco-catholique est nettement présente dans la vie de tous les jours, depuis qu'elle existe, les religieux travaillent avec les gens et les enfants.

Est-ce que l'Église gréco-catholique autorise le mariage mixte?

L'Église catholique autorise les mariages entre catholiques et orthodoxes et même les unions entre catholiques et non-baptisés. Il arrive, quand un mariage mixte est en préparation, qu'on doive expliquer aux jeunes futurs mariés, la différence entre catholicisme et orthodoxie. On les invite ensuite à assister à des liturgies orthodoxes et à rencontrer un prêtre orthodoxe pour qu'ils établissent des comparaisons. Par sa liturgie byzantine et son attachement à Rome, l'Église gréco-catholique est parfaitement œcuménique.

Comment voyez-vous l'avenir de l'Église gréco-catholique ukrainienne?

Nous le voyons ouvert! Quand le pape a célébré à Rome le 400e anniversaire de l'Union de Brest-Litovsk. Il a dit que l'Église gréco-catholique doit rester comme elle est et doit montrer la voie de l'œcuménisme. Beaucoup de choses sont à mettre à son actif : des églises, des séminaires, un institut de théologie, des centres d'encadrement pour les jeunes, des œuvres pour personnes âgées, et elle ne cesse son travail.

Notre Église a longtemps été martyre, ceci ne peut que renforcer notre détermination à survivre et à progresser.

 

Par Frédéric DERBESSE