Par Stéphan Altasserre (sources : Albanian Daily News, Albanian Telegraphic Agency, Tirana Observer)
En juillet 2016, afin de purifier le système judiciaire albanais de toute forme de corruption et d’influence politique, l’Assemblée nationale a adopté une réforme judiciaire, accompagnée d’amendements à la Constitution. Cette série de lois a créé de nouvelles institutions judiciaires, dont un Conseil de la Justice composé de 9 membres et chargé de nommer les magistrats albanais.
Les États-Unis ont activement œuvré en faveur de cette réforme. L’ambassadeur américain Donald Lu en poste à Tirana a coopéré avec le Parquet général de la République d’Albanie dès 2015, afin de renforcer ses capacités d’enquête et l’indépendance des magistrats. Depuis quelques mois, les relations entre la représentation diplomatique et le procureur général Adriatik Lalla se sont détériorées, la première considérant que de nombreux magistrats albanais ne s’engagent pas suffisamment dans la lutte contre la corruption.
C’est dans ce contexte que, début janvier 2017, neuf noms ont été proposés au procureur général A.Lalla pour qu’il les valide et leur permette de constituer le Conseil de la Justice. Après étude des candidatures, celui-ci n’en a retenu que trois, estimant que les six autres ne répondaient pas aux critères fixés par l’Assemblée nationale. Cette décision a profondément irrité D.Lu. En réaction, une liste noire composée des noms de trente juges albanais aurait été constituée: les intéressés et leurs proches seraient jugés indésirables au pays de l’oncle Sam. L’épouse d’Adriatik Lalla qui devait se rendre aux États-Unis pour raisons médicales en aurait récemment fait l’amère expérience, puisqu’elle a vu son visa refusé.
A.Lalla a répliqué à ces mesures en avisant des faits la Présidence et l’Assemblée nationale albanaises. Dans le même temps, la porte-parole du Parquet général, Fjorida Ballauri, a affirmé devant la presse que D.Lu cherchait à manipuler l’opinion publique et qu’il avait déjà, par le passé, exercé des pressions sur A.Lalla. L’ambassadeur aurait notamment menacé le magistrat de représailles le visant personnellement pour obtenir l’arrêt de l’enquête sur Bankers Petroleum, une compagnie pétrolière accusée par les médias d’être à l’origine de dégâts environnementaux en Albanie. Le magistrat n’avait pas cédé, d’où les tensions persistantes entre les deux hommes depuis plusieurs mois. De plus, le procureur poursuit actuellement des enquêtes sur les élites albanaises au pouvoir, parmi lesquelles, selon la porte-parole, certaines seraient proches de l’ambassade américaine, ce qui serait également un des motifs expliquant les récentes attaques de D.Lu à l’égard d’A.Lalla.
La bataille de la communication entre la magistrature albanaise et Washington se poursuit, chacun arguant de la compromission et de la corruption supposée de son adversaire.