Le choix de Bakou pour accueillir la 29ème conférence des Parties sur le climat organisée par l’ONU en novembre 2024 était loin de faire consensus. Tant le faible engagement de l’Azerbaïdjan en matière de protection de l’environnement que le contexte géopolitique, notamment au regard de la relation avec l’Arménie voisine, ont suscité d’emblée un certain nombre de doutes. Comme prévu, la COP29 a été le terrain de tensions palpables.
Depuis la reprise de contrôle de l’ensemble du territoire du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan à l’automne 2023, les tensions régionales sont loin d’être apaisées et la signature d’un traité de paix entre Arménie et Azerbaïdjan se fait attendre. Dans de telles conditions, et alors que la richesse de l’Azerbaïdjan doit tout à la rente des hydrocarbures, que pouvait-on attendre de la COP29 qui s’est déroulée du 11 au 23 novembre 2024 à Bakou ?
L’ombre du Haut-Karabakh
L’arrêt officiel des hostilités au Haut-Karabakh en 2020, acté par l’accord de cessez-le-feu du 12 novembre 2020 qui a mis fin à la guerre des 44 jours, n’a pas, loin de là, mis un point final à cette guerre entamée plus de trente ans auparavant. Poursuivant son objectif de retour de l’intégrité territoriale du pays, l’Azerbaïdjan n’a pas hésité à couper du monde ce territoire enclavé et à exercer une forte pression sur les populations arméniennes du Karabakh. Après des mois de blocus, l’Azerbaïdjan a procédé à la « réunification » du Haut-Karabakh avec le reste du territoire à l’automne 2023, provoquant l’exode de la totalité de la population arménienne qui s’y trouvait.
Si le retour des populations arméniennes au Haut-Karabakh n’est pas à l’ordre du jour actuellement, l’Azerbaïdjan utilise en revanche une rhétorique agressive en faveur d’un retour des populations azerbaïdjanaises dans ce que le récit national tend à qualifier d’« Azerbaïdjan occidental »(1), suscitant une angoisse existentielle chez les Arméniens. Les déplacements de populations (arménienne vivant en Azerbaïdjan et azerbaïdjanaise vivant en Arménie) liés à la première guerre du Haut-Karabakh, outre les drames humains qu’ils ont provoqués, ont quasiment éliminé tout métissage entre ces peuples. Dès lors, toute exigence de « retour » de populations est vécue par l’autre partie comme une tentative de placer des jalons en vue de prendre ultérieurement possession d’un territoire. Dans un tel contexte, l’exigence avancée par Bakou de voir Erevan procéder à une modification de sa Constitution afin d’en éliminer toute évocation du Haut-Karabakh (et donc de se prémunir contre toute revendication possible à venir)(2) n’est pas sans inquiéter, alors que l’Arménie a procédé au cours des derniers mois à plusieurs concessions territoriales au profit de son voisin, sans aucune compensation ni retour.
Après la réintégration de l’enclave à l’Azerbaïdjan, le « gouvernement du Haut-Karabagh » (non reconnu par Erevan) a été démis de ses fonctions, avec la signature de sa dissolution au 1er janvier 2024. Quelques-uns de ses membres se sont rendus aux autorités azerbaïdjanaises de leur plein gré, tandis que d’autres ont été arrêtés. Au moment où la COP29 s’ouvrait à Bakou, Erevan réclamait la libération de 23 prisonniers politiques et militaires karabaghtsis, dont huit membres de ce gouvernement défait, incarcérés à Bakou depuis un an. L’Arménie a même un moment conditionné sa participation à la conférence à cette libération. En vain.
Conscient du déséquilibre des forces et souhaitant signer un accord de paix avec son voisin, Erevan cherche avant tout à apaiser les tensions et fait preuve d’une bonne volonté que certains Arméniens reprochent d’ailleurs parfois à leur Premier ministre, Nikol Pachinian. Or, celui-ci a préféré voir dans la COP29 une occasion d’avancer sur le texte de l’accord de paix qui doit permettre de délimiter clairement la frontière mais que le président azerbaïdjanais, lui ne semble pas pressé de signer, jugeant qu’il est incomplet et ne satisfait pas l’« intérêt national » du pays.
