«Ce que j’ai vu au Kosovo» Témoignage d’un élu quant à la situation environnementale au Kosovo

Élu municipal en France, chargé de diverses questions environnementales entre 2001 et 2008, Michel Bourguet a eu l’occasion de se rendre à plusieurs reprises au Kosovo en 2003 et 2005, dans le cadre d’une petite ONG engagée dans l’aide aux municipalités. A ce titre, il y a fait quelques observations sur la situation du pays, dans divers domaines environnementaux. Certaines de ses remarques ont ensuite servi à élaborer des programmes d’action concernant la formation d’élus locaux.


paysage« Je voudrais ici résumer mes observations, en évoquant trois points : la gestion des eaux de surface, celle des déchets, et les questions énergétiques. Mes observations n’ont rien d’exhaustif, mais sont seulement le fruit de remarques au jour le jour, liées essentiellement à la région de Gjilan, à l’est du Kosovo, où j’étais basé. Il me semble par ailleurs important de préciser que la situation du Kosovo fait que trois questions s’y superposent, à savoir celle de la « sortie du socialisme », celle de la reconstruction d’un pays détruit par la guerre et celle d’une région qui vit, actuellement et très vite, le passage d’une société rurale à une société urbaine. La question de l’eau est par ailleurs cruciale pour une large partie de l’Europe orientale, le Kosovo étant le « château d’eau des Balkans », source d’affluents importants du Danube et du Vardar, fleuve grec et macédonien.

La gestion des déchets

D’entrée de jeu, ce qui frappe (ou qui frappait, surtout en 2003) en arrivant, c’est une impression de crasse permanente, d’absence de politique de gestion des déchets. La réalité est plus complexe. De nombreuses communes avaient une politique de collecte, mais la seule usine de fabrication et d’entretien des bennes métalliques pour la collecte était située dans la ville divisée de Mitrovica, dans sa partie nord majoritairement serbe, ce qui rendait difficile la maintenance et le renouvellement du parc ! Par ailleurs, les centres de traitement étaient rares et, très souvent, la collecte conduisait à tout empiler dans un ravin, à l’écart des regards. A cela, il faut ajouter le mouvement très rapide des villages vers les villes, plus sûres pendant la guerre et après, qui fait que les modes de vie ont évolué très vite, que les procédés traditionnels de recyclage des déchets (alimentation du bétail, par exemple) ont disparu eux aussi très rapidement, et que les gens ont subitement produit beaucoup plus de déchets non dégradables. Rappelons seulement le remplacement, dans les cuisines kosovares, des vanneries traditionnelles par du plastique ! Depuis 2004, des centres d’enfouissement plus conformes aux normes européennes ont été construits, mais il ne m’a pas été permis de les visiter.

Par ailleurs, des efforts ont été entrepris pour la collecte spécifique de certains déchets. Deux exemples : dans de nombreux secteurs, la collecte du verre est assez soigneusement organisée, dans de petits containers, y compris dans des villages où il n’y a pas de collecte générale. J’ai cru y voir l’influence des migrants, qui ont pris cette habitude dans leurs pays d’émigration, la Suisse ou l’Allemagne. Le regroupement de déchets métalliques se fait aussi et il faut avoir à l’esprit que, dans une situation d’après-guerre, les « déchets métalliques » se composent de voitures, de chars ou de morceaux de ponts ! Toutefois, dans ces deux cas, la situation était bloquée par l’absence de filière de traitement sur place et par l’impossibilité d’exporter, du moins officiellement, les déchets, l’absence de statut juridique international du Kosovo empêchant la mise en œuvre de la convention de Bâle sur la circulation internationale des déchets. Un trafic pas très clair semblait exister avec la Macédoine. Un projet de mini-aciérie, qui aurait produit des fers à béton avec des métaux recyclés était alors à l’étude.

Il convient aussi d’évoquer la question délicate de la gestion des déchets du bâtiment : les nombreuses maisons en ruine ont été déblayées rapidement et les déblais entassés là où ils gênaient le moins, pour permettre la reconstruction. Dans certains cas, cela a conduit à obstruer des vallons et à perturber le réseau hydrographique de façon dangereuse. Cette question, peu prise en compte par les aides internationales, mériterait sans doute plus d’attention; on se rappelle que la ville de Munich n’a définitivement réglé la question de ses décombres d’après 1945 qu’en 1972, en en faisant la colline artificielle du site des Jeux olympiques !