Finalement, à quelques jours de l’ouverture de la Conférence, l’Azerbaïdjan a décidé d’envoyer une invitation à l’Arménie. Cette dernière, insatisfaite de l’avancée des négociations de paix avec l'Azerbaïdjan, a préféré ne pas envoyer de délégation et s’est faite discrète sur la question du retour des populations arméniennes au Haut-Karabakh. Puisque la pression de l’événement international ne semblait pas avoir d’effet sur l’Azerbaïdjan, l’Arménie a donc changé de tactique et a cherché à établir des rapports informels et directs avec l’autre partie pour discuter de la libération des prisonniers du Haut-Karabakh. Depuis la fin de la Conférence, les prisonniers de guerre n’ont toujours pas été libérés, entraînant des mouvements de protestations devant le siège de l’ONU en Arménie, le 17 janvier 2025. Cette date a également marqué le début des procès des huit membres du gouvernement défait, incarcérés pour cause de « financement du terrorisme » et d’« entrée illégale » au Haut-Karabakh dans le cas de Ruben Vardanian, l’ancien ministre d’État du gouvernement arménien au Haut-Karabakh.
Depuis, les deux parties ont bien annoncé, en mars 2025, s’être entendues sur la signature à venir d’un accord de paix, mais aucun des deux protagonistes n’est passé à l’acte à ce stade.
Un moyen de légitimer l’Azerbaïdjan sur la scène internationale ?
Dans le cadre de l’organisation des COP, le pays hôte joue un rôle crucial dans l’orchestration de l’évènement. D’abord parce que le rôle de la présidence est, traditionnellement, celui d’un facilitateur pour les négociations. Cela signifie qu’il doit rester neutre, afin que les négociations fructifient et avancent vers un consensus. Le statut de pays hôte confère à ce dernier une forte légitimité en matière de lutte contre le réchauffement climatique, et contribue dans une certaine mesure à faire rayonner ce dernier sur la scène internationale.
Toutefois, lors de cette édition de la COP, la neutralité du pays hôte a d’emblée été contestée par les conflits d’intérêt que l'Azerbaïdjan ne parvient pas à dissimuler. En effet, les observateurs de la COP29 ont pu noter l’invitation adressée par Bakou à des responsables de grands groupes pétroliers. C’est ainsi qu’on a pu voir à cette occasion des délégations pétrolières plus fournies encore que celles des pays participants. Ainsi, seules les délégations de l’Azerbaïdjan, du Brésil (futur hôte de la COP30) et de la Turquie ont été plus importantes que celles des groupes pétroliers. On ne pouvait qu’espérer, avec un brin de scepticisme, que ces acteurs feraient preuve de bonne volonté et s’engageraient à contribuer à la réduction de l’empreinte carbone de leurs entreprises ainsi qu’à réduire le recours au pétrole, comme proposé à l’issue de la COP28 qui s’était déroulée en décembre 2023 aux Émirats arabes unis, un autre État pétrolier mais pionnier, lui aussi apparemment, dans la protection de l’environnement.
Par ailleurs, il est important de mentionner l’accord de siège, qui détaille les conditions d’organisation de la COP et garantit notamment le statut d’extraterritorialité du lieu des négociations. Il lie donc l’ONU avec le pays hôte et stipule d’accorder une protection à tous les journalistes et participants venus assister à la COP. Dès lors, le pays organisateur de la COP s’engage à assurer la protection des représentants de la société civile. Or, du fait du caractère peu démocratique du régime de Bakou, la protection des journalistes et des diverses ONG présents ne semblait pas assurée d’emblée. Au contraire, il semblait qu’elle pourrait être révoquée à tout moment, notamment si ceux-ci venaient à évoquer les « affaires internes de l’Azerbaïdjan »(3). De fait, deux cas se sont présentés lors de cette COP : certains journalistes et médias n’ont simplement pas été accrédités, tandis que d’autres se sont vus refuser l’entrée aux salles de négociations. Ainsi, le média azerbaïdjanais Meydan TV, qui s’intéresse aux affaires politiques de l’Azerbaïdjan (dont corruption, entorses aux droits humains…) n’a pas reçu son accréditation pour participer à la COP 29, sans aucune justification de la part des organisateurs.