La gestion de l’eau

Le pays est soumis à de fortes précipitations, pluie et neige, même en plaine, et à de forts épisodes de sécheresse, ce qui pose donc à la fois le problème de stocker l’eau, et celui de l’évacuer. L’urbanisation galopante liée à l’exode rural et à la politique dynamique d’investissement immobilier des travailleurs migrants qui font construire, rend la gestion de l’eau encore plus problématique. Dans la suite des grands travaux à la mode socialiste, et en utilisant les crédits internationaux de reconstruction, des barrages ont été érigés ou rénovés, ce qui permet d’assurer une alimentation en eau d’à peu près tout le pays, à peu près tout le temps. Il reste cependant un problème de régularité, les nombreuses coupures d’électricité entrainant des ruptures d’alimentation. En revanche, la qualité des eaux ainsi stockées laisse souvent à désirer, les vallons où on a créé les barrages étant aussi ceux où on a stocké les ordures. Le risque sanitaire est contenu avec de fortes doses de chlore, mais la plupart des habitants a renoncé à boire l’eau du robinet, ce qui entraine une multiplication des bouteilles en plastique un peu partout !

Ce qui est sujet d’inquiétudes plus grandes, c’est la gestion des écoulements. J’ai eu la surprise de visiter un lotissement en construction (10 000 appartements, 30 000 personnes selon les promoteurs), largement pourvu de rues goudronnées et d’adduction d’eau courante, mais sans aucun dispositif d’évacuation des eaux pluviales, ni sanitaires. Il n’est pas difficile d’imaginer le cloaque que cela engendrera en bas de la colline aux premières pluies ou à la fonte des neiges. C’était d’autant plus regrettable que, deux kilomètres en aval, il y avait les cuves en béton d’une station d’épuration, construites avant la guerre et jamais mises en service, et donc déjà à moitié en ruine! Par ailleurs, et encore en amont, la déprise agricole, le manque d’entretien des ruisseaux et fossés entraînent des perturbations du régime des rivières et des sources. On voit de nombreuses fontaines asséchées, signe qu’une gestion traditionnelle des cours d’eau se perd, sans être remplacée par une autre.

La question de l’énergie

Pour son alimentation en électricité, le pays dépend presque exclusivement d’une unique centrale, thermique, qui brûle sur place le charbon d’un gisement exploité à ciel ouvert, entre la capitale Pristina et son aéroport, donnant une image triste et grise. La vétusté du dispositif entraîne des coupures permanentes et l’interconnexion aux réseaux voisins n’est guère possible, à la fois à cause de cette vétusté et du manque de statut international clair du pays. De plus, de nombreuses maisons et entreprises sont équipées de petits groupes électrogènes à essence, qui se mettent en route automatiquement à chaque coupure du réseau, dans un vacarme et une odeur épouvantables. Des efforts sont faits pour valoriser des sites hydroélectriques, dans le sud du pays.
Par ailleurs, le chauffage au bois se développe à toute vitesse, pour pallier les coupures d’électricité. Ce qui entraîne des coupes sauvages, dans des forêts dont les propriétaires sont parfois inconnus ou introuvables, et sans souci de gestion durable de la ressource. Les forêts de chêne sont assez courantes sur toutes les hauteurs et pourraient jouer un rôle intéressant de ressource, de régulation des cours d’eau, et de potentiel touristique, mais elles ne sont pas gérées de façon globale. Des élus locaux m’ont avoué avoir déjà trop de soucis avec leurs zones urbaines et leurs terres agricoles pour avoir le temps, en plus, d’aller voir leurs forêts. En outre, ces anciennes zones de combat n’ont pas toutes été déminées. On peut donc craindre une crise énergétique grave dans les années à venir, d’autant que les constructions, nombreuses, ne semblent pas vraiment bien isolées.

Le Kosovo est inondé de projets de toutes sortes, projets lourds financés par la communauté internationale et micro-projets financés par les travailleurs migrants (et la mafia, aux dires de certains). Le souci de l’environnement est présent, dès qu’il a un aspect visible, d’image ou de confort, mais la prise en compte des tensions chroniques sous-jacentes est souvent insuffisante. Par ailleurs, les bonnes volontés, réelles, se heurtent toujours aux difficultés juridiques liées à la situation encore floue de l’après-guerre et de l’indépendance: difficulté à entrer dans des accords internationaux, statut foncier incertain (par exemple pour les terres agricoles et les forêts qui appartenaient à des Serbes qui ont quitté le pays ou qui sont morts), absence de visibilité à long terme, autant d’éléments qui empêchent les investissements collectifs lourds nécessaires à une gestion durable du territoire. Seule une réorientation de l’aide internationale sur ces questions d’infrastructures permettra de rétablir une situation saine et d’éviter des désastres majeurs.

Photo : © Michel Bourguet