Toutes ces questions ont été avancées par l’activiste environnementale suédoise Greta Thunberg, dans un éditorial publié dans le journal britannique The Guardian quelques jours avant l’ouverture de la COP29(4) qu’elle boycottait : elle a choisi de se rendre au même moment dans le Caucase du Sud afin de sensibiliser aux injustices faites aux populations, ainsi qu’aux enjeux pétro-gaziers de la région. Le jour de l’ouverture de la COP, l’activiste de se trouvait ainsi à Erevan, où elle a pu se rendre au Mémorial du génocide arménien de Tsitsernakaberd et réitérer son soutien à un peuple souffrant, selon ses mots, du « nettoyage ethnique » de la part de l’Azerbaïdjan(5). Elle a également dénoncé le greenwashing mené par le gouvernement azerbaïdjanais, pointant le projet de création d’une prétendue « Zone énergie verte » sur le territoire d’un Haut-Karabakh vidé de ses habitants arméniens et en proie à une vaste entreprise de destruction patrimoniale. Continuant son périple vers la Géorgie, elle a apporté son soutien aux manifestants dénonçant les élections législatives frauduleuses et l’ingérence russe qui a permis au Rêve géorgien d’accéder au pouvoir, menaçant de mettre fin au parcours pro-européen du pays. Pour finir, G. Thunberg s’est rendue au Kurdistan turc, suscitant les critiques de la société turque après qu’elle y ait dénoncé l’oppression systématique et systémique des populations kurdes par les moyens de « destruction et exploitation de la nature passant par les violences envers les kurdes »(6).
Au final, la Conférence de Bakou s’est à la fois inscrite dans la continuité des autres COP organisées par des États pétroliers à la recherche de légitimité sur la scène internationale dans un engagement faussement environnemental, tout en servant de tremplin à des revendications d’ordre politique et de droits humains.
Notes :
(1) « Predstavitel MID AR : Armenia seriozno narouchaiet mejdounarodnoie pravo » (Représentant du ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères : l’Arménie viole sérieusement le droit international), Caliber, 2 décembre 2024.
(2) Sahil Kərimli, « Azərbaycanla Ermənistan arasında COP29-a qədər sülh müqaviləsi imzalanacaq? », (Est-ce qu’un accord de paix sera signé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie avant la COP 29?), Oxu.az, 30 octobre 2024.
(3) Entretiens avec Lou Stührenberg et Ophélie Cuvillard, déléguées de l'association Jeunes Ambassadeurs pour le Climat, 10 novembre 2024. Plus d’informations sont disponibles sur le site d’Amnesty International.
(4) Greta Thunberg, « A ‘Cop of peace’? How can authoritarian, human rights-trashing Azerbaijan possibly host that? » The Guardian, 11 novembre 2024.
(5) « Գրետա Թունբերգը ժամանեց Հայաստան․ ով է նա և ինչու է քննադատում Ալիևին » (Greta Thunberg est arrivée en Arménie. Qui est-elle et pourquoi critique-t-elle Aliyev ?), Radio Free Europe, 13 novembre 2024.
(6) Nedim Şener, « İsveçli Greta’nın ‘Stockholm sendromu’ » (Le ‘Syndrome de Stockholm’ de la Suédoise Greta), 29 novembre 2024.
Vignette: Ouverture de la COP29 à Bakou,12 novembre 2024 (sources : site de la Présidence d’Azerbaïdjan).
* Nadia Golotchoglou est étudiante en Master 2 de Relations Internationales et de russe à l’INALCO. Elle s’est spécialisée sur la zone géographique de l’Europe centrale, orientale et des espaces post-soviétique au travers de ses études à l’University College London (UCL).
Pour citer cet article : Nadia GOLOTCHOGLOU (2025), « Azerbaïdjan : retour sur une COP29 très (géo)politique », Regard sur l'Est, 12 mai.